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Un contrat de performance et une rémunération « bonus-malus » pour encourager les économies d’eau sur l’Agglo de Brive (19)

Cet article a été rédigé par Camille Giscard d’Estaing

Crédits photos : Agglo de Brive

Face aux impacts du changement climatique sur les ressources en eau, l’Agglo de Brive a posé comme objectif central de la nouvelle délégation de service public une réduction de 21 % de la quantité d’eau prélevée dans le milieu naturel. Cet objectif est traduit dans un modèle économique et contractuel vertueux qui lie une partie de la rémunération du délégataire à la baisse annuelle des volumes.

Ce contrat innovant fait de l’Agglo de Brive une pionnière pour la gestion durable de la ressource en eau et inspire aujourd’hui d’autres collectivités en cours de renouvellement de leur contrat.

Alain Lapacherie est Maire de Saint-Pantaléon-de-Larche et Vice-Président délégué à l’eau potable de l’Agglo de Brive (19)

Comment le sujet d’un contrat de performance et cette rémunération innovante s’est-elle imposée à l’agenda de l’Agglo de Brive ?

Localisée à proximité du massif central considéré comme un des châteaux d’eau de la France, la Corrèze a pendant longtemps été baptisée « Pays des sources ». Or, en 2019, l’Agglo de Brive fait face à une sécheresse extrême et connaît pour la première fois des problématiques de prélèvement sur la Vézère et une baisse sans précédent du niveau de l’eau au barrage de La Couze.

Nous avons donc réfléchi à de nouvelles orientations pour diversifier nos ressources et réduire drastiquement nos prélèvements. Nous est alors venue l’idée de transformer notre contrat conventionnel de délégation de services publics (DSP) de l’eau et de l’assainissement en un contrat de performance. En incluant un système de type « bonus-malus », la rémunération du délégataire serait liée à l’atteinte d’objectifs de performance dont notamment celui de baisse annuelle des volumes prélevés.

Quelles sont les sources d’inspiration que vous avez suivies pour vous faire une idée de ce projet ?

Nous avions eu vent d’essais de contrats à la performance notamment sur Eau de Paris. Cependant, ce contrat ne prévoyait pas d’indicateurs relatifs à la ressource et nous avions pour ambition d’inscrire durablement les efforts de réduction des prélèvements dans nos pratiques et celle du futur délégataire. Pour mettre toutes les chances de notre côté, il était important de fixer des objectifs ambitieux et sur le long terme, et donc pour toute la durée de la prochaine DSP.

Avez-vous réalisé une étude de faisabilité et/ou d’impact au préalable ?

Tout à fait. En 2019, nous recevons les conclusions de deux études. La première portait sur l’optimisation des performances globales des réseaux d’eau de l’Agglo de Brive que nous avions confiée à Alteréo, la seconde, « Dordogne 2050 », était une étude prospective menée par EPIDOR, l’Établissement Public Territorial du Bassin de la Dordogne, sur l’impact du changement climatique sur les ressources du territoire.

Ces deux études ont démontré, d’une part, que nos capacités de production à horizon 2035 couvraient largement nos besoins futurs, mais, d’autre part, que les risques de sécheresse et de manque d’eau en période estivale sur l’ensemble du bassin-versant de la Dordogne mettaient à mal la situation plutôt favorable qu’avait connu jusqu’alors notre territoire. La réduction des prélèvements s’est ainsi imposée comme un impératif.

Comment s’est-elle assurée de l’adhésion des différentes communes et des citoyens ?

Notre communauté d’agglomération compte 48 communes pour la compétence assainissement et 36 pour la compétence eau. Une partie d’entre elles a suivi le dossier de très près en rejoignant dès le début la commission en charge de la méthode de travail et des premières pistes de réflexion. Les résultats ont ensuite été exposés à l’ensemble des maires, puis débattus et adoptés collectivement. Notre objectif étant de diminuer les prélèvements mais sans toucher au prix de l’eau, nous n’avions pas de craintes particulières quant à leur adhésion ou celle de nos citoyens.

Lors de la phase de diagnostic et de planification, comment l’Agglo de Brive a-t-elle trouvé la « bonne formule » ?

La bonne formule a mis du temps à voir le jour. Elle est le fruit d’un travail collaboratif important entre nos services et les assistants à maîtrise d’ouvrage qui nous ont accompagné tout au long de la démarche depuis l’étude du mode de gestion.

À ma connaissance, nous sommes les premiers à avoir fixé un objectif aussi ambitieux de réduction des prélèvements à la ressource.

Conscients que notre succès dépendrait aussi bien de la performance du réseau que de l’implication active des citoyens, nous avons laissé libre choix aux candidats de déterminer les moyens à mettre en œuvre pour l’atteinte de cette performance. Ainsi la candidat Suez Eau France a proposé une réduction de 13% « avant compteur », c’est-à-dire sur la partie exploitation des usines et du réseau, et 8% « après compteur », pour ce qui concerne la réduction des consommations par les usagers domestiques.

En incluant ces dispositions de performance dans notre appel d’offres, les délégataires postulants acceptaient de relever le défi d’ici 2028.

Quelles actions concrètes sont mises en place par la collectivité et le délégataire pour réduire les prélèvements à la ressource ?

La première action était évidente : partir à la chasse aux fuites. Pour résorber les pertes « avant compteur », le délégataire a complété le système de sectorisation déjà mis en œuvre par la collectivité qui lui permet d’identifier les fuites sur le réseau municipal en doublant les prélocalisateurs de fuites. Par ailleurs, il est maintenant en train d’installer la télérelève sur les compteurs des usagers domestiques. Le but est de détecter le plus rapidement possible les anomalies. Par exemple, une consommation continue pendant la nuit – alors qu’en toute logique, le foyer devrait être endormi – peut signifier une chasse d’eau fuyarde ou un tuyau percé. L’abonné reçoit alors un SMS afin qu’il puisse agir au plus vite.

Parallèlement à cela, nous avons lancé en collaboration avec le LyRE (centre de recherche de Suez) le projet DEM’Eau : les démonstrateurs d’économies d’eau. Celui-ci a pour ambition d’encourager les usagers domestiques à économiser la ressource grâce à des pratiques vertueuses. Au travers de ce projet, nous avons constitué des panels d’usagers puis distribué, voire installé, des kits hydro-économes (mousseurs, pommeaux de douche, etc.) ainsi que des kits de communication incitatifs (kits « nudges ») pour favoriser les éco-gestes au sein des foyers de façon ludique. Ce projet vient d’ailleurs de recevoir un prix aux Trophées des Economies 2023 (FNCCR).

Nous essayons de mettre tous les atouts de notre côté pour atteindre notre objectif commun avec Suez. Les résultats sont aujourd’hui très probants puisque sur la période 2022-2023, Suez a déjà réalisé une économie de 8% sur les ressources par rapport à l’année de référence (2019) soit l’équivalent de 250 piscines olympiques.

Concernant les compétences et les sujets à maîtriser, que recommanderiez vous aux autres collectivités avant de se lancer dans un projet similaire ?

Tous les élus en charge de l’eau ont le même objectif : économiser la ressource. Pour cela, il faut avant tout déterminer ses besoins et les cadrer en fonction des contraintes budgétaires. Ceux-ci varient d’un groupement de communes à l’autre. À titre d’exemple, certaines canalisations installées avant la Seconde Guerre mondiale n’ont toujours pas été remplacées sur notre territoire, car ce ne sont pas forcément les plus fuyardes si elles ne subissent pas de variations de pression. Mieux connaître ses réseaux permet de prioriser ses actions.

Ensuite, la phase de cadrage des engagements contractuels est très importante. Il faut anticiper le contrôle et le suivi car le travail ne s’arrête pas une fois le contrat signé. À cet égard, il est important que les équipes en charge de ce suivi soient pleinement investies dans le montage du contrat et il ne faut pas hésiter à se faire aider par des bureaux d’étude spécialisés.

Enfin, la collaboration entre les services et le délégataire est cruciale. Si nous avons fait autant de progrès jusqu’à présent, c’est grâce à la bonne collaboration quasi-quotidienne entre nos services et les équipes de Suez.

Côté financement, avez-vous eu des besoins spécifiques pour la mise en place de ce nouveau système ? Si oui, quelles ont été les aides sollicitées/obtenues ?

Le délégataire est en charge du financement des actions mentionnées plus haut. Toutefois l’Agglo de Brive continue d’assurer le financement du renouvellement des canalisations vétustes. Par ailleurs, l’Agence de l’Eau Adour Garonne subventionne directement Suez pour certaines des actions entreprises, ce qui permet d’aller plus loin dans la démarche (ex. pour le projet DEM’Eau).

Quels sont les autres acteurs qui ont accompagné l’Agglo de Brive dans la préparation/mise en place de cette nouveauté ?

Comme je le disais plus haut, il ne faut surtout pas hésiter à se faire accompagner lorsque cela est nécessaire. Dans notre cas, nous avons fait appel à trois bureaux d’étude différents qui nous ont accompagné tout au long de la démarche et qui nous assistent encore aujourd’hui. Aussi pour concrétiser notre idée de contrat de performance, nous nous sommes appuyés sur :

  • Le Cabinet Adaltys : pour la partie juridique
  • Ernst & Young : pour la partie financière
  • B3E : pour la partie technique

Quels sont les points positifs à retenir de cette réalisation ?

Le projet est encore très jeune puisque le contrat a été signé en juillet 2021 pour un démarrage en janvier 2022. Il est donc difficile d’avoir du recul. Je peux tout de même dire que les résultats en termes d’atteinte de la performance sont d’ores et déjà très encourageants.

Quels sont les points négatifs que vous retenez de cette réalisation ?

Aucun lié au projet en lui-même. Cependant, nous venons de traverser une période compliquée. Depuis le démarrage du contrat, la guerre en Ukraine a provoqué un envol des prix de l’énergie et des matériaux et le Covid19 a encore aujourd’hui un impact sur l’approvisionnement de certains matériels (notamment liés à la télérelève).

Un avenant est en cours de contractualisation avec Suez afin d’adapter certaines clauses contractuelles et notamment les modalités de calcul de certains indicateurs, toutefois cet avenant non substantiel économiquement n’aura qu’un impact très faible sur les tarifs.

Quels sont les chiffres clés du projet ?

  • Mètres cube d’eau économisés : 600 000 m3 entre l’année référence (2019) et 2023
  • Objectif final : 6 millions de mètres cubes cumulés sur toute la durée du contrat
  • Durée du contrat : 7 ans

Les principales dates du projet :

  • 2019 : lancement de l’étude pour le montage du contrat de performance
  • Juin 2020 : choix du mode de gestion
  • 10 septembre 2020 : lancement de la phase de candidatures
  • 6 juillet 2021 : signature du contrat
  • 1er janvier 2022 : démarrage du contrat

Cet article vous est proposé par aquagir

aquagir est un collectif d’acteurs œuvrant dans l’accompagnement de bout-en-bout des projets de gestion des eaux dans les territoires avec une vision globale, collective et écosystémique des enjeux et des solutions.  aquagir regroupe l’ANEB, la Banque des Territoires, le BRGM, le Cercle Français de l’eau, les pôles de compétitivité de la filière eau Aqua-Valley et Aquanova et l’UIE (Union des Industries et Entreprises de l’Eau)

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