Quelles est la particularité de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse ? Un périmètre couvrant deux bassins. Distincts, ils ont un point commun, l’importance de la moyenne montagne très concernée par le réchauffement climatique. Décryptage avec Nicolas Mourlon, Directeur général de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse qui explicite aussi la politique menée sur ces deux bassins.
Le 12ème programme de l’agence Rhône Méditerranée Corse est entré en vigueur le 1er janvier 2025? Sur quelles spécificités territoriales s’appuie-il ?
Le périmètre territoriale de l’agence Rhône Méditerranée Corse comporte deux bassins, tous deux traversés par des défis très importants en raison de l’adaptation au changement climatique. L’augmentation des températures y est très marquée, avec +1,8° sur le bassin Méditerranée en moyenne en 60 ans et jusqu’à +3,6° en Ardèche. En moyenne montagne où cette élévation de température est de 2,5°, cela se traduit en particulier par un recul des précipitations solides. D’où une baisse de la disponibilité en eau, accentuée par une évaporation plus importante. Dans ces zones, très représentées dans nos bassins, les modifications sont donc conséquentes sur l’économie, les sols et la biodiversité. Cette nécessité de s’adapter au changement climatique a été identifiée par les comités de bassin dès 2018 et a débouché sur un nouveau plan de bassin Rhône Méditerranée en 2023. Celui-ci constitue, en plus du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) 2022-2027, un élément très fort du 12è programme. Il s’appuie aussi sur nos cartes de vulnérabilités qui fournissent, pour chacun des 192 sous-bassins versants, une approche par degrés de leur exposition à cinq enjeux : baisse de la disponibilité en eau, recul de la biodiversité, asséchement des sols, détérioration de la qualité de l’eau et risques naturels.
L’autre caractéristique forte du bassin Rhône-Méditerranée est que ses prélèvements représentent la moitié des usages nationaux de l’eau. Si les usages y sont très diversifiés, ces forts prélèvements s’expliquent en grande partie par l’activité de refroidissement des activités nucléaires.
Comment ce 12ème programme a-t-il été élaboré ? Et quelle part y ont pris les commissions géographiques des bassins ?
C’est une élaboration assez classique qui a présidé à ce 12è programme avec un travail de concert entre les comités de bassins, et particulièrement leurs bureaux, et le conseil d’administration de l’agence, et notamment sa commission programme. Comme nous couvrons deux bassins, chacun d’eux doit voter le programme en totalité : les réunions décisionnelles sont donc multipliées par deux. Notre démarche est de mener des consultations régulières, en bilatéral, avec les élus, les représentants agricoles, industriels ou encore les associations de protection de la nature, mais aussi en multilatéral pour favoriser l’émergence de consensus.
Nous avons aussi inclus dans cette élaboration les cinq commissions géographiques du bassin Rhône-Méditerranée, des instances de concertation permanentes et plus larges que les comités de bassin. Leur contribution à la définition de notre politique est régulière : ainsi en octobre 2025, des ateliers ont été menés au sein de ces commissions pour préparer le SDAGE. En Corse, nous avons organisé en février une réunion du comité de bassin élargi, toujours dans cette logique de tester auprès d’un plus grand nombre de parties prenantes nos orientations.
Quelle est la logique d’actions de ce programme ?
Notre logique d’actions est d’agir plus vite et plus fort sur tous les domaines et sur tous les territoires. Sur le petit cycle de l’eau, sur le grand cycle, sur la sobriété, sur la qualité de l’eau, sur la reconquête de la biodiversité, sur la solidarité entre territoires, les redevables et les maîtres d’ouvrages, parce qu’ils sont conscients des enjeux, sont en ordre de marche et cela nous oblige en tant qu’institution chargée d’animer la politique.
Nous avons de grands chantiers en matière de désimperméabilisation pour gérer les excès d’eau, en nous appuyant sur des solutions fondées sur la nature. Les pluies intenses sont bien plus fortes et la rétention de l’eau fait sens en raison notamment des épisodes de canicule de plus en plus fréquents. Les zones urbaines sont particulièrement concernées : il nous faut à certains endroits déconnecter les réseaux de récupération d’eau de pluie du réseau d’assainissement. La restauration des cours d’eau est un autre objectif prioritaire, ainsi que la sobriété de tous les usages.
Quelle est la situation des deux bassins en termes de fuites d’eau ? Et quels sont les objectifs ?
Dans les bassins Rhône-Méditerranée et de Corse, le rendement moyen des réseaux d’alimentation en eau potable est de 75,2 % en 2023 et se situe donc en deçà de la moyenne nationale ( à 81% –chiffres 2022 cf. 14e rapport national de l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, édition 2024). Il est toutefois en hausse puisqu’il était de 74,4 % en 2020. La physionomie des bassins marquée par la montagne et un contexte rural localement important expliquent sans doute une part de cet écart. Le ressenti d’une eau relativement abondante en qualité et en quantité dans certains territoires a pu également entraîner un moindre investissement.
Toutefois, depuis les épisodes de sécheresse très importants en 2022 et 2023, l’objectif partagé avec les services de l’État et les collectivités est d’accélérer encore l’amélioration du rendement moyen. À ce titre, on peut signaler l’effort des collectivités à restaurer les canalisations. En effet, la moyenne du linéaire de canalisation d’eau potable renouvelé par an et par service est passé de 1,6 km à 2,6 km entre 2020 et 2023 : l’indice linéaire de pertes, à 5,2 m3/km/j en 2020, est passé à 3,8 m3/km/j en 2023.
Pour poursuivre sur cette bonne dynamique, nous avons doublé les montants d’aides destinés à ce type de travaux : 67 millions y ont été consacrés, soit 28 millions par an, sur le précédent programme. Sur les trois premiers trimestres de l’année 2025, nous sommes déjà à 57 millions.
Quelles sont les spécificités du financement de ce plan ?
Le 12e programme s’accompagne d’une augmentation du niveau des redevances votée par les comités de bassin : en 2025, le plafond de recettes des redevances était de 572 millions d’euros et, si la loi de finances l’autorise, il sera de 630 millions en 2026. La confirmation de cette augmentation par la loi de finances pour 2026 est cruciale pour nos projets ; en son absence, nous serions contraints de revoir la maquette et de réduire les ambitions.
Au-delà de ce contexte, la réforme des redevances a permis de procéder à un rééquilibrage entre le collège des redevables industriels et les usagers domestiques. L’augmentation de 60 millions prévue pour 2026 est exclusivement portée par les industriels et tout particulièrement le secteur énergétique. Quant au secteur agricole, sa contribution au titre de l’eau d’irrigation a donné lieu à une augmentation progressive depuis 2022. Cette dynamique, prévue sur plusieurs années, s’est arrêtée fin 2023 sur décision gouvernementale.
Répartition prévisionnelle des contributions pour 2026 par catégorie d’usagers en Rhône-Méditerranée-Corse
| 12e (2026) | 2026 | 2026 |
| Collectivités et abonnés | 484 017 600 € | 76% |
| Agriculture | 29 086 000 € | 5% |
| Energie | 77 500 000 € | 12% |
| Industriels | 32 000 000 € | 5% |
| Autre | 14 426 000 € | 2% |
| Total | 637 029 600 € | 100% |
Source : Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse
Outre l’exécution de ce programme, quels objectifs vous fixez-vous en tant que directeur général de l’Agence Rhône Méditerranée Corse ?
Outre le programme et les objectifs internes à l’agence, je souhaite vivement consolider le pack acteurs, fondé sur l’implication collective, la solidarité et les partenariats d’organisation, sur tous les territoires pour faire avancer la réponse au défi de l’eau. Pour réussir l’adaptation au changement climatique et surmonter les défis de l’eau qui sont complexes et sans solution unique, nous devons tous faire front et travailler ensemble, territoire par territoire, pour que des solutions adaptées émergent. Chaque territoire doit trouver son chemin. Et, pour y parvenir, tous les acteurs publics doivent disposer d’une capacité d’ingénierie territoriale afin de proposer des solutions financières, réglementaires, techniques. aquagir, le Programme eau de la Banque des Territoires intervient en complément de ce que peuvent proposer les agences de l’eau, que ce soit en financement ou en ingénierie financière, et en proposant des outils tels qu’aquagir.fr. ou Aquarepère.