Estelle Grelier, présidente de Saur France, élue en septembre 2024 présidente de la FP2E, a indiqué à cette occasion être guidée par la volonté de « relever le défi majeur de la protection durable de l’eau et de l’accélération de la transition écologique » . Prise en compte des spécificités locales, financement repensé ou collaboration collectivités/opérateurs optimale : dans cet entretien Estelle Grelier partage les actions requises pour y parvenir.
Quelle est votre perception du défi de la protection durable de l’eau et de l’accélération de la transition écologique ?
L’eau est une ressource essentielle, un bien commun. Sur ce point, il y a consensus ! Pourtant, sa préservation et sa gestion exigent une attention bien plus grande que celle qui lui est accordée aujourd’hui. Ressource précieuse et fragile, l’eau est soumise à des pressions multiples et à des aléas climatiques croissants, y compris en France. Les sécheresses de 2022, les inondations de 2024, ainsi que la baisse des niveaux des nappes phréatiques et des étiages des rivières observés ces dernières années, en sont des exemples frappants.
La problématique de l’eau est globale mais ses spécificités sont profondément locales. Ce sont les collectivités territoriales qui disposent des compétences pour opérer les services d’eau potable et d’assainissement. Cette décentralisation doit permettre de mettre en œuvre les modes de gestion les plus adaptés aux besoins des territoires. Ici, le défi principal peut-être le « trop plein », là le « trop peu », ailleurs, la qualité – et, parfois tous ces enjeux se conjuguent.
Construire avec les territoires – une conviction nourrie par mon passé d’élue locale (notamment 1-note de la rédaction) – est donc un impératif. Dans le contexte de la transition hydrique, les collectivités sont des acteurs puissants de la transformation, car capables d’appréhender avec précision les spécificités locales. Au bénéfice des collectivités et des usagers, les entreprises de l’eau proposent des services et des solutions adaptés à chaque dynamique territoriale, appuyées par les 900 chercheurs dédiés à la thématique de l’eau employés par les entreprises adhérentes de la FP2E. Le contexte et le dispositif normatif évoluent, les opérateurs s’y adaptent avec compétence et vélocité.
Enfin, le changement de paradigme dans le rapport des usagers à l’eau, orienté vers une plus grande sobriété, exige une transformation en profondeur de notre approche des services d’eau et d’assainissement. Ces services jouent un rôle clé dans la transition écologique des territoires. Cela suppose ainsi de mesurer et de limiter l’impact carbone des actions menées ou encore d’intégrer les principes de l’économie circulaire pour réduire au maximum la dépense énergétique.
Pour relever ce défi majeur – protection durable de l’eau et accélération de la transition-, quel prérequis indispensable et quelle action prioritaire identifiez-vous ?
Au-delà de la prise de conscience évoquée, il est essentiel de se donner les moyens de nos ambitions. La réalité est sans appel : nous sommes confrontés à une situation de sous-investissement chronique dans les réseaux ; 15 milliards d’euros d’ici cinq ans sont requis pour les moderniser et les préserver. Bien sûr, les outils prédictifs nous aident à mieux connaitre et anticiper l’état patrimonial des réseaux et à prioriser les travaux, mais les collectivités sont confrontés à un mur d’investissements (sur cette question, cf. l’entretien accordé par l’ancien président de la FP2E, Arnaud Bazire) dans un contexte où elles sont déjà lourdement mises à contribution pour le redressement des finances publiques.
On entend souvent dire que « l’eau paie l’eau », en vertu du principe selon lequel les recettes des factures des usagers financent les services. Cette affirmation est, en réalité, inexacte à deux égards. D’une part, parce que le plafond mordant persiste, qui conduit à ce qu’une partie des recettes des Agences de l’Eau soient reversées au budget de l’Etat, en dépit des engagements des autorités publiques. D’autre part, parce que les Agences de l’Eau sont désormais appelées à financer des actions liées à la biodiversité, une mission qui ne faisait pas partie de leurs attributions initiales.
S’assurer de l’application du principe de « l’eau paie l’eau » est selon moi un prérequis essentiel, le socle sur lequel on pourra repenser le financement des services de l’eau et appuyer la modernisation des infrastructures.
L’action prioritaire que j’identifie est de s’assurer de la pérennité du modèle de la délégation de service public pour l’eau, un modèle qui se trouve aujourd’hui en danger. Car, dans de nombreux cas, la rémunération des collectivités et des opérateurs est fonction de la consommation d’eau des usagers. Or, en raison de l’adoption de comportements sobres dans l’usage de l’eau par les habitants -ce dont nous devons nous réjouir-, la consommation est en baisse, et, par conséquent, les recettes des services chutent. Et cela alors même que l’inflation des trois dernières années a entrainé une hausse des coûts, qui n’a pas été compensée par les formules d’indexation. C’est un effet ciseau particulièrement préoccupant pour les opérateurs des services de l’eau dont les coûts sont avant tout fixes.
Quelles actions Saur France, dont vous êtes la présidente, mène-elle pour répondre à ce défi majeur de la protection durable de l’eau et de l’accélération de la transition écologique ?
Tout commence avec notre raison d’être “ Redonner à l’eau la valeur qu’elle mérite“, adoptée en 2021 sous la présidence de Patrick Blethon, président exécutif du groupe, à l’issue d’une consultation de nos collaborateurs. Il y quatre ans déjà, le groupe Saur avait pour ambition de repenser le modèle des services de l’eau. L’incitation croissante à la sobriété, indispensable pour préserver cette ressource essentielle, se heurtait à la nécessité de maintenir une soutenabilité économique des services.
Nous déployons notre raison d’être en promouvant un modèle qui permette aux collectivités de faire des économies d’eau, et en plaidant en parallèle pour des modèles de contrat à la performance. Cette approche vise à détacher, en partie, la rémunération du service de la seule consommation d’eau, en favorisant une gestion plus durable et équitable.
Saur est par ailleurs intimement attaché au modèle décentralisé de la gestion de l’eau : tous nos services, du pilotage opérationnel aux réponses fournies au client, sont situés dans les territoires. Cette proximité favorise la circularité, la solidarité et la confiance.
Enfin nous nous appuyons sur l’innovation pour relever le défi de la protection durable de l’eau et de l’accélération de la transition hydrique. Citons comme exemples parmi d’autres : la réutilisation des eaux une fois traitées (REUT), notamment dans l’irrigation des champs de pommes de terre sur l’Ile de Ré, notre méthode des réparations de fuites qui minimise l’impact sur les autres infrastructures, ou encore l’utilisation de l’IA prédictive pour mesurer l’évolution des étiages des nappes phréatiques.
Le Groupe Saur a fait paraitre il y a quelques temps un guide, en collaboration avec Intercommunalités de France, sur les modes de gestion de l’eau. Quelles dynamiques sont à l’œuvre en la matière ?
La vocation de ce guide est d’accompagner les collectivités dans l’exercice de leurs compétences, afin d’adopter une approche de gestion de l’eau qui soit la plus adaptée possible aux réalités locales, tout en respectant le principe constitutionnel de libre administration des territoires. Certaines collectivités doivent administrer de vastes espaces et donc une grande linéarité de réseaux avec souvent un taux de rendement plus bas. D’autres, en revanche, sont confrontées à des problématiques liées à la qualité de l’eau. Cette diversité de situations appelle des solutions sur mesure, adaptées à chaque contexte local. Les témoignages d’élus rassemblés dans ce guide montrent bien que l’opposition régie/délégation, encore très marquée par les a priori, n’est pas pertinente. C’est un débat nécessaire au sein de chaque collectivité mais qui doit être apaisé et conduit dans le souci d’assurer la durabilité et l’adaptabilité de la ressource sur le territoire concerné. Et ce d’autant plus que, comme je l’indiquais précédemment, l’eau est un sujet à la fois local et global, d’une grande complexité puisqu’ il interagit avec les modes de vie et les choix de société. Le traitement nécessaire des polluants éternels, des métabolites de pesticides, des résidus médicamenteux, etc., en témoigne tout comme l’importance accordée à la prévention dans un cadre scientifique qui s’enrichit.
Petit cycle de l’eau, grand cycle de l’eau : comment les penser face au dérèglement climatique ?
Il est essentiel de les corréler pour s’adapter aux conséquences du dérèglement climatique. Avec une température sur terre de +4% d’ici 2100, les gouvernances de ces deux cycles, portées par différentes parties prenantes, notamment par les intercommunalités, les comités de bassins, les Agences de l’eau, etc., doivent être à la fois renforcées, cohérentes et certainement plus transparentes pour les citoyens. Et pacifiées ! J’entends par là qu’il faut considérer et ne pas opposer les différents usages afin aussi d’identifier les financements les plus adéquats. Il est aussi impératif de faire évoluer le modèle vers un système où l’usage domestique ne finance plus, à lui seul, une part disproportionnée de la gestion de la ressource en eau.
Il est aussi crucial de sensibiliser davantage encore les usagers au coût réel des services de l’eau, qui est certes un bien commun et une ressource naturelle, mais qui, pour être potable, ou utile à l’irrigation agricole par exemple doit être traitée. Il est d’ailleurs important de rappeler que l’eau est le produit alimentaire le plus contrôlé en France, avec 18 millions d’analyses effectuées chaque année. Or, alors que la facture d’eau moyenne en France est inférieure à la moyenne des pays européens, les usagers ne connaissent pas très bien leur facture, à la fois son montant et ses composantes.
Sur cette question de l’eau, quelle conviction vous anime ?
L’eau est une ressource fondamentale, un enjeu vital pour l’avenir et un levier essentiel pour le développement de notre pays. Sans accès à l’eau, le développement l’aménagement de nos territoires sont gravement compromis, freinant leur croissance et leur attractivité. C’est une problématique qui dépasse les crises ponctuelles pour devenir une question structurelle, qu’il est essentiel d’intégrer à nos politiques publiques.
La véritable interrogation est donc la suivante : comment garantir, à la fois individuellement et collectivement, la préservation durable de cette ressource, même en dehors des périodes de crise, tout en s’adaptant aux mutations climatiques, économiques et sociales ?
1 Estelle Grelier a exercé plusieurs mandats électifs, locaux mais aussi européen et national ; pour en savoir plus consulter sa biographie par exemple sur Wikipédia