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Michaël Malfroy-Camine : “En quelques années nous avons complètement repensé notre gestion des eaux pluviales”

Crédits photos : Michael Malfroy-Camine

Michaël Malfroy-Camine est Responsable du département Prospective Réseaux au sein du service de l’Eau et de l’Assainissement de l’Eurométropole de Strasbourg. Il a en charge la réalisation du schéma directeur d’assainissement, les branchements Eau et Assainissement pour les particuliers, la gestion patrimoniale des réseaux d’eau et d’assainissement et le suivi des projets d’aménagement sur l’espace public.

Dans cet entretien pour aquagir, il propose un retour d’expérience de l’Eurométropole sur la gestion intégrée des eaux pluviales.

 

Bonjour Monsieur Malfroy-Camine et merci d’avoir accepté notre invitation. Qu’est-ce qui a initialement incité l’Eurométropole à s’engager sur la voie de la gestion intégrée des eaux pluviales (GIEP) ?

Nous avons commencé à parler de « gestion des eaux pluviales à la parcelle » durant les années 2000 à la suite d’inondations importantes liées à la saturation des réseaux qui sont majoritairement unitaires (c’est-à-dire qui reprennent les eaux usées et les eaux pluviales dans les mêmes tuyaux) sur notre territoire. À l’origine, l’objectif était donc de sortir les eaux pluviales des réseaux afin de limiter ces risques d’inondations. Nous avons pris exemple sur les Métropoles de Lyon et de Bordeaux, qui à l’époque changeaient également de paradigme pour sortir du « tout-tuyau » et aller vers la GIEP.

En 2008, nous avons imposé la gestion des eaux pluviales à la parcelle dans le règlement d’assainissement. Les particuliers avaient ainsi pour obligation, à chaque nouveau permis de construire, de gérer leurs eaux pluviales sur leur terrain sous forme de stockage et infiltration ou rejet à débit limité vers le réseau public. Par ailleurs, depuis 2011 nous incitons financièrement les particuliers à la déconnexion du réseau pour les habitations existantes. Nous proposons un service qui les aide à étudier la faisabilité et définir leur besoin. Cela peut consister à déconnecter les gouttières vers un système d’infiltration de type tranchée, puits, SAUL …, ou encore aménager un espace à ciel ouvert de type jardin de pluie, noue, lorsque la place est suffisante.

Nous avons ainsi réussi à lancer de nombreux projets d’infiltration des eaux de pluie à travers le territoire, particulièrement sur le domaine public (lotissements, ZAC, réaménagement de voirie).

 

Quels sont les freins auxquels vous avez fait face dans votre démarche ?

Dans un premier temps notre politique concernait essentiellement l’infiltration des eaux de toitures, cours, allées piétonnes, cheminements doux car la Direction Départementale des Territoires (DDT) interdisait l’infiltration des eaux d’espaces circulés par des véhicules à moteur. La crainte était que l’infiltration entraine des risques importants de pollution (ex. hydrocarbures, métaux lourds) de la nappe phréatique qui est proche du terrain naturel sur l’Eurométropole. Pour ces eaux pluviales de parking et voirie, il fallait faire du stockage et du rejet à débit limité sur le réseau d’assainissement.

Puis la DDT nous a autorisé à infiltrer les eaux de parking et de voirie dans un premier temps sur le domaine public et à condition de démontrer qu’il n’y avait pas de risque de pollution. Au début des années 2010, nous avons mené des expérimentations sur des lotissements entiers en privilégiant l’infiltration à ciel ouvert dans des systèmes de fossés, noues, bassins paysagers. Nous avons réalisé des prélèvements de sol et des suivis piézométriques qui ont révélé que le risque de pollution était mineur et se cantonnait essentiellement aux 50 premiers cm de sol décroissant rapidement ensuite. Cela nous a confortés dans l’idée d’aller plus loin dans l’infiltration de l’ensemble des eaux pluviales.

Petit à petit, nous nous sommes aperçus que le sol jouait bien un rôle de piège à pollution. Nous avons travaillé avec l’École d’ingénieur du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg (ENGEES) pour mener des études de suivi du cheminement de l’eau, pour montrer que la pollution était bien retenue dans les premières couches de sol. Le Grand Lyon avait également réalisé des analyses et un suivi qui ont révélé que la majorité de la pollution se trouvait dans les 50-100 premiers cm de sol, celui-ci jouant pleinement son rôle de piège.

Des suivis et analyses ont été réalisés sur des massifs filtrants avec des plantes phytoépuratrices qui fonctionnent particulièrement bien pour piéger la pollution aux hydrocarbures et métaux lourds. En revanche se pose la question du vieillissement de ces ouvrages qui accumulent cette pollution et dont il faudra excaver les matériaux le moment venu pour les envoyer en centre de traitement adapté.

En parallèle nous avons réalisé une cartographie de la perméabilité des sols du territoire et une cartographie des contraintes à l’infiltration : où était-ce possible ou favorable d’infiltrer ou ne pas infiltrer l’eau de pluie ? En Alsace, nous avons la chance d’avoir une des plus grandes nappes phréatiques d’Europe sous nos pieds, c’est notre réserve d’eau potable ! Il fallait s’assurer de ne surtout pas polluer cette ressource en eau.

 

Merci pour cet historique. Quelles sont les évolutions récentes de votre politique ?

En 2020, l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse et les instances de l’Etat ont produit pour la région Grand-Est une note de doctrine où l’infiltration s’impose pour toute surface. On a ainsi totalement changé notre manière de penser l’eau pluviale : il faut désormais justifier les cas où on n’infiltre pas les eaux de pluie, et non plus justifier les cas où on les infiltre !

Nous essayons aujourd’hui d’infiltrer l’eau de pluie partout où elle tombe, notamment dans des ouvrages à ciel ouvert (fossés, noues, bassins…). Mais en milieu urbain la place est très limitée, donc nous avons aussi recours à l’infiltration enterrée lorsque c’est la seule solution envisageable (tranchées d’infiltration, chaussées à structures réservoir, enrobés drainants en test par exemple).

Il reste très peu de freins aujourd’hui sur les projets d’infiltration de surface (pavés drainants, surfaces perméables, noues etc.). Nous demeurons en revanche plus prudents concernant les ouvrages enterrés, notamment dans les zones où la nappe souterraine est très proche du sol : en cas de remontée de nappe, nous risquons de lessiver les pollutions stockées dans les ouvrages enterrés et donc de propager cette pollution aux couches plus profondes.

 

Que recommanderiez-vous à vos confrères d’autres collectivités qui souhaiteraient se lancer dans une démarche semblable ?

Un enjeu clé est de travailler en bonne intelligence entre différents gestionnaires de l’espace public. Dans le cas de l’Eurométropole, dans un premier temps c’est surtout le service assainissement qui a porté la question, car nous sommes référents sur le sujet des eaux pluviales. Lorsque nous avons commencé à travailler sur l’espace public nous nous sommes rapprochés de nos collègues des services Espaces Verts et des Voies Publiques. Le service Propreté a également été mobilisé pour l’entretien des ouvrages à ciel ouvert, en raison des déchets qui peuvent s’y retrouver.

A travers les échanges, nous nous sommes répartis les rôles d’entretien de ces nouveaux ouvrages alternatifs. Les communes ont également été mobilisées car elles disposent de la compétence espaces verts. Se posait ainsi la question de la répartition du coût d’entretien des ouvrages. Dès 2015, nous avons pour cela mis en place des conventions avec les communes volontaires pour lesquelles le service assainissement finance, sur le budget général, l’entretien des ouvrages réalisé par les services techniques à raison de deux passages par an (tonte, faucardage, débroussaillage). Sur les autres communes c’est le service assainissement qui intervient en régie avec un marché spécifique d’entretien des espaces verts.

En revanche, des ouvrages comme les chaussées à structure réservoir et/ou les parkings drainants ne relèvent pas de notre compétence assainissement. Ils relèvent du service voirie, qui doit ainsi donner un avis favorable et accepter d’en assumer la charge d’entretien.

D’où la nécessité, dès l’origine de tels projets d’aménagement, de s’accorder entre différents services sur la définition des solutions, et la répartition des rôles et des efforts.

 

Quelles sont les étapes suivantes de développement de la GIEP ?

Nous n’avons pas encore de schéma directeur de gestion des eaux pluviales (SDGEP). Nous avons bien un schéma directeur d’assainissement, découlant de la directive pour les eaux résiduaires urbaines et la directive cadre sur l’eau dont l’objectif est le retour au bon état des masses d’eau dont les travaux sont en cours … mais nous n’avons pas encore franchi le cap vers un schéma directeur des eaux pluviales. Et nous souhaiterions produire un zonage pluvial plus précis afin de prioriser les secteurs à enjeux dans les années à venir, en intégrant les projets urbains connexes et les ambitions écologiques de la collectivité : lutte contre les ilots de chaleur, trames vertes et bleues dans le PLUi, désimperméabilisation des espaces publics, plan canopée, …

Cela nous permettrait de nous associer avec d’autres services ayant des missions complémentaires aux nôtres, comme la lutte contre le changement climatique, les sécheresses, la revégétalisation, … en favorisant la gestion intégrée des eaux pluviales.

Un tel schéma directeur nous permettrait également de répondre à la demande de l’Agence de l’Eau qui souhaiterait que nous allions plus loin dans la déconnexion des espaces privés. Nous le faisons déjà dans des projets ANRU lors de la réhabilitation des quartiers, où l’on impose la déconnexion complète des eaux pluviales du réseau, et nous aimerions élargir l’approche à l’ensemble du domaine privé. Nous pourrions ainsi identifier de grands secteurs à enjeux (notamment inondation) où nous pourrions travailler plus finement le sujet avec des bailleurs sociaux gérant de grands espaces ou des propriétaires volontaires. L’objectif est d’initier l’étude du SDGEP fin 2024.

 

A ce propos, quels sont les enjeux de mobilisation des riverains ?

Dans nos ouvrages gérés en techniques alternatives nous ne passons que deux fois par an pour l’entretien au printemps et en automne. Parfois, les riverains déplorent la grande hauteur de l’herbe et ont l’impression que l’ouvrage est laissé à l’abandon. Il y a donc là une question de sensibilisation : nous avons pris l’habitude d’apprécier les pelouses tondues à ras, alors qu’elles rendent peu de services écosystémiques.

D’autres craignent l’arrivée du moustique tigre. Or les larves ont besoin dans un milieu propice de 5-6 jours minimum d’eau stagnante pour se développer. Donc les espaces ouverts de type bassin paysagers, noues, fossés d’infiltration ne leur conviennent pas. Ces techniques alternatives de stockage/infiltration sont dimensionnées pour se vidanger en moins de 5 jours.

 

Où en êtes-vous sur les « solutions fondées sur la nature » (SFN), qui consistent à reposer sur les services rendus par les écosystèmes naturels pour relever des défis environnementaux ?

Un risque avec les SFN est de finir par mélanger les choses, et de ne plus savoir ce qui relève des eaux pluviales, ce qui relève de l’aménagement paysager, et quel service est supposé gérer un espace donné. Pour chaque cas il faudra définir qui est le gestionnaire.

Nous intégrons dans une certaine mesure les SFN dans nos techniques alternatives de gestion des eaux pluviales. Mais un sujet qui sera particulièrement porteur est celui de la désimperméabilisation, où nos collègues de l’aménagement du territoire mènent notamment des projets de type « cours Oasis » dans les écoles, de trames vertes et bleues, de ceinture verte autour de Strasbourg… Nos collègues en charge de la gestion des cours d’eau mènent de leur côté des projets de reméandrement des cours d’eau, de plantation de haies, fascines pour lutter contre les coulées d’eau boueuses, etc.

Nous travaillons ainsi ensemble sur une vision globale du grand cycle de l’eau, en vue de l’intégrer dans les documents de planification de l’Eurométropole.

 

Cet article vous est proposé par aquagir

aquagir est un collectif d’acteurs œuvrant dans l’accompagnement de bout-en-bout des projets de gestion des eaux dans les territoires avec une vision globale, collective et écosystémique des enjeux et des solutions.  aquagir regroupe l’ANEB, la Banque des Territoires, le BRGM, le Cercle Français de l’eau, les pôles de compétitivité de la filière eau Aqua-Valley et Aquanova et l’UIE (Union des Industries et Entreprises de l’Eau)

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Pour aller plus loin sur les eaux pluviales urbaines

Comment peut-on gérer les eaux pluviales ?

Les eaux pluviales et les eaux usées sont généralement gérées par les systèmes d'assainissement des villes et des municipalités. Les eaux pluviales sont collectées à partir des toits, des routes et des surfaces imperméables, puis dirigées vers des systèmes de drainage tels que des canalisations souterraines, des canaux ou des cours d'eau. Elles peuvent également être stockées dans des bassins de rétention pour éviter les inondations. Les eaux usées, quant à elles, sont collectées à partir des résidences, des commerces et des industries. Elles sont acheminées vers des réseaux d'égouts qui les transportent vers des stations d'épuration. Dans ces stations, les eaux usées subissent un processus de traitement pour éliminer les contaminants et les polluants avant d'être rejetées dans l'environnement.

Qui gère les eaux pluviales ?

La gestion des eaux pluviales est une responsabilité partagée entre l'Etat et les collectivités territoriales, avec des prérogatives complémentaires.

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