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Crise de l’eau : « J’ai espoir que collectivement, nous portions des solutions nouvelles pour une gestion sobre et résiliente de l’eau »

Cet article a été rédigé par Cyrus Farhangi

Crédits photos : Thierry Bonnier

Thierry Bonnier est préfet du département des Pyrénées-Orientales depuis septembre 2023. Il est Chevalier de la Légion d’honneur et Officier de l’Ordre national du mérite.

 

Bonjour Monsieur le préfet et merci d’avoir accepté l’invitation d’aquagir. Qu’avez-vous observé à votre arrivée dans les Pyrénées-Orientales ?

J’étais auparavant préfet de l’Aude où je rencontrais des problématiques assez similaires à celles des Pyrénées-Orientales. Mon expérience m’est donc utile pour appréhender cet enjeu majeur de la gestion de la ressource en eau. J’ai parfois entendu que les acteurs du département avaient considéré que l’eau restait abondante dans le territoire grâce au magnifique réservoir des Pyrénées et du massif du Canigou. Malheureusement, en raison du réchauffement climatique et du rétrécissement du manteau neigeux, les nappes sont de moins en moins rechargées au moment de la fonte !

Début 2023, au regard des difficultés liées à une sérieuse sécheresse et du manque critique d’eau, mon prédécesseur a pris de nécessaires mesures de restriction d’usage de l’eau. Nous demeurons  en crise, le manque d’eau est toujours criant : il faut tout de même noter qu’en 2023 les PO n’ont connu que 250 millimètres de pluie, soit une pluviométrie typique du Sahel !

La prise de conscience fut donc brutale. L’arrêté de crise était une décision indispensable pour contraindre fortement et immédiatement les usages de l’eau. Les réactions furent parfois vives et compréhensibles de la part du monde agricole ou du monde économique (hôtels, campings…), mais globalement l’électrochoc fut salutaire. Je suis aujourd’hui serein et salue la prise de conscience que je sais maintenant partagée par tous. Une fois dos au mur, nous sommes  obligés d’agir ! Pour le préfet que je suis, il me serait plus simple de procéder par restrictions en fermant les robinets dans l’urgence. Je privilégie l’écoute et la concertation et l’approche collective des sujets afin de mieux anticiper les difficultés, plutôt que de les subir. Il nous faut trouver ensemble des pistes d’amélioration pour une gestion sobre et résiliente de l’eau.

Quels sont vos chantiers prioritaires ?

Nous avons adopté un premier plan d’action en début d’année très axé sur les économies et l’optimisation de l’usage de l’eau. Des chartes de bonne conduite dans l’utilisation de l’eau ont été élaborées par des filières professionnelles (hôtellerie et restauration, hôtellerie de plein-air, paysagistes, …) et aussi avec l’AMF pour les communes du département. Ce plan soulignait déjà la nécessité d’avoir et de partager une  meilleure connaissance des volumes d’eau prélevés afin de définir une trajectoire précise d’économies d’eau pour les différents usages et d’adapter nos pratiques au changement climatique. A ce titre, il a par exemple été décidé avec les principaux usagers de l’eau de lutter contre les 2000 forages non-déclarés du département en régularisant ceux qui le justifient. Aujourd’hui,  la consommation réelle pour ces forages est difficilement vérifiable et les restrictions inopérantes alors même qu’elles le sont pour les forages régulièrement déclarés. La régularisation sur laquelle nous sommes engagés obligera évidemment  la pose de compteurs permettant ainsi de contrôler la consommation des usagers concernés. Ce travail de régularisation des forages illégaux est fait en partenariat avec la Chambre d’Agriculture et les professionnels de l’hôtellerie de plein air. La tâche devrait être terminée en début d’année 2025.  Les maires, en prise directe avec leurs administrés, les sensibilisent déjà sur ce sujet et font également œuvre de pédagogie sur leur territoire.

Un autre volet de ce plan consiste à relancer les investissements dans les infrastructures et la rénovation des réseaux, notamment dans les communes présentant les taux de fuites les plus élevés.  Nous devons également nous mobiliser pour rénover notre un réseau historique de canaux d’irrigation, parfois en très mauvais état.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur le volet de la réutilisation de l’eau ?

C’est un grand chantier où la marge de manœuvre reste importante. Il faut dorénavant considérer qu’une goutte d’eau doit servir deux fois ! Par exemple l’usage des piscines est compris dans les chartes signées avec le secteur du tourisme et de l’hôtellerie en plein air : le remplissage des piscines n’est autorisé que si l’eau de la piscine sert ensuite à nouveau pour l’arrosage des rues ou des plantes (le chlore de l’eau n’est plus actif au bout d’un certain temps). Nous comptons également accroître la réutilisation des eaux des stations de traitement : à ce stade nous avons déjà accordé  des autorisations à 7 communes du littoral où la situation était particulièrement critique, et où l’eau non-réutilisée partait directement à la mer. Nous avons par ailleurs aussi contribué à la rédaction du projet de décret du ministre de la Transition Écologique pour favoriser l’utilisation des eaux grises, comme les eaux de toitures par exemple. Par ce type de mesures, avec tous les acteurs du département, nous souhaitons démontrer  que la crise importante que nous connaissons permettra de déployer des réponses nouvelles utiles à d’autres territoires  confrontés à des  problématiques identiques dans un futur proche.

Observez-vous de premiers résultats de votre action ?

Tout à fait. Les actions entreprises en 2023 ont déjà entraîné une diminution d’environ 16 % de notre consommation annuelle départementale en eau. Les efforts ont aussi été très marqués au cours de l’été 2023. A  Perpignan Métropole par exemple (36 communes), une baisse de consommation de 30 % a été constatée par rapport à l’été 2022. La prise de conscience est réelle chez les particuliers et l’ensemble des acteurs économiques. Des actions positives ont même été réalisées, y compris lors des matchs de rugby, avec la distribution gratuite de mousseurs pour réduire le débit des robinets. La vigilance des usagers s’est sérieusement renforcée, et les gestes éco-responsables se sont multipliés.

Quelle sera la suite de vos efforts ?

Christophe Béchu, Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a validé le « plan de résilience pour l’eau dans les Pyrénées-Orientales » en mai 2024. Ce plan vise à faire du département un démonstrateur d’adaptation au changement climatique et favoriser l’action pour une gestion résiliente et innovante de la ressource en eau. Le plan d’action a été coconstruit avec toutes les parties prenantes avec un  soutien financier des pouvoirs publics, avec des cofinancements nouveaux : 10 millions d’euros supplémentaires apportés par l’Agence de l’eau, le Fonds hydraulique agricole, et les Aqua Prêts de la Banque des Territoires qui nous permettront d’amortir sur le temps long des investissements structurants. Les 10 millions d’euros de l’Etat vont financer des projets d’adaptation à la raréfaction de l’eau. Nous avions reçu 70 projets candidats, et avons à ce stade déjà retenu 7 projets particulièrement fiables, éprouvés, et pouvant être lancés immédiatement. Ces 7 projets d’envergure concernent notamment la réutilisation des eaux usées, la sécurisation des réseaux d’irrigation et du débit des rivières, et la rénovation des réseaux les plus fuyards.

Il y a aussi un sujet ancien consistant à acheminer de l’eau du Rhône dans les Pyrénées-Orientales. L’État et le Conseil régional Occitanie se sont engagés à porter une étude sur le projet Aqua Domitia avec une hypothèse transfrontalière (amélioration de l’efficience du réseau existant / extension du réseau hydraulique régional porté par BRL jusqu’aux Pyrénées-Orientales).

Quelle est votre approche concernant le dessalement d’eau de mer ?

Ce sujet a pour le moment été écarté car sensible en terme d’impact pour l’environnement. Je ne voudrais pas voir disparaître les impressionnants herbiers de Posidonie sur nos côtes. En cas d’extrême nécessité, on ne s’interdit pas d’investir dans de petites unités de dessalement comme cela existe déjà. A ce stade,  ce n’est donc pas une solution privilégiée car nous avons d’autres leviers à activer auparavant.

Comment imaginez-vous l’agriculture locale évoluer à terme ?

La vigne est une culture particulièrement résiliente, qui souffre aussi dans certaine partie de notre territoire, faute d’eau en quantité suffisante. De nouvelles variétés de porte-greffe ont été étudiées et mises en culture. Le monde agricole cherche évidemment à s’adapter. La diversification des cultures est aussi une solution déjà envisagée par beaucoup, avec par exemple le développement de pistachiers, d’oliviers ou d’agrumes, aussi adaptés au climat que nous connaissons. Il reste que les nouvelles plantations ont besoin d’un arrosage notamment les premières années .

Quel message de conclusion souhaiteriez-vous transmettre à vos confrères ?

S’il y a bien un message que je porte en permanence, c’est que l’eau, est et sera un enjeu majeur pour notre avenir. Il n’existe pas de solution miracle ! Ce sujet nous oblige donc collectivement à agir, à envisager des solutions nouvelles, sans tabou pour envisager des solutions adaptées à chaque territoire et aux évolutions que nous connaissons. La résilience ne doit pas être un concept mais une réalité partagée.

Cet article vous est proposé par aquagir

aquagir est un collectif d’acteurs œuvrant dans l’accompagnement de bout-en-bout des projets de gestion des eaux dans les territoires avec une vision globale, collective et écosystémique des enjeux et des solutions.  aquagir regroupe l’ANEB, la Banque des Territoires, le BRGM, le Cercle Français de l’eau, les pôles de compétitivité de la filière eau Aqua-Valley et Aquanova et l’UIE (Union des Industries et Entreprises de l’Eau)

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