Pour restaurer la qualité de l’eau, la mission eau du plateau de Vicherey-Beuvezin (54) joue la carte de la coopération
Dans les départements de la Meurthe-et-Moselle (54) et des Vosges (88), le plateau de Vicherey-Beuvezin est un territoire de près de 1 500 hectares, dont 1260 hectares de surface agricole utile. En raison de leurs fortes teneurs en nitrates et/ou pesticides, les 15 sources qui alimentent en eau potable près de 9000 habitants ont été reconnues vulnérables aux pollutions diffuses en 2012.
Lancée en 2017, la mission eau, financée à 80% par l’agence de l’eau Rhin-Meuse, regroupe 6 collectivités de la zone et multiplie les actions gagnant-gagnant tant pour l’agriculture et que la protection de l’eau. Pour restaurer la qualité de ses eaux, son programme s’articule autour du développement des cultures à bas niveau d’impact et des filières inhérentes, de la maîtrise du foncier et de la gestion de la matière organique.
Ce projet nous est présenté par :
- Caroline Maury, chargée de mission de la préservation des ressources en eau du plateau de Vicherey/Beuvezin
- Hervé Mangenot, maire de Beuvezin
- Éric Mathieu, président du syndicat des eaux Aboncourt Maconcourt
Caroline Maury
Parole de collectivité
Afin de vous permettre de mieux appréhender la mise en place des projets de gestion de l’eau sur votre territoire, aquagir part à la rencontre d’élus et de porteurs de projets qui sont passés à l’action
Comment le sujet de la qualité des eaux s’est-il imposé à l’agenda ?
Dès les années 90, le plateau agricole de Vicherey-Beuvezin, appelé également plateau du Haut-Saintois, a été identifié pour la sensibilité de ses eaux aux pollutions agricoles par les nitrates et les pesticides. En 2012, les captages des quinze sources ont été reconnus sensibles ou dégradés et répertoriés pour leur vulnérabilité, au titre de la réglementation des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE).
Lancée en 2017, la mission eau du plateau de Vicherey-Beuvezin émane de la volonté des 6 collectivités, qui gèrent la ressource en eau de ce territoire de se regrouper pour mener des actions de protection de ses captages. Désigné comme représentant administratif et maître d’ouvrage, le Syndicat des Eaux de Pulligny est l’employeur de l’animatrice. En lien avec les autres collectivités de la mission, leur rôle est de faciliter la coordination entre tous les acteurs (monde agricole, collectivités et particuliers), de mettre en œuvre et suivre le programme d’action entériné par arrêté interpréfectoral du 5 mars 2020, pour prévenir et diminuer les pollutions diffuses.
Ce programme porte à la fois sur des actions agricoles et non agricoles. L’idée est de favoriser et préserver les prairies dans les aires de captages afin d’influer positivement sur la qualité de l’eau, tout en maintenant une activité agricole cohérente. Si à l’époque les premières actions menées étaient surtout liées à l’accompagnement des agriculteurs sur les bonnes pratiques, aujourd’hui elles sont regroupées autour de 3 axes : le développement des cultures à bas niveau d’impact et des filières inhérentes, le foncier et la gestion de la matière organique.
Quelles sont les sources d’inspiration que vous avez suivies pour vous faire une idée de ce projet ?
Caroline Maury, chargée de mission de la préservation des ressources en eau du plateau de Vicherey/Beuvezin.
Tout d’abord, j’ai eu beaucoup d’échanges avec mes pairs, notamment avec le SDEA, le syndicat des eaux d’Alsace, et mes collègues de Lorraine. Toutefois les possibilités et les contraintes ne sont pas les mêmes en fonction des territoires.
Avec le recul, je me suis dit qu’on aurait pu faire encore mieux dans les techniques de travail et puis en comparant avec mes collègues, je me rends compte que les autres collectivités ont les mêmes soucis et certains sont beaucoup moins avancés que nous dans la logique et dans les liens.
J’ai assisté à beaucoup de colloques, ce sont des moments importants pour garder la conviction sur la durée. Nous regardons également les projets innovants qui se font autour de nous, par exemple, pour l’agroforesterie nous sommes allés visiter des aménagements sur la commune de Loisy. Après discussions au sein du conseil nous avons décidé d’installer des haies et des arbres sur les périmètres de protection des sources de Beuvezin : 10 hectares sur la source de Malin Vezey et 4 hectares sur celle des Puits.
Est-ce qu’une étude de faisabilité et/ou d’impact a été réalisée sur ce projet ?
En 2016, une étude de diagnostic des pressions agricole et non agricole a été réalisée. Elle a permis d’établir un état des lieux complet des sources de pollution, des modalités de culture, des sols. Cela a été le point de départ du programme d’actions. Parmi ces actions, la mise en place d’une animation sur le secteur a été préconisée ce qui a abouti à mon embauche. Cette étude a marqué un changement de modèle, allant vers des systèmes plus durables.
Nous avons aussi réalisé une étude de préfiguration pour les paiements pour services environnementaux en partenariat avec les chambres d’agriculture (Meurthe-et-Moselle et Vosges). Il s’agissait d’identifier les agriculteurs, définir leur éligibilité, avant de les rencontrer.
Concernant les compétences, quels sont les principaux sujets à maîtriser avant de se lancer dans ce projet ?
Caroline Maury, chargée de mission de la préservation des ressources en eau du plateau de Vicherey/Beuvezin.
Quand je suis arrivée en 2017, mon premier travail a été d’aller à la rencontre des partenaires et des agriculteurs pour me présenter et faire connaître et reconnaître la mission et ses actions. Quand la mission eau a été mise en place, certains organismes comme les chambres d’agriculture ne nous voyaient pas d’un bon œil. Je pense qu’il est nécessaire de posséder une forme d’habileté relationnelle. Connaître le terrain et les interlocuteurs est indispensable pour pouvoir agir sur les leviers. C’est dans cet esprit que j’ai tenu une permanence pendant 3 ans à la mairie de Beuvezin.
J’aime m’entendre avec les gens avec lesquels je travaille et même s’il a fallu au début taper du poing sur la table, aujourd’hui, les relations sont “apaisées”. Il y a des évolutions même si elles sont longues. Pour vous parler d’un exemple qui me tient à cœur, il y avait, entre le maire d’une des communes concernées et un des paysans, un contentieux assez ancien. Après un gros travail de fond, ils ont réussi à se mettre d’accord et à échanger des terrains sur l’une des sources du village.
Le foncier est important pour les agriculteurs, aussi j’essaye d’être présente sur le terrain avec la SAFER. J’ai découvert récemment de nouvelles approches basées sur l’expression de chacun, sur l’écoute active et l’empathie.
Après, je parlerais de technicité, ce sont des sujets très pointus, n’étant pas une technicienne, je me suis entourée d’organismes qui ont des compétences sur le secteur des Vosges et de la Meurthe-et-Moselle.
Et puis il faut quand même une connaissance approfondie du terrain, savoir mener une veille réglementaire foncière et technique par exemple.
Lors de la phase de diagnostic et de planification, comment la collectivité a-t-elle assuré le bon dimensionnement du projet et l’adhésion des agriculteurs ?
Le rôle des collectivités est de délivrer de l’eau potable, les agriculteurs, eux, ont des enjeux économiques que nous devons prendre en compte. Toutes nos actions impliquent une adhésion volontaire des agriculteurs, c’est la raison pour laquelle ils ont toujours été associés à nos différentes phases.
Nous devons donc proposer des opérations “gagnant/gagnant”.
Parmi les diverses actions menées, nous avons mis en place une convention globale avec la SAFER qui nous permet soit d’acheter des terrains hors des périmètres avec préfinancement de la collectivité pour effectuer des échanges avec les agriculteurs, ou nous positionner sur des acquisitions dans les périmètres de protection.
Par le biais de diagnostics technico-économiques et d’études de filières, nous avons exploré différentes possibilités : la biomasse, la méthanisation, la valorisation du lait, de la viande et une culture expérimentale de 6 hectares de silphie sur laquelle nous avions fondé beaucoup d’espoirs.
Pour minimiser l’utilisation des produits phytosanitaires, nous avons organisé une formation pour accompagner les agriculteurs sur le désherbage mécanique de leurs parcelles de maïs. Cela avait bien fonctionné, la CUMA avait même fait l’acquisition de matériel de binage avec un système de guidage caméra. Pour une remise en herbe et une gestion des prairies existantes, nous avions proposé la mise en place de mesures agro-environnementales et climatiques en partenariat avec les chambres d’agriculture. Mais ceci n’a pas été suivi d’effets.
Pour booster notre programme , nous avons proposé un accompagnement financier à travers des paiements pour services environnementaux (PSE). Ce dispositif vise à rétribuer les efforts des agriculteurs qui s’engagent dans des cultures vertueuses.
Nous avons récemment essayé un nouveau mode de maîtrise du foncier qui s’appelle l’obligation réelle environnementale. C’est un acte notarié qui concrétise l’effort de l’agriculteur matérialisé en un pourcentage de la valeur vénale de ses terrains. Pour l’agriculteur-propriétaire, c’est intéressant, car il est indemnisé et conserve son terrain qui est enherbé avec des conditions de pâturage très allégées.
Comment la mission eau est-elle financée et quelles sont les aides sollicitées/obtenues ?
Les 6 collectivités sont liées par une convention de groupement afin de mutualiser les actions et les coûts financiers. Chacune paye au prorata de l’eau produite puis une clé de répartition est appliquée.
Toutefois, l’ensemble de nos actions et mon poste sont financés à 80% par l’agence de l’eau Rhin-Meuse. Cela nous permet de stabiliser les prix de l’eau, tant pour les ménages que pour le monde agricole qui est un grand consommateur d’eau.
La région Grand Est nous a aidés sur l’expérimentation de Silphie. Après, d’autres organismes se positionnent sur les plans de compétitivité et d’adaptation des entreprises (PCAE) qui offrent entre autres du financement de matériel agro-écologique.
Quels sont les autres acteurs qui vous ont accompagné dans la préparation et la réalisation de ce projet ?
Nous travaillons avec les chambres d’agriculture de Meurthe-et-Moselle et des Vosges, la SAFER, les conseils départementaux, les agences régionales de santé (ARS), les DDT, les agriculteurs pour formaliser le programme d’action. Tous les acteurs concernés sont invités.
En savoir plus
Le Syndicat intercommunal des eaux de Pulligny est coordonnateur du groupement. Il intervient au titre de maître d’ouvrage en collaboration avec les cinq autres structures, les communes de Beuvezin (54) et de Tramont-Lassus (54), et les syndicats des eaux d’Aboncourt-Maconcourt (88), de Grimonviller (54), de Pulligny (54) et de Vicherey-vallée de l’Aroffe (88) comme maître d’ouvrage. À ce titre, il est le demandeur et le bénéficiaire des aides de l’Agence de l’eau et employeur administratif de Caroline Maury. Les captages d’eau alimentent en eau potable, en totalité ou en partie, plus de 9 000 habitants
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Le projet en détails
Dates clés
2012
2016
2017
2020
Chiffres clés
1500
95
38
Résultats
- Nous sommes 6 élus autour de la table, tous impliqués dans la même dynamique. Notre entente est un véritable atout. Les collectivités engagées ont été actives sur le terrain et sont reconnues par les financeurs et les institutions qui ont conscience de l'effort déployé pour faire avancer les choses.
À retenir
Tout d’abord, nous constatons une amélioration de la qualité de nos eaux. Pour la source du Moiré à Tramont-Lassus, les taux de nitrates ont été divisés par dix grâce à la mise en place de 18 hectares d'herbe en amont de la source.
Sur la source des Puits et sur la source de Malinvezey, nous constatons aussi une amélioration grâce à la remise en herbe et au projet d'agroforesterie en cours. Le Syndicat d’Aboncourt-Maconcourt gère la source de la Rochotte juste en dessous de Malinvezey, elle est donc aussi protégée par nos actions, nous jouons le jeu pour tout le monde. Ces résultats encourageants ont été obtenus grâce à la maîtrise du foncier, 95 hectares au total dans les différents périmètres de protection.
Un des gros problèmes porte sur le fait que nos agriculteurs n’ont pas de débouchés, nous cherchons des filières qui leur permettent de valoriser leur travail. Les collectivités ont beaucoup donné, elles sont fatiguées. Financièrement, l'implication n'est pas neutre. Lors du dernier COPIL, il en est ressorti de la motivation et de la cohésion de groupe, mais aussi un sentiment d’impuissance, de ne plus savoir dans quel sens avancer malgré les retours positifs.
Ressources
Les partenaires de ce projet
Agence de l'eau Rhin-Meuse
Chambre d'agriculture de Meurthe-et-Moselle
Chambre d'agriculture des Vosges
SAFER
DDT
Agence Régionale de Santé
Les acteurs de la filière eau impliqués dans ce projet
En savoir plus sur le Syndicat intercommunal des eaux de Pulligny
Nombre de communes adhérentes
Données de contact
- Syndicat intercommunal des eaux de Pulligny, 4 Place Colonel Caye. 54740 Haroué