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Elodie Brelot : “La nature peut devenir notre alliée dans la gestion des eaux de pluie”

Cet article a été rédigé par Cyrus Farhangi

Crédits photos : Elodie Brelot

Elodie Brelot est Directrice du Graie, association scientifique et technique qui a bientôt 40 ans, dont la mission est d’établir le lien entre scientifiques et praticiens dans le domaine de la gestion de l’eau en milieu urbain. Parmi ses activités, le Graie coordonne des programmes de recherche ancrés dans les territoires, anime des réseaux techniques et développe des actions d’information et d’accompagnement des territoires. Le Graie compte 300 adhérents, avec des représentant des collectivités, des entreprises et des scientifiques.

La gestion « intégrée » des eaux pluviales est l’une des thématiques phare portées par le Graie depuis sa création. On parlait à l’époque de techniques alternatives au tout-tuyau, plutôt désignées aujourd’hui sous le vocable de solutions « à la source », qui consistent à piéger l’eau de pluie au plus près de là où elle tombe.

Madame Brelot, quels sont les principes de la gestion « intégrée » des eaux pluviales ?

La gestion intégrée des eaux pluviales repose sur des savoirs assez anciens, que nous mettons en avant depuis 40 ans. Elle recueille aujourd’hui un intérêt croissant, du fait de l’accélération du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité et de la raréfaction de l’eau : l’eau de pluie est ainsi à nouveau perçue comme une ressource locale et précieuse. De plus, ces solutions répondent à un deuxième enjeu lié au changement climatique : elles participent à limiter les risques d’inondations liées aux précipitations extrêmes.

Pendant des décennies, nous avons géré les eaux pluviales comme les eaux usées dans un système « tout-tuyau », consistant à évacuer l’eau de pluie le plus vite possible, en la concentrant dans des points bas. La généralisation de ce système tend à augmenter les risques d’inondation, à accroitre la pollution des milieux récepteurs à l’aval, à appauvrir la ville en eau et à se priver ainsi d’une ressource locale qui peut être utile aux habitants et à la végétation.

Le principe de la gestion intégrée des eaux pluviales est de se reconnecter au cycle naturel de l’eau de pluie, de capter cette eau de pluie à la source, et de favoriser son infiltration dans le sol. Cela permet de réduire les risques liés au ruissellement, la saturation des systèmes d’assainissement, ainsi que les coûts de gestion de ces eaux. Les autres bénéfices de cette approche sont le soutien à la biodiversité et aux arbres (permettant également de réduire les coûts d’arrosage pour la ville), la lutte contre les ilots de chaleur, ou encore l’amélioration de la qualité du cadre de vie.

Quels sont les ouvrages permettant cette gestion intégrée des eaux de pluie ?

La gestion intégrée des eaux pluviales repose sur des ouvrages assez simples. En effet, comme ces ouvrages agissent à la source, il n’y a pas besoin de gérer de gros volumes d’eau de pluie, mais juste la pluie qui tombe sur le sol.

La majorité des solutions consistent simplement à désimperméabiliser les sols et favoriser l’infiltration de l’eau. Elles peuvent être minérales, comme des revêtements drainants, des tranchées ou puits d’infiltration ou encore les chaussées à structure réservoir. D’autres aménagements, les solutions fondées sur la nature, intègrent aussi la végétation, permettant de nombreux co-bénéfices. Ce sont des fossés et noues, des toitures, des parkings végétalisés ou encore simplement des espaces verts en creux.

Les solutions à la source consistent surtout à développer des aménagements qui gèrent les premiers millimètres de pluie : dans une ville comme Lyon, capter les 15 premiers millimètres de pluie sur chaque événement permet de capter 80% du volume de pluie annuelle. Nous parlons donc de hauteurs et de volumes modestes lorsqu’on agit à la source du ruissellement ; alors que gérer cette eau en la concentrant à l’aval conduit à réaliser des ouvrages avec des volumes conséquents.

Un autre avantage à souligner concernant les solutions fondées sur la nature est qu’un sol vivant est plus efficace pour piéger l’eau et la pollution, par rapport à un matériau minéral. Le minéral pourra avoir une fonction de filtration. Le sol y participera tout autant, mais il contribuera aussi à absorber les flux d’eau, évitant ainsi des rejets polluants aux milieux aquatiques et il mettra cette eau à la disposition de la végétation.

Cette priorité à la gestion des petits événements ne nous dispense pas de gérer aussi les grosses pluies, avec une conception en cascade des ouvrages. Nous parlons de différents niveaux de service, en passant des enjeux de pollution pour les petites pluies, à la protection des biens et des personnes sur les événements extrêmes. Dans tous les cas, les ouvrages à la source permettent de limiter les risques et les investissements à l’aval.

Quelles sont les innovations récentes en la matière ?

Comme je l’évoquais, les solutions sont techniquement plutôt simples. Mais, la gestion des eaux pluviales à la source est un réel changement de paradigme : il n’est plus possible de concevoir un aménagement du point de vue architectural, puis de demander au bureau d’étude VRD de concevoir les réseaux de collecte. Il s’agit aujourd’hui d’aménager en fonction de la circulation de l’eau : travailler sur la déconnexion, la renaturation des espaces urbanisés, et l’utilisation des eaux de pluie pour rendre ces espaces plus résilients et vivants. Il est donc important de développer des actions de pédagogie, de sensibilisation et de démonstration de l’efficacité des solutions à la source, et des solutions fondées sur la nature en particulier, pour atteindre ces multiples objectifs.

En termes de développement de nouvelles connaissances, nous animons de nombreux programmes de recherche en appui de l’OTHU (Observatoire de Terrain en Hydrologie Urbaine) depuis 25 ans en partenariat avec la Métropole de Lyon. Ils portent autant sur les solutions à la source et solutions fondées sur la nature, que sur le fonctionnement des ouvrages centralisés, des systèmes d’assainissement, et sur l’impact de l’infiltration dans les nappes. Cela permet de consolider les connaissances et de développer de nouveaux outils à destination des bureaux d’études.

Dans le cadre de cette collaboration, nous accueillons depuis 30 ans à Lyon, tous les 3 ans, une conférence internationale, Novatech, sur la gestion durable des eaux pluviales en ville. En juillet dernier, nous avons rassemblé 600 personnes, scientifiques et praticiens, durant cinq jours ; un tiers des participants sont européens et un tiers extra-européens, ce qui nous donne une vision internationale, ainsi qu’une visibilité à travers le monde de ce qui est fait en France.

Y a-t-il un rôle des technologies numériques ?

Tout à fait. L’IA va nous fournir de vrais outils de prévision et d’information pour la gestion en temps réel des ouvrages. Par exemple, on perçoit que l’IA va permettre une gestion optimisée des micro-stockages et cuves de récupération à la parcelle, répondant à deux objectifs contradictoires que sont de disposer d’une ressource (cuves pleines) et de lutter contre les inondations (cuves vides).

L’Internet des Objets, quant à lui, permet le déploiement de micro capteurs.  Equiper les sols de capteurs d’humidité permet par exemple, d’optimiser l’arrosage des végétaux, et ainsi économiser l’eau, réduire les coûts humains des services et limiter la mortalité des végétaux en cas de sécheresse.

Pourriez-vous nous en dire davantage sur les innovations et retours d’expérience à Lyon ?

La Métropole de Lyon développe une stratégie massive de désimperméabilisation, pour devenir une ville plus perméable et résiliente. Un des axes consiste à déployer les « arbres de pluie ».

Les fosses d’arbres sont traditionnellement assez réduites, avec des arbres surélevés qui ne récupèrent que très peu d’eau. On est en train de revoir cela, avec des petits travaux qui consistent à élargir l’espace et le volume de terre mis à disposition des arbres et faire en sorte que l’eau des voiries ruisselle directement dans les fosses d’arbre. L’eau est ainsi mise à disposition du végétal et potentiellement réinfiltrée progressivement vers la nappe. Ces aménagements entrent dans des programmes de gestion de l’arbre en ville ou de réaménagement de voiries. Ce sont des ouvrages peu complexes, peu couteux, et relativement faciles à entretenir, avec un intérêt partagé entre différentes directions de la Métropole.

Certes, le sujet de l’entretien soulève quelques défis : la responsabilité et la gestion des espaces doivent être partagées entre les différents services. Les solutions fondées sur la nature présentent très peu de technicité, elles peuvent donc souvent être considérées comme relevant du service espaces verts. Mais, lorsqu’on développe des solutions fondées sur la nature, on résout des problèmes d’eaux pluviales et assainissement. Ainsi, les questions budgétaires devraient être prises en compte dans les deux sens : les charges supplémentaires pour les services espaces verts, mais aussi les coûts évités en assainissement.

Il semblerait que la gestion intégrée des eaux de pluie et les solutions fondées sur la nature nécessitent d’instaurer un nouveau dialogue entre différents services de la ville.

Il y a en effet besoin de créer plus de transversalité et une culture commune de l’eau dans l’aménagement entre les services : espaces verts, urbanisme, voirie, assainissement, eaux pluviales et propreté.

Par exemple, les « routiers » ont été formés en considérant que l’eau est l’ennemie de la chaussée, et nous leur proposons aujourd’hui de stocker l’eau pluviale dans le corps de chaussée (dans certaines conditions). De même, dans les projets de voiries, certains techniciens témoignent qu’ils ne conçoivent plus un projet sans intégrer systématiquement 1-les modes doux et 2- les eaux pluviales et la place du végétal. Il y a encore des résistances et des réticences, mais il faut faire la démonstration par l’exemple, ce à quoi nous contribuons avec notre observatoire. Les techniciens GEPU (Gestion des Eaux Pluviales Urbaines), que nous qualifions plutôt d’animateurs eaux pluviales, font bouger les lignes au sein des différents services, parmi les élus et vis-à-vis des citoyens dans la manière de concevoir les espaces : ce n’est pas qu’un métier technique, mais aussi un métier d’animation, avec des missions d’accompagnement au changement.

Au-delà de l’inter-service, il faut aussi faire travailler ensemble communes et intercommunalités, du fait de la répartition des compétences. La gestion des eaux pluviales urbaines, plus encore que les autres services techniques, ne peut pas fonctionner en silo.

Enfin, il faut également établir un lien avec les propriétaires fonciers :  les espaces privés composent après tout 60 à 80% de l’espace urbain et la gestion des eaux pluviales sur les parcelles est très impactante sur le fonctionnement du système collectif ! En cela, l’aménagement des jardins privatifs est un levier majeur d’infiltration des eaux. L’élaboration des zonages eaux pluviales, et leur intégration dans les documents d’urbanisme (PLU) permet d’établir des règles de gestion des eaux pluviales à la parcelle et des limites quant au raccordement au système collectif. En effet, la collectivité n’a pas l’obligation de recueillir les eaux de ruissellement générées par l’aménagement des parcelles. De plus en plus de collectivités définissent des règles qui consistent à gérer intégralement l’eau à la parcelle, par infiltration, ou de gérer les premiers millimètres de pluie (stockage) puis, si nécessaire, d’aménager un rejet à débit limité vers le système collectif.

Justement, comment mobiliser davantage les citoyens autour de ces enjeux ?

La meilleure démonstration est l’exemple ; il faut inviter les collectivités à oser ! Oser prendre des risques sur des opérations emblématiques dans l’espace public et ainsi répondre aux craintes quant au fonctionnement des aménagements, vis à vis des débordements, des inondations, de l’entretien… En cela, les retours d’expérience d’ilots de fraicheur et de cours oasis dans les écoles sont utiles. Il s’agit de vaincre certaines peurs sur le fait que les enfants se salissent, ou qu’ils aient moins d’espace pour jouer, que cela ne fonctionne pas ou vieillisse mal. Ce sont des projets intéressants car ils permettent de sensibiliser à la fois les enfants, les parents, les enseignants, et les services techniques. Et pour les élus ce sont des opérations très valorisantes, esthétiques, bien perçues par les habitants, fonctionnelles, et peu couteuses, voire moins couteuses que des systèmes techniques centralisés.

Sur bon nombre de projets mettant en œuvre des solutions fondées sur la nature, nous devons probablement changer de posture. Il ne s’agit plus de convaincre du bien-fondé de ces solutions, mais plutôt d’accompagner une demande citoyenne qui émerge : plus de nature en ville, une meilleure gestion de la ressource, des espaces ombragés, plus frais, qualitatifs, avec potentiellement des démarches plus participatives

Bien sûr, il faut une stratégie globale pour développer la gestion à la source de manière plus systématique, mais saisir des petites opportunités est aussi un levier pertinent.

Que suggérez-vous aux lecteurs qui souhaiteraient aller plus loin ?

Il y a 6 ans, le Graie a mis en place un observatoire régional des opérations d’aménagement exemplaires au regard de la gestion des eaux pluviales, pour donner à voir : à ce jour 300 opérations sont recensées, dont 100 avec des fiches descriptives en ligne. Avec l’association Adopta, nous animons depuis 4 ans le réseau francophone des « animateurs territoriaux eaux pluviales », pour qu’ils échangent entre eux sur des questions techniques, mais aussi sur les missions et les postures à adopter pour l’accompagnement au changement. Enfin, nous avons bon nombre d’outils et publications accessibles via un catalogue en ligne des outils et publications utiles.

La preuve par l’exemple et le partage d’expérience sont essentiels pour avancer.

Banque des territoires - Groupe Caisse des dépôts

Cet article vous est proposé par la Banque des Territoires

Créée en 2018, la Banque des Territoires est l’un des cinq métiers de la Caisse des Dépôts. Elle rassemble dans une même structure les expertises internes à destination des territoires. Porte d’entrée client unique, elle propose des solutions sur mesure de conseil et de financement en prêts et en investissement pour répondre aux besoins des collectivités locales, des organismes de logement social, des entreprises publiques locales et des professions juridiques.

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