Désherbiner pour améliorer la qualité de l’eau : une action innovante portée par la CCST90
Pour prévenir les pollutions à la source et agir efficacement sur le court, moyen et long terme, la Communauté de Communes du Sud Territoire (CCST) (90) s’est lancée dans une démarche expérimentale et collaborative baptisée « L’Eau d’Ici » puisqu’elle associe de nombreux acteurs et notamment les services de l’Etat.
L’idée ? Améliorer la qualité de l’eau en protégeant les captages tout en maintenant une activité agricole nourricière et viable grâce à l’utilisation d’une désherbineuse. À rendement équivalent et nécessitant moins d’intrants, cette technique mise en place pour la première fois en France par une collectivité a été couronnée de succès malgré les difficultés rencontrées.
Entretien avec Claude Monnier et Zohra Bachiri
Ce projet est présenté par :
- Claude MONNIER, vice-président de la CCST
- Zohra BACHIRI, chargée de mission l’Eau d’Ici
Claude Monnier
Parole de collectivité
Afin de vous permettre de mieux appréhender la mise en place des projets de gestion de l’eau sur votre territoire, aquagir part à la rencontre d’élus et de porteurs de projets qui sont passés à l’action
Comment le sujet s’est-il imposé à l’agenda de votre collectivité ?
La CCST, qui distribue l’eau en régie depuis 2010, dispose de 9 captages. Or depuis les années 2000, certains de nos captages, dont celui de Saint-Dizier-l’Évêque prioritaire, dépassent les normes autorisées pour les produits phytosanitaires d’origine agricole. À l’époque, certaines actions ponctuelles inscrites dans le cadre de mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) avaient été menées, mais malgré un certain succès, celles-ci ne s’inscrivaient pas sur le long terme.
En 2020, la problématique de fond était toujours la même : comment distribuer une eau potable de bonne qualité ?
Après avoir échangé avec nos partenaires d’État, nous avons appris qu’il existait dans l’arsenal des outils à notre disposition le PRSE3 (programme régional santé environnement) piloté par la DREAL dans lequel l’action 54 favorise la mise en place de projets de territoire qui ont un impact sur la qualité de l’eau. Nous avons la prétention de connaître notre territoire, nos habitants, nous savons comment parvenir à une meilleure qualité de l’eau, nous avons donc décidé de prendre nos responsabilités et signé en janvier 2023, la charte “l’Eau d’ici”. Cette démarche est basée sur le volontariat des différents acteurs, dont les agriculteurs et sur la co-construction de solutions. Au terme des premières réunions, le désherbinage nous est apparu comme une action importante à mettre en place.
Quelles sont les sources d’inspiration que vous avez suivies pour vous faire une idée de ce projet ?
Dès 2020, nous avons amorcé un travail de réflexion, écarté les propositions à court terme pour nous pencher sur la réduction des polluants à la source. Le produit phytosanitaire qui nous posait le plus de problèmes était le S-métolachlore, un herbicide du maïs. Préconisé pour remplacer l’atrazine, il est, pour les agriculteurs, le produit idéal. Peu cher et très efficace, il est très utilisé, or ses métabolites contaminent la plupart des captages de France.
Après étude, nous avons estimé que si sur la totalité de la surface on diminuait de 20 % l’apport en phyto, nous serions en dessous des normes. La désherbineuse est une machine déjà utilisée chez les agriculteurs en bio (sans la partie pulvérisation). Le constructeur, installé dans la région, a adapté la machine pour qu’elle réponde à notre problématique.
Est-ce qu’une étude de faisabilité et/ou d’impact a été réalisée sur ce projet ?
Dans un premier temps, nous avons regardé l’historique des qualités d’eau dans tous nos puits de captage. Les courbes sont stables, voire ascendantes. Notre volonté, dès le départ, a été de construire quelque chose de durable. D’où l’idée de réduire en amont l’apport de produits phytosanitaires, de travailler à la source.
Le maïs, c’est une ligne de semis tous les 80 cm, nous nous sommes dit que désherber de façon mécanique entre les lignes de semis devrait permettre de diminuer les apports en herbicide.
Considérée comme inefficace par la profession agricole, en raison des conditions météo antagonistes entre la pulvérisation et l’arrachage des mauvaises herbes, de la difficulté technique et de la complexité de conduite sur le terrain, le désherbinage permet pourtant de diminuer la dose de phyto de 70%, ce qui est quand même énorme !
Concernant les compétences, quels sont les principaux sujets à maîtriser avant de se lancer dans ce projet ?
La désherbineuse est une machine complexe qui nécessite un mécanicien spécialisé pour la mise en place.
Le tracteur est guidé par satellite, la désherbineuse, accrochée derrière, se déplace avec un mouvement latéral gauche-droite contrôlé par des caméras colorimétriques qui aident la machine à suivre la lignée. La pulvérisation se fait sur 12 à 15 centimètres de largeur seulement. Un système adapte la hauteur des griffes à la profondeur et à la souplesse au sol. C’est également un investissement financier conséquent, assumé en totalité par la Communauté de Communes du Sud Territoire.
Lors de la phase de diagnostic et de planification, comment la collectivité a-t-elle assuré le bon dimensionnement du projet et l’adhésion des agriculteurs ?
Pour faire adhérer les agriculteurs, nous avons essayé d’être pragmatiques. Nos objectifs étaient d’obtenir un bon état de la qualité de l’eau et de ne pas diminuer la productivité agricole ni l’équilibre économique des exploitations et des filières. Facile à dire mais extrêmement plus compliqué quand on veut passer à la phase pratique.
Notre territoire comporte près de 80 exploitants, une vingtaine étaient prêts à s’engager au début de l’action. Finalement, 12 agriculteurs nous ont suivis et nous avons pu expérimenter la désherbineuse sur 120 hectares en 2023.
Les résultats ont été exceptionnels, il faut toutefois souligner les conditions météorologiques qui étaient idéales. L’hiver dernier, lors de la préparation de la campagne 2024, le même nombre d’agriculteurs ont souscrit, mais sur une surface doublée (240 hectares). Malgré les conditions météorologiques désastreuses, nous avons pu traiter 120 hectares avec la même efficacité que 2023.
Comment la collectivité a-t-elle financé ce projet et quelles sont les aides sollicitées/obtenues ?
Pour les agriculteurs ou les groupements, il y a des aides possibles pour acheter du matériel spécifique, entre 40 et 60 % selon les sources et les taux de subvention. Au moment de la signature de la charte, nos partenaires d’État nous avaient assurés de leur soutien. Au final, nous n’avons eu droit à rien du tout parce que nous étions une collectivité. Les 50 élus de la CCST ont été unanimes et ont voté pour maintenir l’achat de la désherbineuse, nous avons donc investi 100 000 € sur les fonds de la collectivité.
L’idée de départ était de mettre la machine à disposition des agriculteurs, mais compte-tenu de la complexité et de la technicité du matériel nous avons cherché un prestataire. Nous lui mettons la machine à disposition et avec son tracteur, il s’occupe de désherbiner les champs des exploitants volontaires.
La prestation coûte 107 € l’hectare, nous avons estimé qu’elle permet à l’agriculteur d’économiser à peu près 50 € de produits chimiques par hectare, et comme il prend un risque, nous le finançons à hauteur de 50 % via une participation de 50 €/hectare.
De plus, en vue de mener à bien la démarche, la CCST a recruté un agent dédié, Zohra Bachiri, dont le poste est financé à 70 % par l’agence de l’eau pour animer le projet “l’eau d’ici”. Nous sommes également sur le point d’embaucher une personne pour réaliser une thèse de 3 ans sur les BNI, mais aussi plus largement sur l’adaptation des pratiques agricoles pour l’amélioration de la qualité de l’eau.
Coût : 150 000 € financés à hauteur de 105 000 € de l’Agence de l’eau et de 45 000 € du Fonds vert de la DDT.
Quels sont les autres acteurs qui vous ont accompagné dans la préparation et la réalisation de ce projet ?
Cette démarche, basée sur le volontariat des différents acteurs, dont les agriculteurs et sur la co-construction des solutions, est soutenue par de nombreux partenaires institutionnels tels que l’État, l’Agence Régionale de Santé (ARS) Bourgogne Franche-Comté, la Chambre Interdépartementale d’Agriculture (CIA) Doubs-Territoire de Belfort, l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse, l’Institut National de la Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) qui travaille en partenariat avec Dijon Agro et le Département du Territoire de Belfort.
Notre vocation n’étant pas de faire du développement agricole, nous avons également passé une convention de partenariat avec la Chambre Interdépartementale d’agriculture Doubs-Territoire de Belfort (CIA 25-90) pour l’animation du dispositif auprès des agriculteurs.
Profitez d’une offre de financement des projets en faveur de l’environnement : gestion de l’eau, etc.
Le projet en détails
Dates clés
Août 2019
Mai 2021
Janvier 2023
2023
Chiffres clés
9
70
120
240
À retenir
Moins d’intrants et pas de pertes de rendements pour les agriculteurs
Une meilleure qualité de l’eau : le captage de Saint-Dizier-l'Évêque est redevenu sain, et les quantités de pesticides diminuent sensiblement depuis 1 an.
Difficile de faire face aux administrations quand on est précurseurs. Dès le départ nous avions signifié que nous ne voulions pas d'actions parachutées parce qu'elles sont mal ciblées. La plupart des décisions prises à Paris ne sont pas spécifiques aux territoires.
Ressources
Charte d’engagement “L’eau d’ici”
La Charte d’engagement “L’eau d’ici” vise à préserver et restaurer la qualité de l’eau dans la région Bourgogne-Franche-Comté. Signée le 24 janvier 2023, elle mobilise divers acteurs locaux, dont les agriculteurs, les collectivités, et les associations, pour mettre en œuvre des actions concrètes. L’objectif est de prévenir les pollutions à la source, notamment celles dues aux pesticides, et de maintenir un service public d’eau potable à un prix raisonnable.
Communiqué de presse : L'eau d'ici
Ce communiqué de presse présente l'initiative "L'Eau d'Ici", une démarche innovante lancée par la Communauté de communes du Sud Territoire (CCST) en collaboration avec plusieurs partenaires institutionnels. L'objectif principal de cette initiative est d'améliorer la qualité de l'eau dans le Sud Territoire à travers une approche collaborative et transversale.
Vidéo: Signature de la charte d'engagement "L'eau d'ici" à Delle
Illustration de l'accompagnement réalisé par l'atelier des solutions de la DGALN au service de la transition écologique.