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La salinisation de l’eau douce : menace sous-estimée du changement climatique

Cet article a été rédigé par Maxime Blondeau

Crédits photos : Eau France - Estuaires, Lagunes et Deltas

Quand on évoque les risques liés à la hausse du niveau des mers, on se représente souvent l’érosion des falaises ou la submersion des infrastructures portuaires. Mais on oublie parfois le plus grave : l’infiltration de l’eau salée à l’intérieur des terres

 

Estuaires et deltas, les zones les plus vulnérables

 A l’endroit où les fleuves se jettent dans la mer, on trouve plusieurs configurations. D’abord des lagunes, des étendues d’eau côtières, souvent saumâtres, nourries par un affluent en amont. On peut aussi trouver des estuaires, caractérisés par la pénétration d’eaux marines dans le cours aval des fleuves, selon une dynamique hydrologique et des mécanismes sédimentaires spécifiques liés aux marées (du latin æstus). Et enfin des deltas, caractérisés par un fort alluvionnement qui forme une plaine deltaïque, souvent marécageuse, avec des étangs ou des mangroves. Ces configurations littorales sont souvent très fertiles et propices aux activités humaines, comme l’agriculture et le commerce. Très peuplées, elles se caractérisent désormais par leur vulnérabilité face à la menace de salinisation.

En France, les estuaires et lagunes couvrent près de 3000 km² dont 80% en métropole et 19% en Guyane. En métropole, les plus grands estuaires sont formés par la Loire, la Seine, la Somme et la Garonne. Le principal delta hexagonal, qui est aussi le deuxième plus vaste de tout le bassin méditerranéen après le Nil, est bien sûr celui du Rhône, la Camargue sur une superficie dépassant à lui seul 1500km2.

Bien que peu touchés par rapport à d’autres régions du monde, les estuaires et deltas français sont en fait déjà menacés par la salinisation. La montée des eaux salées contamine déjà les eaux douces souterraines, transforme l’agriculture locale et le foncier. En l’absence d’infrastructures de défense, comme nous le montrent les premiers grands sites planétaires touchés dans le monde, ces changements hydrologiques procèdent par un phénomène de ruptures soudaines de l’équilibre local entre les eaux douces et les eaux salées.

 

Le plus grand delta du monde vient de connaître une salinisation soudaine

Le delta du Bengale, dit aussi Delta du Gange est le plus vaste du monde avec environ 350 km de côtes et une extension vers l’amont de 100 à 200 km. C’est aussi le plus densément peuplé avec plus de 100 millions d’habitants. A cheval sur la frontière entre l’Inde et le Bangladesh, cette région est dominée par deux mégalopoles, Calcutta à l’ouest et Dakka au Nord. Sur ce cliché, en vert brun, on devine aussi le Parc National des Sundarbans, une des zones humides et forestières les plus importantes de la planète, à la confluence des fleuves Gange, Brahmapoutre et Meghna.

 

Crédits photo : European Space Agency

Composée de mangroves ouvertes et fermées, de terres agricoles, de vasières et de terres arides, ce delta est traversé par de multiples courants et canaux de marée. Sa forêt couvre une superficie d’environ 10 000 km carrés et fournit un habitat à des milliers d’espèces sauvages. Ici, le niveau de la mer augmente chaque année de 3,14 millimètres, contre 2 millimètres en moyenne ailleurs. Mais l’équilibre millénaire entre les eaux douces en provenance du continent et l’eau salée qui remonte de la mer sur des centaines de km a été rompu autour de 2010 et ce, en faveur de l’eau salée.

Pourquoi ? 3 raisons sont évoquées.

  • Le premier facteur serait la baisse significative du débit fluvial du Gange à partir de 2006. Cela pourrait être dû à une réduction des précipitations sur le bassin versant mais aussi à l’exploitation d’un barrage situé en amont, côté Indien, qui vient freiner le débat et l’alluvionnement du delta.
  • Le deuxième élément responsable de cette avancée du front de mer, serait l’abaissement du niveau des eaux souterraines sur le delta, en raison de leur surexploitation pour irriguer les rizières. La cause première serait l’irrigation locale pour l’agriculture, c’est à dire l’intensité des prélèvements.
  • Le troisième facteur, évidemment, c’est la montée du niveau de l’océan. Localement, sur la première décennie du siècle, le niveau de l’océan Indien est monté de cinq centimètres. Ce qui est énorme par rapport au relief excessivement plat du delta du Bengale. On mesure un différentiel de plusieurs dizaines de kilomètres.

 

Les conséquences sont donc terribles. D’abord sur l’agriculture à cause de la salinisation de la région. L’eau douce vient à manquer, les infiltrations d’eau salée menacent le rendement des productions vivrières. Les familles sont contraintes de passer d’une agriculture traditionnelle à des pratiques de pêche comme l’élevage de crevette. L’infiltration cause aussi des problèmes d’érosion des sols et entraine un déplacement massif et constant des populations locales, dans un contexte de lutte féroce pour le foncier.

En 2023, à l’échelle mondiale, les chercheurs considèrent que l’effet de la salinisation sur les pratiques agraires et les migrations des habitants présente davantage d’impact sur la vie des populations que les inondations cycloniques et les crues fluviales récurrentes. https://lemag.ird.fr/fr/salinisation-lennemi-ndeg1-du-delta-du-bengale

 

 

Les Pays-Bas, à l’avant-garde mondiale de l’adaptation

Plus près de nous, avec 26% de son territoire sous le niveau de la mer, les menaces de submersion assaillent les Pays Bas depuis de longs siècles. On l’oublie parfois mais les Pays-Bas forment le plus grand delta du Nord de l’Europe, aux confluents de la Meuse, du Rhin et de l’Escaut qui se déversent depuis la Belgique, l’Allemagne et la France. Autrefois marécageuses et nauséabondes, les 12 Provinces devenues Pays-Bas forment aujourd’hui un immense delta asséché et urbanisé. Mais ce territoire reste particulièrement sensible aux évolutions du niveau de la mer. Après-guerre, un véritable plan de défense industriel a été mis en place pour limiter cette vulnérabilité, et on peut considérer que sans lui, la région souffrirait déjà d’une infiltration du sel sur tout son territoire.

Carte des Pays-Bas – Crédits photo : Visual Maps Geomatics

Pour les néerlandais, le danger vient d’abord du large, puisque le niveau de la mer du Nord pourrait, d’après l’université d’Utrecht, s’accroître d’un mètre cinquante d’ici à 2100. Lancé dans les années 60, le DeltaPlan est le plus grand programme de défense contre la montée des eaux au monde. Une œuvre de plusieurs décennies dont la première étape s’est achevée en 1986, et la seconde en 2010. https://buff.ly/3NBD08c

Le barrage de l’Escaut oriental – en version originale l’Oosterscheldekering, est le plus important barrage maritime du monde. La longueur de ce barrage maritime dépasse 9 kilomètres et sa fonction consiste à combattre les submersions marines. Il comprend de grandes glissières qui peuvent être abaissées en cas de fortes tempêtes. Le voici ici, filmé par un drone.
https://buff.ly/3XFuFoV

Sauf que la menace principale que doit affronter le pays, ce ne sont pas les crues. Mais la salinisation. Avec la montée du niveau de la mer, l’arrivée de l’eau salée par le sous-sol provoquerait une infiltration progressive dans les eaux douces souterraines, contaminant les nappes phréatiques. Cette infiltration menace également les polders, les îles et les rives fluviales par un phénomène d’érosion souterraine accéléré par le sel marin.

2 400 entreprises néerlandaises travaillent aujourd’hui dans l’hydraulique et l’adaptation au changement climatique. C’est à Delft, près de Rotterdam, que les plus grands scientifiques proposent des solutions (aménagement des littoraux, fermes flottantes, digues respectueuses des écosystèmes, lutte contre l’érosion…). Et les meilleures idées prennent forme à l’institut Deltares.

D’autres deltas du monde n’ont pas les moyens techniques, la stabilité politique ou les ressources financières pour entreprendre des projets hydrauliques comparables à ceux des néerlandais. Mais tous font face aux mêmes menaces. Le delta du Nil, du Mékong et du Fleuve Rouge, celui de l’Indus et de la Rivière des Perles, le Delta du Niger et du Mississipi connaissent tous des destins comparables, avec une salinisation accélérée, malgré leurs spécificités géopolitiques et sociales.

L’épisode « Les deltas face aux aléas du climat » de l’émission Culture Monde sur France Culture en propose un rapide état des lieux. En matière démographique, ce phénomène serait aujourd’hui tout simplement le plus grand facteur de perturbation sociale et économique liée au changement climatique.

Souvent passé sous silence, la salinisation des estuaires et deltas devrait aussi concerner la France dans le siècle qui vient. Les bassins hydrologiques qui alimentent Le Havre, Nantes, Bordeaux, Marseille seront transformés. Sommes-nous suffisamment préparés ?

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Pour aller plus loin sur la salinisation

Quelle catastrophe provoque la salinisation des sols ?

La salinisation des sols provoque une catastrophe écologique en entraînant la dégradation des terres agricoles. Chaque année, environ 10 millions d'hectares de terres agricoles sont détruits dans le monde par la salinisation des sols. Ce phénomène résulte de l'accumulation de sels hydrosolubles dans les sols à des niveaux toxiques pour la plupart des plantes, animaux et champignons, ce qui a un impact négatif sur l'agriculture et la biodiversité. La salinisation des sols est souvent due à l'irrigation avec de l'eau légèrement salée, ce qui entraîne l'accumulation de sels dans le sol lors de l'évapotranspiration régulière. En outre, la dégradation des sols par le sel résulte généralement d'un mauvais drainage, et une partie du sel est déposée sur les terres agricoles lors de l'irrigation. Par conséquent, la salinisation des sols a des effets dévastateurs sur l'agriculture et l'environnement, ce qui en fait une cause importante de désertification, d'érosion et de dégradation des sols

C'est quoi la salinité de l'eau ?

La salinité désigne la quantité de sels dissous dans un liquide, en particulier dans l'eau de mer. Techniquement, elle est définie comme la masse des substances dissoutes dans un kilogramme d'eau de mer. Elle est mesurée à partir de la conductivité électrique de l'eau et s'exprime en ups (unité pratique de salinité), qui équivaut approximativement à 1 mg/g de sels. La salinité est l'une des caractéristiques physico-chimiques de l'eau et mesure la concentration en sels dissous tels que le chlorure de sodium, le chlorure de magnésium et le sulfate de magnésium[2][3]. Elle est également exprimée en gramme de sel par kilogramme d'eau (g/kg), en gramme de sel par litre d'eau (g/l) ou en pour mille[3]. En aquariophilie, la salinité désigne la proportion de chlorure de sodium en solution dans l'eau de mer, et en océanographie, elle est appelée le degré halométrique

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