Le transfert par les communes de leurs responsabilités en matière d’eau et d’assainissement aux structures intercommunales, principalement aux communautés de communes, est désormais facultatif et non plus obligatoire ( loi n°2025-327 du 11 avril 2025). Production et distribution d’eau potable, collecte et traitement des eaux usées et gestion des eaux pluviales urbaines : les communes n’ayant pas encore opéré de transfert retrouve liberté de choix et flexibilité d’organisation.
Piliers juridiques du transfert facultatif et chiffres sur les transferts opérés
Le contour juridique qui ressort de la loi du 11 avril 2025 s’articule autour de trois piliers :
- les communes n’ayant pas encore transféré ces compétences peuvent les conserver si elles le souhaitent ;
- la compétence assainissement -collectif ou non collectif- est dite sécable : si l’une de ses composantes a été d’ores et déjà transférée, cela n’entraine pas le transfert obligatoire de l’autre ;
- les communes peuvent confier tout ou partie de ces compétences à des syndicats supra communaux.
Pour rappel : la loi du 11 avril 2025 maintient les transferts déjà effectués au 23 avril 2025 -date de la promulgation du texte-, sans possibilité de réversibilité.
En 2023, le taux de gestion intercommunale, qui traduit la proportion de communes ayant transféré toutes leurs compétences eau et assainissement au niveau intercommunal) est évalué à hauteur de 71,5%, contre 68,7% en 2020 (15e rapport national de l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, juillet 2025). Selon les chiffres disponibles en septembre 2025, la base nationale sur l’intercommunalité et autres collectivités recensait :
- 622 EPIC à fiscalité propre, exerçant la compétence eau potable ;
- 733 exerçant la compétence assainissement collectif des eaux usées ;
- 1012 pour l’assainissement non collectif des eaux usées ;
- et 332 pour la gestion des eaux pluviales urbaines.
Proximité et autonomie v. efficacité et enjeux : le dilemme du transfert
La proximité avec les usagers, une meilleure connaissance du terrain et la capacité à adapter le service aux spécificités locales. Tels sont les trois arguments principaux qui peuvent inciter à conserver une gestion locale. Autre argument avancé en particulier par les maires de montagne, la gouvernance des intercommunalités « où les communes de montagne ne sont pas majoritaires et où les spécificités de leurs problématiques ne sont pas prises en compte et parfois même mal comprises. » (communiqué de l’Association nationale des élus de montagne, 22 mars 2024). À cela s’ajoute la crainte d’une perte de contrôle sur des services essentiels à la population.
Reste qu’au regard des enjeux que recèle la gestion de l’eau, la nécessité de disposer des moyens nécessaires pour assurer une gestion conforme et durable de cette ressource doit être adressée et c’est là que la question d’un transfert de compétence à l’intercommunalité peut faire sens.
Bon nombre de communes sont confrontées à ce dilemme voire ne voient pas la nécessité d’envisager un transfert, notamment si leurs installations sont en bon état et la structure gestionnaire en excédent de trésorerie. Dès lors pourquoi abandonner cette compétence ? Réponse des 62 communes composant la communauté de communes du Pays de Valois qui ont opté pour le transfert de compétences en faveur de cette dernière : pour « la sécurisation de l’approvisionnement et la qualité de l’eau potable » (lire le retour d’expérience dédié).
Le passage à l’échelle intercommunale pour répondre aux défis du cycle de l’eau
Une approche territoriale plus large doit servir à mutualiser les moyens et à améliorer l’efficacité des services rendus aux usagers et donc in fine à mieux répondre aux défis conséquents du cycle de l’eau. Parmi ceux-ci, on peut citer :
- la raréfaction de la ressource : passer à l’échelle intercommunale permet de mutualiser les conséquences d’un épisode de sècheresse ou d’une sécheresse récurrente parmi lesquels les coûts liés aux approvisionnements par citernes, la dégradation de la qualité de l’eau du fait de rejets dans une quantité d’eau moindre, les coûts d’entretien accrus du fait de l’endommagement des réseaux et des ouvrages de prélèvement. Cela peut aussi favoriser la mise en œuvre de systèmes d’alerte précoce ou la construction et le déploiement de plans de gestion de crise ou encore la distribution d’eau potable.
- les investissements : selon les chiffres de Intercommunalités de France, la durée de vie des réseau d’eau potable est comprise entre 60 et 80 ans et 40% d’entre eux ont 50 ans. En regard, le taux de renouvellement apparait très faible (0,66%) et cela d’autant plus si l’on dépasse le seul objectif de modernisation pour y inclure ceux de la conformité réglementaire et de la résistance et de l’adaptation au dérèglement climatique des équipements. Les besoins financiers sont donc conséquents. Mais plus largement « les services de l’eau et de l’assainissement sont confrontés à un effet ciseaux », comme le souligne Arnaud Bazire, Directeur Général Suez Eau France, dans l’interview donnée à aquagir. En cause certes le mur d’investissements relatif aux réseaux et infrastructures mais aussi une augmentation des charges fixes (produits de traitement par exemple) alors que la réduction des volumes consommés entraîne une baisse des recettes. Dans un tel schéma, le transfert de compétence qui « permet une programmation pluriannuelle d’investissements plus ambitieuse et des économies d’échelle au sein de structures intercommunales plus étendues ayant la capacité financière et technique de réaliser des missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage » apparait comme une solution qui doit être considérée.
- le prix de l’eau : le prix global moyen de l’eau TTC au 1er janvier 2024 (pour une consommation annuelle moyenne par foyer de 120 m³) est de 4,69 €/m3 contre 4,52 €/m3 au 1er janvier 2023 ( 15e rapport national de l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, juillet 2025). Et il faut s’attendre à ce que cette hausse se poursuive dans les prochaines années. La mutualisation des moyens et la meilleure efficacité obtenue à l’échelle intercommunale peuvent aider à pondérer cette hausse des tarifs et moduler les grilles tarifaires (Tarification des services de l’eau : zoom sur les modèles possibles). À court terme, on observe parfois des hausses des tarifs de l’eau à la suite d’un transfert de compétences : outre des règles comptables favorables aux petites communes et qui ne peuvent plus s’appliquer à l’échelle intercommunale, ces hausses sont souvent liées à une revalorisation des niveaux de service et à des modalités de répartition affinées ayant entrainé une évolution de la structure tarifaire (lire à ce sujet le témoignage d’ Étienne Amegnigan, chef du service Eau et Assainissement de la communauté de communes Gorges Causses Cévennes).
- Autres enjeux du cycle de l’eau qu’un transfert de compétences permet de mieux adresser : l’amélioration du niveau de connaissance et de la gestion patrimoniale des réseaux d’eau potable et de celle des réseaux d’assainissement, condition première d’une amélioration du taux de rendement des installations et donc de la lutte contre les fuites d’eau, l’accès à l’eau et la lutte contre les polluants. La complexité du premier sujet, les spécificités du second ou la simple circulation de la ressource pour le troisième empêche souvent une petite commune de s’emparer du sujet et/ou d’y répondre de manière efficace.
Connaissance de l’existant, professionnalisation du personnel et spécificités locales
Les communes qui envisagent comme une possibilité intéressante un transfert de compétences à une intercommunalité doivent se donner le temps de bien préparer celui-ci. Ce temps sera consacré à définir les objectifs et à s’assurer que ceux-ci pourront bien être atteints. Bien connaitre l’existant dans toutes ses dimensions est ici la condition d’un transfert de compétence réussi.
- La phase de préparation doit donc permettre de disposer d’ un « état des lieux le plus précis possible des installations existantes, de leur état, des investissements prévus, au-delà bien sûr des éléments financiers propres à chaque syndicat ou commune. Ce qui nécessite un travail en étroite collaboration avec ces collectivités de manière à partir d’une situation claire et afin de pouvoir établir un plan d’avenir » témoigne Didier Doucet, président de la communauté de communes du Pays de Valois, qui souligne d’importance de projeter les travaux, les recettes, et de modéliser la nécessité d’ emprunter (montant et durée).
- Plusieurs années d’organisation ont été consacré pour préparer le transfert opéré vers la communauté de communes de Gorges Causses Cévennes (Lozère) par trois communautés de communes : Gorges du Tarn Grands Causses, Vallée de la Jonte et Florac-Sud Lozèré. Celles-ci ont fait réaliser une étude de faisabilité et une étude d’impact sur : les rôles et fonctions des différents services à mutualiser en capitalisant sur les atouts respectifs ; l’ élaboration de différents scénarii de mise en œuvre et mise en place du transfert de compétences ; les modalités de fonctionnement du service, le coût pour les usagers. Trois ans se sont écoulées entre les lancement de ces études et le lancement effectif du transfert de compétences ; un temps mis à profit pour définir le scénario le plus pertinent mais aussi former et professionnaliser les personnels dédiés afin de tenir la ligne directrice définie dès le début « garder la proximité, augmenter la compétence et l’efficacité du service et utiliser les ressources financières le mieux possible. »
- Il convient aussi de se donner le temps et les moyens pour surmonter la réticence de certains élus ou services, meilleurs élèves que d’autres via par exemple la mise en place d’un prix de l’eau différencié afin que les communes qui ont réalisé des travaux d’investissement ne payent pas pour celles qui n’ont rien fait sciemment…ou encore en fléchant sur plusieurs années les excédents transférés via la conclusion d’un pacte financier au service des travaux identifiés comme prioritaires sur le territoire concerné. Un temps de concertation avec les populations concernées peut aussi s’avérer utile, notamment poru expliciter une éventuelle hausse du tarif.
Aides financières et accompagnement technique
Bon à savoir : les Agences de l’Eau sous certaines conditions contribuer financièrement à un projet de transfert.
La Banque des Territoires accompagne les collectivités dans leur réflexion sur la mutualisation de la gestion de la ressource eau en intégrant l’enjeu du changement climatique. Elle assure le cofinancement d’ingénierie territoriale et un accompagnement sur l’ingénierie financière ( formalisation de trajectoires financières pour assurer la faisabilité du projet et de la stratégie financière).
En outre, La Banque des Territoires propose :
- un service accessible par téléphone et en ligne, Rural Consult, qui propose un service d’accompagnement juridique et financier pour les communes de moins de 5000 habitants et les intercommunalités de moins de 50 000 habitants.
- l’Aqua Prêt, une offre de prêt qui convient à ce type de projet établi sur le très long terme. L’Aqua Prêt propose une durée d’amortissement jusqu’à 60 ans avec des taux à 2,8 %, ce qui permet de tirer la ligne de prêt sur du très long terme, largement au-delà de 25 ans.