Le risque incendie augmente, partout en France, en raison du changement climatique et de la maladaptation du territoire. Pour prévenir ce risque, il faut le minimiser à la source. Une série de bonnes pratiques en matière d’actions de prévention, à l’échelle du territoire, peuvent être mises en place relativement simplement, avec une efficacité désormais mesurée. Tour d’horizon des principales actions de prévention et sources d’inspiration.
Ne pas confondre cause des départs d’incendies et causes d’incendies
L’activité humaine est la principale cause de déclenchement d’incendies – 90% des départs de feu selon le Ministère de l’intérieur – que ce soit du fait d’une activité économique (chantiers de BTP, activités agricoles…) ou bien d’une activité du quotidien (mégots de cigarettes, barbecues, feux de camp…). La prévention par la sensibilisation aux bonnes pratiques est donc importante, mais loin d’être suffisante, et loin d’être une réponse au problème.
En effet, il ne faut pas confondre causes des départs de feu – il y aura toujours des erreurs ou de la criminalité humaine – et les raisons pour lesquelles les forêts flambent, à savoir la sécheresse des sols et certaines mauvaises pratiques de gestion.
Il est impossible de contrôler chaque fait et geste de chacun, sans parler des profils psychologiques déviants ou des actions de criminalité organisée. En revanche, il est possible de mettre en place des systèmes de détection et d’intervention rapide – ce qui ne sera pas le sujet ici -, ainsi que d’adapter au maximum le territoire pour que le feu ne se propage pas, en diminuant au maximum l’indice d’inflammabilité local.
Miser sur l’humidité permanente des sols avec l’hydrologie régénérative
La première des grandes pratiques de prévention, adaptée dans ses déclinaisons à l’ensemble du territoire, est l’hydrologie régénérative. Elle consiste à ralentir au maximum la durée d’écoulement d’une goutte de pluie sur un bassin versant, de manière à lui permettre de pénétrer au mieux le sol.
Concrètement, elle se pratique au niveau des parcelles agricoles en creusant des baissières, sortes de petites tranchées, qui suivent les courbes de niveau à certains endroits stratégiques. Combinées à de l’agroforesterie, ces baissières répartissent l’eau via les racines jusqu’aux aquifères ou elle s’écoule très lentement. Elle est remontée par les arbres lorsqu’il fait sec et humidifie les environs. Cette inertie d’humidité permet à ces parcelles d’être directement moins vulnérables à la propagation des flammes, et de jouer le rôle de grand pare-feu autour des petits massifs forestiers. Bien sûr, plus la continuité territoriale de l’hydrologie régénérative est forte, plus c’est efficace.
En milieu forestier adapté, l’introduction du castor est une autre pratique d’hydrologie régénérative efficace, puisque ces derniers ralentissent le débit des rivières par leurs barrages, poussant l’eau à se répartir sur une plus grande largeur, à déborder pour se reconnecter à des aquifères de proximité qui augmentent l’humidité des sols profondément dans les massifs. Les pourtours des rivières renaturées en général sont alors davantage des barrières pour les flammes.
Le débroussaillage – oui, mais pas n’importe comment
Pratique imposée par la loi, le débroussaillage des terrains situés à moins de 200 mètres d’un bois ou d’une forêt semble une mesure logique autour de laquelle se mobilisent les services publics locaux. Il faut néanmoins spécifier ce que l’on entend par broussailles, sinon l’exercice peut être contre-productif.
Les broussailles sont la partie sèche de la matière organique produite par les végétaux. Sèches, donc généralement mortes, et particulièrement inflammables. Dans les sous-bois et dans les prairies, c’est elle qu’il faut limiter. Les bandes enherbées et herbes hautes ne sont pas de la broussaille. Au contraire, les herbes hautes conservent mieux l’humidité que les gazons tondus, permettant au sol d’être plus frais et plus humide. En été, il est ainsi fréquent de voir la différence entre le vert des bandes enherbées non tondues et les zones tondues, qui virent au jaune. Dès lors, la photosynthèse n’absorbe plus les rayons infrarouges du soleil qui chauffent la terre directement, évaporant l’eau. Ce gazon sec, même coupé court, est également propagateur de feu.
Même si cela peut sembler contre-intuitif, il est déconseillé de tondre en été. L’absence de tonte est par ailleurs très favorable à la biodiversité.
En somme : les plantes vivantes limitent le risque incendie en entretenant l’humidité des sols même au plus chaud de l’été, là où les plantes mortes l’accentuent. Un phénomène aussi lié à l’effet rosé, illustré ici, qui explique comment les plantes absorbent l’humidité de l’air pour la transférer dans le sol.
Le modèle portugais : l’efficacité de la prévention par méthodes naturelles
Les grands incendies de 2017, particulièrement mortels, ont traumatisé le Portugal. Le pays a alors mis en place une série de mesures volontaristes mais simples ayant permis une division par deux des incendies sur les 5 dernières années – là où leur nombre explose par ailleurs en Europe. Le nombre moyen de feux a augmenté de 16 % en Grèce (hors statistiques 2023), de 102 % en Espagne et de… 734 % en France[1].
[1] Selon le programme Copernicus, programme européen de surveillance par satellite de l’état de la planète, comptabilisant les feux de plus de 30 hectares.
Le budget alloué à la lutte anti-incendie en milieu naturel est passé de 143 à 525 millions d’euros entre 2017 et 2022. Des unités spéciales d’intervention rapide ont été créées et la gestion des forêts repensée. À ce titre, la pierre angulaire du dispositif fut le déploiement de … 20 000 chèvres.
Envoyés dans les maquis pour manger les broussailles, les caprins laissent dans leur sillage des sites défrichés, même les plus escarpés et rocheux, ce qui permet de limiter la propagation des feux. Les bergers sont rémunérés pour ce service : 25 € par hectare « nettoyé », ce qui lutte par ailleurs contre l’exode rural – un des principaux facteurs de risques puisque les propriétés abandonnées sont vites conquises par la broussaille.
Autre grande mesure structurante de Lisbonne : la diversification des essences. La sylviculture d’eucalyptus et de pins maritimes a transformé le quart des massifs du pays en zones très propices aux incendies. En effet, ces espèces sont dites pyrophiles (ou pyrophytes) car leurs caractéristiques morphologiques et physiologiques adaptées au feu leur permettent de ressusciter et proliférer.
D’une manière générale, les monocultures uniformisent le système racinaire d’une parcelle. À l’inverse, des essences diversifiées permettent un système de racines variées qui tantôt vont chercher l’eau en profondeur (les chênes et leur grande racine pivot par exemple), tantôt en largeur, et la partagent grâce à un mycélium (filament de champignon) diversifié également. Une forêt panachée met ainsi en circulation davantage d’humidité, et est d’autant moins inflammable que les parasites ont plus de mal à la transformer en bois mort.
Le modèle corse : un modèle de gestion efficace
La Corse a connu dans la décennie 2010 en moyenne 6 fois moins d’incendies que dans les années 1980. Cette réussite est le fruit d’un modèle de prévention complet : des caprins pour nettoyer les broussailles, des pistes de défense contre les incendies aménagées en montagne avec des réservoirs pour faciliter l’intervention des pompiers, etc.
Ces mesures de prévention sont complétées par un autre type de pratique qui se révèle efficace : des brûlages dirigés qui consistent à détruire par le feu des herbes, broussailles, branchages, bois morts… de manière complètement maîtrisée, avant la période critique de l’été. Pompiers et gardes forestiers encadrent les opérations pour prévenir tout débordement.
Conclusion
Les territoires les plus résilients contre les incendies mettent en place des solutions « low-tech », inspirées d’une bonne connaissance du vivant, couplées de solutions high-tech d’alerte et d’intervention rapide. La meilleure des préventions restant de loin les mesures préservant le meilleur taux d’humidité des sols possible.
Pour aller plus loin et mieux saisir la nature du risque incendie sur son territoire, la base de données sur les incendies de forêt (BDIFF) collecte depuis 1992, au niveau national, toutes les informations sur les feux de forêt et, en particulier, les causes de ces derniers. Ces données, mises à disposition du public, sont des données à caractère déclaratif renseignées par un réseau de contributeurs sous le pilotage national des ministères en charge de la forêt et de l’Intérieur.