Novembre 2017. La municipalité du Cap annonce aux citoyens que les robinets seront à sec dans la métropole avant l’arrivée de l’hiver austral. On parle d’un « Day Zero ». Que faire?
La résolution de ce qui restera comme une des plus graves crises de l’eau de l’ère moderne a été surnommée depuis : la « Capetown Strategy ».
Novembre 2017. La municipalité du Cap annonce aux citoyens que les robinets seront à sec dans la métropole avant l’arrivée de l’hiver austral. On parle d’un « Day Zero ». Que faire? La résolution de ce qui restera comme une des plus graves crises de l’eau de l’ère moderne a été surnommée depuis : la « Capetown Strategy ».
Une géographie particulière
Capetown ou Le Cap en français, est une métropole de taille mondiale située à l’extrême sud de l’Afrique. Cernée à l’est par l’imposante Montagne de la Table et au sud-ouest par le littoral, elle dessine une baie spectaculaire sur l’Atlantique.
L’approvisionnement en eau potable de cette agglomération de 4 millions de citoyens dépend principalement de la retenue d’eau qu’on appelle le barrage Theewaterskloof situé à l’ouest. On aperçoit une grande étendue sombre, entourée de plages blanches sur le cliché satellite de l’Agence Spatiale Européenne. C’est lui, le barrage à moitié sec. Il est situé à 76km de la partie la plus septentrionale de la ville, ce qui est une très longue distance, comparativement à la norme. La capacité en eau de ce barrage n’est pas très grande, c’est la 12ème retenue d’eau artificielle du pays en volume avec 480 000 000 de m3.
Le Climat de la région est dit méditerranéen, il est marqué par un été chaud et sec (+22°C en moyenne estivale), et un hiver tempéré (+11°C en moyenne hivernale). Ses températures sont globalement comparables à celles de Montpellier ou de Rome. Autre point important à signaler, la démographie de la métropole a connu une croissance forte et régulière. En 1980, sa population se limitait à 1,5 millions d’habitants seulement. En 2015, elle s’approchait déjà des 4 millions.
Une sécheresse inédite sur 3 ans
Après trois ans de sécheresse record lié au phénomène El Niño, le niveau d’eau dans les barrages, et le niveau des cours d’eau sont dramatiquement bas.
Début 2018, les projections unanimes annoncent une crise sans précédent : si le niveau local de la consommation d’eau douce ne baisse pas, la métropole ne passera pas l’été austral.
2016 – 2018 : une accélération progressive des restrictions
La crise ne surgit pourtant pas de nulle part. Depuis le 1er janvier 2016, les restrictions augmentaient en moyenne de 20% sur la consommation urbaine et sur l’agriculture pour l’année 2016, sans contraintes directes sur la population. Puis vint le moment de peser plus lourdement sur les prélèvements agricoles. Le 1er octobre 2017, au prix d’un dialogue difficile mais qui déboucha sur une décision, une restriction de 50% de la part total de la consommation d’eau douce est négociée avec les agriculteurs – surtout viticoles et fruitiers, installés dans l’aire métropolitaine. Des compensations financières sont programmées. La ville annonce une dérogation budgétaire.
En novembre 2017, la Banque mondiale est dépêchée sur place pour estimer les aides financières. Quelques jours plus tard, le gouvernement de Capetown, par la voix de sa Maire Patricia de Lille annonce la possibilité d’un « jour zéro », la fin de l’eau au robinet de la totalité de la métropole pour avril 2018. Un premier objectif chiffré est annoncé à la population : « 87 litres d’eau par personne et par jour, au lieu de 200». Mais la situation n’évolue pas dans le bon sens. Seuls 30% de la population aurait joué le jeu civique et accepté la contrainte. En janvier 2018, la Maire annonce un « point de non-retour ». Le quotat passe donc à 50 litres par personnes et par jour, sous peine d’amende. C’est le minimum proposé par l’OMS pour une vie saine. La situation se durcit en matière d’ordre public et on commence à parler d’un scénario Mad Max. L’ancienne maire Helen Zille pose la question : « lorsque le jour zéro arrivera, comment assurer un accès à l’eau minimal et comment empêcher l’anarchie? »
C’est alors qu’un compte à rebours est lancé publiquement pour la date du 13 mai. Présenté dans les communications officielles et dans les médias, ce compte à rebours a eu un effet psychologique immédiat. Au «Jour Zéro», plus une seule goutte ne coulerait des robinets, et l’armée prendrait en charge la distribution d’eau en bouteille, avec une limitation à 25 litres par personne et par jour. Voilà ce qui fut annoncé. Un choc pour toutes et tous. Cet article du Courrier international en porte le souvenir : https://www.courrierinternational.com/article/afrique-du-sud-le-jour-ou-la-ville-du-cap-coupera-leau
Février 2018, une mobilisation historique au pied du mur
Le mois de février 2018 restera comme le mois le plus dur jamais vécu par la métropole en matière de gestion de l’eau. Des campagnes de communication sans relâche de la part de la mairie ont réussi à mobiliser les consciences face à l’urgence de la situation.
La chasse d’eau ne devait se tirer que pour la «grosse commission», même dans les restaurants, bars et hôtels de cette ville très touristique. Les douches devaient durer deux minutes. Les artistes ont contribué : le gouvernement de la province a été jusqu’à sponsoriser un album qui reprend plusieurs musiques populaires en les raccourcissant à deux minutes pour encourager les consommateurs à limiter leur temps de toilette. Les piscines ont été vidées. Les lessives rationnées ainsi que les boissons comme le thé, le café et l’eau potable.
La peur a produit son effet.
Les citoyens ont commencé à stocker de l’eau et les quartiers, les ONG, les services, les entreprises et autres ont soudainement réalisé l’ampleur de l’enjeu. L’attention des médias internationaux s’est portée sur la ville et les touristes ont commencé à annuler leurs voyages. La peur généralisée a donné lieu à une période tumultueuse caractérisée par une collaboration accrue entre certains acteurs et des tensions locales entre les quartiers et les classes sociales. En 3 semaines, la consommation totale de la ville a chuté à 50 % du niveau d’avant la sécheresse. Aucune autre ville n’a jamais atteint ce niveau de réduction sans recourir à un approvisionnement intermittent. L’Association Internationale de l’Eau (IWA) a reconnu cette réussite en 2018 et a décerné un prix à la ville de Capetown pour avoir atteint une réduction de 55 %. Ces efforts drastiques ont porté leurs fruits. La population a réussi à réduire de moitié sa consommation d’eau. 498 millions de litres par jour en moyenne au mois de février 2018, contre 1200 millions au pic de consommation en février 2015.
Mars 2018, la délivrance
Le 7 mars 2018, le « Jour Zéro » est officiellement évité ou « annulé » pour 2018 « comme certains l’ont malicieusement appelé ». Les réserves sont estimées suffisantes et les premières pluies sont apparues. Immédiatement après l’annulation, la Ville a de nouveau modifié son approche. Pendant 3 mois, l’accent a été mis sur la réduction de la demande, au prix d’une campagne de communication intense. Cela a entraîné une perte d’attention sur le système dans son ensemble, notamment la rétention d’eau. Les réponses envisagées pour accroître la sécurité de l’approvisionnement furent donc la gestion optimale via la mise à jour en temps réel des informations hydrologiques pour assurer le rendement du barrage et du système intégré.
La stratégie du Cap, une réduction durable de la consommation
L’intégralité de la séquence est décrite et analysée dans ce document anglophone de l’Université du Cap, et en particulier du Centre de Recherche pour les cités africaines. (https://www.africancentreforcities.net/wp-content/uploads/2019/02/Ziervogel-2019-Lessons-from-Cape-Town-Drought_A.pdf)
Chaque mesure, chaque décision et ses enseignements ont été recensés sur un document d’une dizaine de pages (en anglais).
La Capetown Strategy, reconnue dès 2019 comme un modèle mondial peut se résumer par ces cinq réponses à la crise :
- Transformation des habitudes de consommation individuelle (- 50 %)
- Gestion plus économe des usages agricoles (avec compensations)
- Amélioration de la distribution (gestion des fuites)
- Meilleure gestion des écoulements naturels et du système de barrage
- Gestion plus collective des nappes d’eau souterraine
Et 5 engagements pour les générations à venir
- Un accès sécurisé pour tous
- Un usage raisonné
- Un approvisionnement continu et de qualité
- Un bénéfice partagé entre économie et société
- Un urbanisme tourné vers la gestion de l’eau
Un exemple de sobriété qui pourrait servir dans le monde entier car d’autres régions du monde risquent d’être confrontées à des situations similaires. Selon l’OMS, chaque personne a besoin de 50 litres d’eau par jour pour répondre à ses besoins de base. Une quantité qui est loin d’être la norme puisqu’actuellement, on estime que 2 milliards de personnes, soit 30% de la population mondiale, sont exposés au stress hydrique.
La BBC a publié une liste de 11 villes – Sao Paulo, Bangalore, Pékin, Le Caire, Jakarta, Moscou, Istanbul, Mexico, Londres, Tokyo et Miami – qui risquent de connaître des crises similaires avant 2040.
L’enjeu est mondial. Et dans les prochaines décennies, nous risquons malheureusement d’entendre à nouveau le terme « Day Zero ».