NoCyano : une approche systémique pour lutter contre la prolifération des cyanobactéries dans les étangs de Moselle (57)
Comment concilier développement touristique, pression urbanistique et prolifération de cyanobactéries induites par les activités humaines ? Une question complexe à laquelle a été confrontée la Communauté de Communes de Sarrebourg-Moselle Sud (57) lors de sa création en 2017.
Dangereuses pour la santé à cause des toxines qu’elles produisent, les cyanobactéries foisonnent dans les étangs réservoirs de Moselle. Cette situation entraîne des restrictions sur la baignade, les activités nautiques et la pêche provoquant la grogne de différents acteurs qui se rejettent la balle.
La réponse ? Le programme NoCyano, porté par la CCSMS qui prône une approche systémique pour une gestion durable de la qualité de l’eau. Ensemble, acteurs du territoire et universitaires ont mis en place des outils de surveillance et des actions de coopération pour jouer collectif et remporter ce défi. Une première en France !
Entretien avec Hyacinthe Hopfner, Directeur Général Adjoint de la Communauté de Communes de Sarrebourg-Moselle Sud
Ce projet est présenté par :
- Hyacinthe Hopfner, Directeur Général Adjoint de la Communauté de Communes de Sarrebourg-Moselle Sud
Hyacinthe Hopfner
Parole de collectivité
Afin de vous permettre de mieux appréhender la mise en place des projets de gestion de l’eau sur votre territoire, aquagir part à la rencontre d’élus et de porteurs de projets qui sont passés à l’action
Comment le sujet s’est-il imposé à l’agenda de votre collectivité ?
En 2017, la Communauté de Communes de Sarrebourg-Moselle Sud (CCSMS) a fusionné avec 5 autres comcom puis en 2018, nous avons récupéré la compétence GEMAPI avec les problématiques inhérentes à chaque territoire, dont celle des cyanobactéries.
Créés dans les années 1850- 1860, les étangs réservoirs de Gondrexange, du Stock et de Mittersheim sont reliés par des canaux alimentés par la Sarre Rouge et la Sarre Blanche et gérés par voies navigables de France (VNF). Historiquement, ces étangs servaient de soutien à l’étiage pour les écluses. Or dans les années 60-70, des aménagements touristiques ont commencé à voir le jour en bordure de ces plans d’eau instaurant une pression urbanistique sur l’étang du Stock et sur celui de Mittersheim où la commune a installé un camping d’une capacité de 3500 personnes.
Les tensions étaient très fortes entre VNF, les différentes associations, les entreprises de loisirs aquatiques et les communes. En effet, si VNF autorise les usages, elle continue de prélever l’eau, or les canaux, très fuyards, n’ont plus qu’une pratique récréative pour les bateaux de plaisance. En parallèle, ces étangs présentent des concentrations élevées en cyanobactéries en été, empêchant les touristes de se baigner et les pêcheurs de pêcher.
Le dialogue étant rompu entre tous les intervenants, la CCSMS a été identifiée comme un interlocuteur privilégié. Un rôle que mon président, Roland Klein, a accepté en précisant que nous serions facilitateurs et coordinateurs.
Quelles sont les sources d’inspiration que vous avez suivies pour vous faire une idée de ce projet ?
Mathieu Grub, avec qui je travaillais sur un autre sujet, m’a contacté, en me disant que le bureau d’études Artélia avait monté un consortium d’universités pour étudier les cyanobactéries et cherchait un étang. Nous avons sauté sur l’occasion, créé le cahier des charges avec les universitaires et avons répondu, en tant que collectivité porteuse de projet, à l’appel à projet “eau et santé” initié par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse.
Les cyanobactéries font partie de notre environnement depuis 3 milliards d’années et si elles sont présentes c’est à cause des dysfonctionnements que nous avons créés dans les étangs. Après analyses, nous avons constaté que le milieu est hypereutrophe (très chargé en pollution organique et donc en phosphore), un stade qui n’existe pas naturellement et propice au développement des cyanobactéries.
Cette pollution organique a plusieurs origines : les phosphates ménagers issus des lessives et de notre consommation de protéines ainsi que les engrais agricoles qui ruissellent dans les étangs. Nous avons commencé en 2022, avec pour objectif de se donner trois ans pour établir l’état des lieux et définir les perspectives d’un plan d’action.
Toutes les parties prenantes avaient une solution : bétonner les fonds, curer les ruisseaux, jeter de la chaux vive , mettre des carpes … à un moment donné, il a fallu se poser les bonnes questions pour avancer : comment réduire efficacement le phosphore ? Quelle part vient des sédiments, de l’agriculture et de l’assainissement ?
Il y a eu également une approche des acteurs du territoire avec le laboratoire Lavue qui a mené des enquêtes sociologiques sur la perception des étangs auprès de tous les protagonistes. À la suite de quoi, ils nous ont proposé une liste d’actions possibles.
Par exemple, la première a été de déployer des campagnes de mesure des concentrations de chlorophylle et de phosphore renforcées par un suivi satellitaire. Nous avons donc maintenant des informations très précises.
De plus, une démarche participative de surveillance a été mise en place. Grâce à l’application NoCyano les observateurs peuvent signaler la présence de cyanobactéries. Les sentinelles, elles, sont chargées de prélever l’eau et d’envoyer les prélèvements pour analyse.
Est-ce qu’une étude de faisabilité et/ou d’impact a été réalisée sur ce projet ?
Nous avions dans un premier temps fait appel à des étudiants en master d’AgroParisTech pour faire des enquêtes de terrain afin de récolter un maximum de données pour défricher la thématique. C’est à ce moment-là que nous nous sommes rendu compte que VNF n’avait pas d’historique de volume.
L’Agence de l’Eau dispose du logiciel Pégase, une référence dans le milieu, qui lui permet d’estimer la pollution dans les cours d’eau. Sauf qu’à Sarrebourg, la pollution était toujours plus élevée que les estimations du logiciel.
Nous en avons discuté avec l’université de Liège, créatrice de Pégase, qui nous a expliqué que le logiciel ne modélisait que les cours d’eau. Or, nous avons des étangs réservoirs qui stockent la pollution une partie de l’année et la relarguent à un autre moment. De plus, une partie de la pollution arrive dans les canaux à certaines périodes de l’année et est restituée à l’étiage. Tous ces éléments créant des artéfacts dans le modèle, l’université de Liège a adapté spécifiquement le logiciel Pegase sur notre secteur pour que nous puissions avoir une estimation fiable de la quantité de phosphore qui arrive dans les étangs. C’est extrêmement compliqué, il y a eu des calculs de volume et de charge de pollution avec des modélisations, le problème est comment traduire ces volumes pour la compréhension de tous ?
Le Lisode, une coopérative spécialisée dans l’ingénierie de la concertation, a récupéré les données scientifiques simplifiées de Pégase et les a retranscrites, de façon proportionnelle à la réalité, dans un jeu sérieux, c’est-à-dire qu’ils ont reproduit les étangs sur un jeu de plateau avec des cubes de volume d’eau, du phosphore, de l’argent. Les joueurs sont le propriétaire de camping, l’agriculteur, le maire, VNF, l’association de pêche … ce qui permet à chaque joueur de se mettre à la place des autres acteurs pour comprendre les incidences des actions de chacun.
Et grâce à ce type de jeu, on se rend compte que si on travaille en coopération, les cyano ne sont quasiment pas présentes alors que si chacun joue dans son coin, elles prolifèrent. C’est un partage de connaissances et de compétences pour comprendre la complexité de ces étangs.
Concernant les compétences, quels sont les principaux sujets à maîtriser avant de se lancer dans ce projet ?
Pour la CCSMS, il s’agit de coordination, de mise en relation, mais aussi de réflexion par rapport à l’utilisation de la taxe Gemapi. Les 3 premières années sont dédiées aux études, une fois terminées nous passerons aux actions, pour lesquelles nous aurons besoin de plus d’argent. Dès le départ, nous avons dimensionné la taxe pour qu’elle réponde à l’ensemble des besoins. C’était une très bonne démarche puisque nous avons mis en provision une partie de notre budget qui est aujourd’hui suffisant pour nos actions futures.
Lors de la phase de diagnostic et de planification, comment la collectivité a-t-elle assuré le bon dimensionnement du projet et l’adhésion des citoyens ?
Tout s’est fait au fur et à mesure avec les acteurs du territoire impliqués. Nous travaillons avec le Lisode, une coopérative spécialisée dans l’ingénierie de la concertation. En tant que facilitateurs en gouvernance, ils préparent et animent toutes les réunions de façon constructive, les protagonistes doivent réfléchir en groupe aux actions.
Lors d’ateliers avec le Lisode, une des pistes soulevées par les acteurs du territoire a été la création d’une instance de gouvernance pour les étangs et d’un observatoire scientifique qui entérine et valide les actions.
Par exemple, l’association de pêche de Mittersheim organise des enduro-carpe, une pratique qui nécessite d’appâter les poissons avec de la viande, sur 48h cela représente des kilos de protéines et donc de phosphore. Pour l’instant, nous n’avons pas mesuré l’impact, mais une des préconisations a été de décaler la date de juin à octobre où les volumes d’eau sont plus importants. Comment savoir si cette action est pertinente ? Ce sont les scientifiques qui nous le disent. Cela permet de diluer le phosphore et du coup de baisser le taux de cyanobactéries.
Comment la collectivité a-t-elle financé ce projet et quelles sont les aides sollicitées/obtenues ?
Le programme NoCyano représente 800 000 €. Il est subventionné à 80 % par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse, le reste à charge a été financé par la CCSMS avec la compétence Gemapi.
Notre taxe Gemapi est de 10 € par an et par habitant. Relativement élevée pour notre territoire, elle a été décidée en concertation par les élus pour se donner les moyens d’agir.
Quels sont les autres acteurs qui vous ont accompagné dans la préparation et la réalisation de ce projet ?
Il s’agit d’un consortium, qui comprend des universitaires, des bureaux d’études, une association et des institutions locales.
Bureaux d’étude :
- Le cabinet Artelia
- Lisode
Universitaires :
- Catherine Quiblier est Professeure à l’Université Paris Cité et elle fait ses recherches au MNHN Paris
- Elise Temple-Boyer est Maîtresse de Conférence à l’Université de Nanterre et elle fait ses recherches dans un laboratoire qui s’appelle le LAVUE au sein de cette Université. Fanny Lefebvre est sous contrat dans ce même laboratoire.
- Jean François Humbert est directeur de recherche à INRAE et travaille au sein de l’institut d’écologie et des sciences de l’environnement (iEES) à Sorbonne Université (Paris). Siham Mesli est sous contrat dans ce même laboratoire.
- Pol Magermans est ingénieur principal à l’Aquapôle de l’université de Liège.
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Le projet en détails
Dates clés
2017-2018
2022-2024
2022
2022-2024
Chiffres clés
800 000€
3 ans
Résultats
- La coopération et le partage ont mené les différents acteurs à s'orienter vers la création d’une instance de décision pour les étangs
À retenir
Le partenariat avec les universités
Un état des lieux précis a été dressé
Le temps : nous avons mis 3 ans à faire l’état des lieux, c’est très long.
Ressources
NoCyano : vers de nouvelles approches pour la gestion des proliférations de cyanobactéries dans les étangs de Moselle
NoCyano, un programme de recherche financé par l'Agence de l'Eau Rhin-Meuse
Programme NoCyano
Le programme NoCyano, une initiative ambitieuse visant à lutter contre la prolifération des cyanobactéries dans les étangs du territoire de Moselle Sud, notamment ceux de Gondrexange, du Stock et de Mittersheim