Besoin d'aide ou de conseils personnalisés pour votre collectivité ?

Pourquoi intégrer la réciprocité économique dans les marchés publics ?

Cet article a été rédigé par Florence Léandri

Arnaud Tréguer, président d’ITEA et directeur commercial Europe du Sud et export chez PAM Saint Gobain
Crédits photos : Arnaud Tréguer

A ce jour, environ 1000 collectivités territoriales utilisent le bouclier de la réciprocité économique contre la concurrence déloyale. Coté gestion, elles en retirent des avantages comme la sécurisation des approvisionnements et la qualité des fournitures et du service après-vente. Le point sur cette question avec Arnaud Tréguer, président d’ITEA et directeur commercial Europe du Sud et export chez PAM Saint Gobain et, le syndicat des professionnels du transport de l’eau et de l’assainissement, deux entités qui ont œuvré pour faire connaitre la réciprocité économique auprès des collectivités territoriales.

Arnaud Tréguer est président d’ITEA et directeur commercial Europe du Sud et export chez PAM Saint Gobain

«Quand j’invite quelqu’un à diner chez moi je m’attends en retour à ce qu’il m’invite à diner chez lui». Arnaud Tréguer indique emprunter ces mots à Margrethe Vestager, ancienne Commissaire européenne à la concurrence : «cette image décrit bien la réciprocité économique», instaurée au sein de l’Union européenne en 2014 pour lutter contre les pratiques déloyales de pays tiers dans les marchés publics. Cet instrument de défense permet en effet d’exclure des marchés publics les acteurs de pays dont les marchés publics sont fermés aux Européens. Dont par exemple de grands pays comme la Turquie, la Chine, l’Inde, et l’Iran qui n’ont signé aucun accord relatif aux marchés publics avec l’Union européenne ou l’OMC (1) et qui réservent à leurs acteurs nationaux l’accès à leurs marchés publics.

La réciprocité économique a été transposée dans le Code de la commande publique à l’article L.2153-1 qui indique que vis-à-vis de pays tiers non liés par un accord «les acheteurs peuvent introduire dans les documents de la consultation des critères ou des restrictions fondés sur l’origine de tout ou partie des travaux, fournitures ou services composant les offres proposées ou la nationalité des opérateurs autorisés à soumettre une offre».  Et une offre présentée dans le cadre de la passation d’un marché de fournitures «peut être rejetée lorsque les produits originaires des pays tiers représentent la part majoritaire de la valeur totale des produits composant cette offre» (article L.2153-2).

Recourir à la réciprocité économique : pourquoi et comment ?

Si les textes précités ouvrent une possibilité, une faculté d’exclure, pour Arnaud Tréguer, les acheteurs publics doivent s’en saisir : «la dimension financière des achats publics et leur rôle dans le paysage industriel imposent d’en avoir une vision globale et donc citoyenne. Il faut avoir en tête les conséquences des achats publics et leur possible rôle de soutien aux entreprises européennes pour qu’elles exercent dans un cadre loyal».

Au-delà donc de cette motivation citoyenne, des intérêts pratiques existent. Exclure les pays non-signataires est un choix clair qui permet de «s’appuyer sur des opérateurs qui offrent une vraie sécurité d’approvisionnement, des produits et services de plus grande qualité, de la durabilité et un bilan carbone plus favorable» énumère Arnaud Tréguer. «De plus, les marchés passés avec une clause de réciprocité sont exécutés en toute ou grande partie par des acteurs locaux. C’est donc bon pour le territoire ne serait-ce qu’en terme d’emplois.  Et c’est aussi une participation à l’effort national au travers des contributions sociales et taxes versées».

Pour faire jouer une concurrence loyale dans les marchés publics, la clause de réciprocité économique n’est pas la seule piste : le recours au mécanisme de l’offre anormale basse ou à de normes techniques (environnementales notamment) très exigeantes peut être envisager mais «intégrer l’article L2153-1 à ses marchés publics reste l’option la plus facile et la plus efficace car elle exclut les produits, services ou entreprises de pays tiers non-signataires au premier euro». Comment ? En transposant l’article dans les règlements de consultation (RC) ou les appels d’offres et/ou les cahiers des clauses techniques particulières (CCTP) et en expliquant le contexte qui préside à ce choix : faire jouer la réciprocité. Ainsi, le syndicat ITEA propose d’insérer la clause suivante dans tout CCTP : «L’entrepreneur, en application de l’article L.2153-1 du Code de la commande publique présentera des solutions de canalisations ou d’éléments constitutifs du réseau provenant uniquement des pays signataires de l’accord sur les marchés public (AMP)».

1000 collectivités en France recourent à la réciprocité économique : pourquoi pas plus ?

A ce jour environ 1000 collectivités sur les 30 000 existantes recours à la clause de réciprocité dans leurs marchés publics. Certaines sont des collectivités conséquentes comme Toulouse, Pau et Saint Quentin (plus de 55 000 habitants). Mais d’autres plus petites le font aussi telle Prades (6000 habitants en 2015) dont l’ancien Premier ministre Jean Castex fut le maire ou encore le Syndicat Mixte des Eaux Laffon de Ladebat (SieLL).

Ce n’est donc pas seulement une question de moyens ou de compétences qui bloque le recours à la clause de réciprocité, d’autant que «dans le domaine de l’eau ce sont les petits syndicats qui ont initié le mouvement ; les grandes métropoles ont suivi» relate Arnaud Tréguer.

La transposition tardive des directives de 2014 en France – fin 2018 seulement-, la responsabilité personnelle des acheteurs publics sur les achats passés par eux, les choix des collectivités tenant avant tout compte du prix peuvent expliquer le retard de la France sur la réciprocité économique comparé à l’Italie ou aux pays nordiques qui s’en sont emparés plus vite. «Courant 2019 l’ITEA a commencé a porté la bonne parole auprès des collectivités en leur présentant la clause de réciprocité économique qui très souvent n’était même pas connue. Nous avons aussi porté notre message au niveau des pouvoirs publics. Mais nous avons trouvé une écoute bien plus attentive avec la crise Covid très révélatrice des problèmes de chaines de valeur, des incapacités de production et des enjeux de souveraineté et de réindustrialisation. La réciprocité économique est une réponse à cela». Enfin le règlement (UE) 2022/1031 du 23 juin 2022 est venu lever certaines incertitudes juridiques qui pouvaient être un frein à l’utilisation de la clause de réciprocité économique.

Utiliser cette clause revient pour les collectivités à initier une remise en question profonde de l’achat public traditionnel : « cela nécessite de dépasser dans les marchés publics le seul coût transactionnel pour intégrer aux critères de choix le coût global de détention, le bilan carbone, la durabilité, le service après-vente, indique Arnaud Tréguer. Il faut des compétences et une volonté politique. Mais la réciprocité économique est un sujet stratégique pour l’industrie française et européenne qui produit d’excellents résultats. Et aucun contentieux depuis cinq ans qu’elle est déployée » se félicite le président de l’ITEA qui se réjouit de voir que cette question commence à dépasser la gestion de l’eau : «la filière optique, le granit breton mais aussi les transports s’intéressent à la démarche portée par ITEA. Et la réciprocité économique pourrait aussi être utilisée dans le solaire afin d’éviter de fragiliser plus encore la filière européenne».

____________________________________________

La liste des pays non-signataires se définit par défaut en se basant sur la liste des pays tiers à l’Espace économique européen et ayant signé soit l’Accord sur les marchés publics (AMP) conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce soit un accord bilatéral avec l’Union européenne comportant des engagements d’ouverture des marchés publics.

Cet article vous est proposé par aquagir

aquagir est un collectif d’acteurs œuvrant dans l’accompagnement de bout-en-bout des projets de gestion des eaux dans les territoires avec une vision globale, collective et écosystémique des enjeux et des solutions.  aquagir regroupe l’ANEB, la Banque des Territoires, le BRGM, le Cercle Français de l’eau, les pôles de compétitivité de la filière eau Aqua-Valley et Aquanova et l’UIE (Union des Industries et Entreprises de l’Eau)

Auteur(s) du contenu

Vous pourriez aussi aimer

Infographie : Les cinq compétences “Eau” des élus locaux

Distribution de l’eau

Distribution d’eau potable, assainissement des eaux usées, gestion des eaux pluviales urbaines, gestion des milieux aquatiques et préventions des...

Les cinq compétences “Eau” des élus locaux

Gestion des eaux pluviales

Les compétences locales de l’eau sont au nombre de cinq : la distribution de l’eau potable, l’assainissement des eaux usées,...

Vous n'avez pas trouvé le contenu que vous cherchez ?
Faites-nous en part

Vous avez besoin d'un contenu sur un sujet particulier ?

Les champs marqués de * sont obligatoires

Seuls les numéros et caractères #, -, * sont acceptés.