Le champ de Mars à Belfort (90), un projet exemplaire de gestion intégrée des eaux de pluie
À Belfort (90), l’avenue du Champ de Mars s’est transformée en laboratoire grandeur nature de ville durable. Dégradée et nécessitant une requalification lourde, cette grande artère de 400 mètres offrait une configuration propice pour porter un projet de gestion intégrée des eaux pluviales (GIEP) exemplaire.
Plus qu’un simple chantier routier, il s’agit d’une réponse concrète aux défis actuels : limiter les inondations, recharger la nappe phréatique, désengorger la station d’épuration, favoriser la biodiversité et sécuriser les mobilités actives.
Portée par une forte volonté politique, ce projet est l’aboutissement d’un travail transversal, associant les services Espace Public et Mobilités de la mairie de Belfort et la Direction de l’Eau et de l’Environnement de la communauté d’agglomération de Belfort.








Entretien avec Jean-Marie Herzog, Bertrand Delavelle et Gilles Roy

Ce projet est présenté par :
- Jean-Marie Herzog, Adjoint au maire de Belfort chargé de l’Urbanisme et aménagements publics
- Bertrand Delavelle, Responsable Services Espace Public et mobilités
- Gilles Roy, Responsable du bureau d’études de la Direction de l’Eau et de l’Environnement
Parole de collectivité
Afin de vous permettre de mieux appréhender la mise en place des projets de gestion de l’eau sur votre territoire, aquagir part à la rencontre d’élus et de porteurs de projets qui sont passés à l’action
Comment le sujet s’est-il imposé à l’agenda de votre collectivité ?
Jean-Marie Herzog : L’avenue du Champ de Mars était en très mauvais état, d’ailleurs la Fédération des Motards en Colère nous avait interpellés au sujet des nids de poule en avril 2023. Les travaux ont donc été inscrits au calendrier 2024 des chantiers routiers. Cela fait plusieurs années que la ville cherche à répondre aux enjeux d’adaptation climatique, de biodiversité urbaine et de mobilité durable, pour preuve nous avons inauguré en 2024, la place de la République. Un nouvel espace de 2700 m2 entièrement réaménagé en îlot de fraîcheur, avec un miroir d’eau. Celui-ci est alimenté exclusivement par la récupération d’eau de pluie, en circuit fermé, grâce à la mise en place de deux citernes souterraines d’une contenance totale de 110 m³. Suite au succès de cet aménagement, lorsque Bertrand Delavelle nous a présenté le projet du Champ de Mars, nous avons sauté sur l’occasion.
Bertrand Delavelle : Le projet de l’avenue du Champ de Mars a été l’occasion de répondre aux enjeux du moment : limiter les inondations, nourrir la nappe phréatique et désengorger la station de traitement des eaux usées. De plus, nous avons essayé de rendre cette avenue exemplaire à tout point de vue. Sur la question des modes alternatifs à la voiture, du fleurissement, de la gestion intégrée des eaux pluviales (GIEP), de la signalisation, de la régulation tricolore… nous sommes allés au bout du projet.
Tous les ans, nous établissons un programme, en lien avec l’enveloppe qui nous est allouée en fonction des orientations politiques, de la vétusté du patrimoine et/ou des opportunités, que nous présentons en amont à tous les acteurs, dont nos collègues du Grand Belfort qui gèrent les réseaux d’assainissement et d’eau potable de la ville. Cela nous permet de nous concerter et de nous coordonner sur les travaux afin de limiter les coûts et la gêne.
Nous avions planifié l’avenue du Champ de Mars en 2024, avec toute une série d’autres projets. L’accord d’abattage des arbres a été notifié le 23 février 2024 ce qui nous a permis de commencer dès le mois de mars. À la suite de quoi, les travaux de nos collègues du service des eaux sur le réseau AEP (adduction d’eau potable) ont débuté en avril et nous avons entrepris les travaux de voirie en mai pour finir avec les plantations en automne.
Gilles ROY : Sur ce secteur, nous avions une canalisation d’eau potable dégradée et nous projetions d’alimenter toute la zone par le réseau haut service afin d’optimiser la distribution. Le fait de coordonner nos travaux avec les travaux de réaménagement de voirie a permis d’optimiser le coût des travaux et de minimiser la gêne aux riverains. En dimensionnant l’ouvrage pour un événement d’occurrence centennale, nous sécurisons le site, nous évitons les inondations en aval et réduisons les rejets d’eau usées dans la rivière. Une autre problématique prégnante est la rareté de la ressource en eau. Malgré les pluies hivernales, nous sommes confrontés en été à des sécheresses de plus en plus fréquentes. Le fait d’infiltrer l’eau dans la nappe permet de la recharger et donc de répondre à un enjeu stratégique pour le Territoire. Sur l’avenue du Champ de Mars, tout a été déconnecté, ce qui représente près de 8 000 m3 d’eau qui retournent dans la nappe.
Sur l’avenue du Champ de Mars, tout a été déconnecté, ce qui représente près de 8 000 m3 d’eau qui retournent dans la nappe.
Quelles sont les sources d’inspiration que vous avez suivies pour vous faire une idée de ce projet ?
Bertrand Delavelle : En début de projet, nous avons fait une visite sur site avec le Cabinet Elleny, un bureau d’étude de l’ouest de la France. Michel Bénard, son fondateur, est un ancien ingénieur des travaux publics. C’est un précurseur dans la déconnexion, il nous a démontré que l’infiltration peut se pratiquer partout et à moindre coût.
L’architecture du projet a ensuite été proposée par le maître d’œuvre (Bureau du paysage à Montbéliard).
Jean-Marie Herzog : Il faut sortir les services de leurs bureaux et qu’ils aillent voir ce qui se fait ailleurs. Pour le miroir d’eau de la place de la République, nous sommes allés à Dijon pour comprendre comment ils faisaient fonctionner leurs fontaines et anticiper les budgets à prévoir.
Bertrand Delavelle : Dans la fonction publique, il n’y a pas d’espionnage. C’est indispensable de s’intéresser à ce qui se passe ailleurs. Si on voit un système qui fonctionne, on prend contact avec le service concerné, on se rencontre, on partage. Par exemple, nous sommes allés à Colmar où ils ont construit un parcours autour de la GIEP avec mise en avant des solutions techniques.
Y a-t-il des compétences ou sujets spécifiques à maîtriser avant de se lancer dans ce projet ? Avez-vous obtenu l’adhésion des citoyens et/ou coconstruit avec eux ?
Jean-Marie Herzog : Il faut la volonté politique d’accompagner ce type de projet.
Concernant l’adhésion des citoyens, à Belfort tout se fait en concertation. Nous organisons des conseils de quartier au printemps et à l’automne dans chacun des neuf quartiers de Belfort. Lors de ces événements, tous les travaux prévus sont présentés aux citoyens.
Bertrand Delavelle : Ce temps d’échange nous permet de lever les problèmes d’acceptabilité sociale qui sont inhérents à tous les projets. Les crispations autour de la voirie sont principalement liées à la perte de places de stationnement. Or l’avenue du Champ de Mars n’en avait pas. De fait, nous n’avons eu aucun retour négatif et nous avons pu installer des aménagements très novateurs pour les vélos avec un feu spécial pour sortir en toute sécurité dans la circulation, sans continuer sur les trottoirs comme cela se faisait avant.
Si on est axé infiltration, il faut savoir ce qu’est une surface active par exemple, comment l’utiliser pour infiltrer et comment la maximiser dans un projet.
C’est-à-dire savoir calculer la quantité d’eau moyenne qui tombe sur un jour en fonction de la surface active, ceci afin de déterminer le volume à stocker, le temps de vidange.
C’est une évolution sociétale, alors que l’ingénierie routière reposait sur un principe intangible « pas d’eau sous la route », on revoit totalement cette logique. Il ne s’agit plus de faire disparaître l’eau, mais de l’intégrer et de la gérer. Il faut accepter que l’eau soit présente le temps qu’elle s’évacue. Si ce n’est pas sur la route, ou sur le chemin, ce n’est pas grave.
Une voirie n’est requalifiée en lourd que tous les 30 ans en moyenne, on n’a pas le droit de se tromper. Avec ce projet, nous avons l’impression d’avoir inscrit la ville de Belfort et ses habitants dans l’avenir. C’est un travail collectif dont on est fiers.
Gilles ROY : Gérer l’infiltration suppose une étude fine mais aussi un soutien politique fort. Nos élus, conscients de l’enjeu que représente la GIEP pour leur Territoire, nous poussent à nous montrer novateurs et ambitieux. C’est grâce à leur soutien que ce type de projet a pu voir le jour.
Avez-vous mené une étude en amont du projet pour définir sa faisabilité et/ou son impact ? Comment avez-vous assuré le bon dimensionnement du projet ?
Bertrand Delavelle : Nous n’étions pas soumis aux études d’impact environnemental, nous avons eu des recommandations quant à l’abattage des arbres surtout par rapport aux cavités pour les chiroptères. Et comme nous désimperméabilisions, tous les voyants étaient au vert.
La principale difficulté concernait l’abattage d’anciens arbres alignement. Nous avons établi un dossier démontrant la nécessité impérieuse de les enlever. En effet, ils étaient en très mauvais état (les pieds étaient vidés), les garder nous aurait posé beaucoup de problèmes pour infiltrer l’eau. L’autre point de vigilance touchait une voie de sélection que nous avons supprimée, ainsi qu’une voie en tourne à droite et une en tourne à gauche qui ont fusionné. Les études de trafic montraient bien que cette deuxième voie n’était pas impérative. Nous avons aussi travaillé avec un auditeur externe pour traiter les traversées de carrefours, les continuités, ce qui nous a permis de corriger un certain nombre de choses.
Les travaux ont duré cinq mois. La route, coupée pendant une partie du chantier, a été réouverte assez rapidement. Les plantations ont été effectuées sur route circulée.
Quand j’ai commencé dans le métier, la circulation devait être maintenue à tout prix. Aujourd’hui, les habitants sont prévenus suffisamment en amont pour qu’ils puissent prendre leurs dispositions en journée, le soir ils peuvent rentrer chez eux. Fermer une route permet aussi de raccourcir un chantier et de le sécuriser.
Gilles ROY : Un des grands principes de la GIEP est que l’eau doit s’infiltrer là où elle tombe. Cela évite sa concentration mais aussi sa contamination. Dans le cas de l’avenue du Champs de Mars, il n’existe aucun avaloir réduisant donc tout risque de colmatage par les feuilles. L’eau s’écoule naturellement vers la noue sur tout le linaire de la voirie. Cela a imposé un niveau fini, une pente en travers, et la mise en place de bordures noyées. C’est donc toute la conception de l’aménagement qu’il faut adapter.
Pour optimiser le volume de stockage des noues, des cloisons transversales ont été ajoutées. Un système d’échancrure permet de déverser l’excédent d’un tronçon dans le tronçon aval. Les noues ont également été paysagées. En effet, la végétation, grâce à son système racinaire, va aérer le sol. Des études montrent que la végétalisation d’une noue permet d’augmenter d’un facteur mille la perméabilité du sol au bout de 6 mois. Au-delà de l’intérêt hydraulique, ce type d’aménagement permet aussi d’apporter du végétal en ville et donc de lutter contre les îlots de chaleur.
Comment la collectivité a-t-elle financé ce projet et quelles ont été les aides sollicitées/obtenues ?
Le projet a coûté 863 000 € TTC. La partie Voirie Réseaux Divers représentait 621 000 € et les espaces verts 160 000 €.
C’était principalement de l’autofinancement. Nous avons bénéficié de la DSIL (dotations de soutien à l’investissement local) pour la partie piste cyclable. C’est un budget assez exceptionnel, il y avait un linéaire de 400 mètres. En général, pour les projets de cette taille sont découpés sur plusieurs exercices.
Quels sont les autres acteurs qui vous ont accompagnés dans la préparation et la réalisation de ce projet ?
Pour la partie externe,
Le Bureau du Paysage à Montbéliard a été maître d’œuvre.
Le cabinet ELLENY, spécialisé dans la gestion intégrée des eaux pluviales (GIEP)
VEL’Impulse, bureau d’études spécialisé dans les mobilités actives
Eurovia, l’entreprise titulaire du marché d’aménagement de l’espace public pour la Ville de Belfort
Et puis après de ressources internes : le service cadre de vie, autrement dit, les espaces verts. J’ai travaillé avec David Kempf, un collègue qui est parti depuis.
Et puis nous avons travaillé avec les services du Grand Belfort en interne.
Quels conseils donneriez-vous à un élu qui souhaiterait se lancer dans un projet similaire ?
Jean-Marie Herzog : Il ne faut pas être pressé. Pour un grand chantier, il faut les deux tiers dans les bureaux et un tiers de réalisation. Si on fait que la moitié dans les bureaux, la moitié en réalisation, cela dure plus longtemps et cela coûte beaucoup plus cher. Tout doit être réfléchi avant de se lancer.
Profitez d’une offre de financement des projets en faveur de l’environnement : gestion de l’eau, etc.

Le projet en détails
Dates clés
février - mars - avril 2024
mai 2024 - septembre 2024
octobre 2024
décembre 2024
Chiffres clés
400
8 000
863 000
À retenir
La déconnexion complète de l’Avenue du Champ de Mars et l'infiltration de l’eau de pluie dans les noues, un réseau d'eau potable réhabilité dans le cadre d'un schéma global
Un cadre de vie plus agréable, l’avenue est devenue un îlot de fraîcheur, des pistes cyclables parfaitement intégrées et sécurisées et plus de biodiversité grâce aux différentes essences et plantes
Le coût assumé en grande partie par la ville de Belfort
Ressources
Les eaux pluviales de l’avenue du Champ de Mars s’infiltreront dans le sol
L'Est Républicain
Les partenaires de ce projet

Eurovia

Grand Belfort
Les acteurs de la filière eau impliqués dans ce projet
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