En récompensant les économies d’eau, la Métropole européenne de Lille a inversé son modèle économique de la gestion de l’eau. Auparavant axé sur la quantité vendue, il privilégie désormais la sobriété, avec un objectif de réduction de 10% sur une période de 10 ans. Cette approche novatrice, tout en préservant le pouvoir d’achat des consommateurs, répond aux défis de la raréfaction de la ressource.
Pour en savoir plus, nous sommes allés à la rencontre d’Alain Bézirard, Maire de Erquinghem-Lys et Vice-Président délégué à la Politique de l’Eau et de l’assainissement de la Métropole Européenne de Lille et de Yannick Van Es, Directeur de l’eau et de l’assainissement de la Métropole Européenne de Lille
Pour contextualiser cet entretien, pouvez-vous résumer en quelques mots le contexte et les objectifs principaux du contrat de sobriété en eau signé avec Veolia ?
Alain Bézirard : Le contrat de sobriété hydrique que nous avons signé avec Veolia vise à garantir une utilisation plus responsable de l’eau à l’échelle de notre métropole, tout en nous préparant aux défis climatiques à venir. Notre objectif est clair et ambitieux : réduire les prélèvements d’eau de 10 % sur une période de dix ans. Nous avons également réservé un volume de 5% d’économies supplémentaires pour l’extension et le développement métropolitain, tant au niveau de l’habitat que sur le plan économique. C’est une réduction substantielle qui nécessite des efforts coordonnés et une gestion rigoureuse.
Comment le sujet de la sobriété de l’eau s’est-il imposé à l’agenda de la Métropole ?
Alain Bézirard : C’est le fruit d’une prise de conscience progressive, nourrie par les réalités environnementales et les attentes citoyennes. Ces dernières années, nous avons assisté à une intensification des phénomènes climatiques extrêmes, notamment les sécheresses, qui ont mis en lumière la vulnérabilité de notre système d’approvisionnement en eau. La baisse des niveaux des nappes phréatiques que la MEL suit en continue depuis de nombreuses années, nous ont poussés à reconsidérer nos pratiques. Sans action, nous risquions de ne plus avoir suffisamment d’eau pour alimenter les robinets de la métropole dans quelques années.
On dit de ce contrat qu’il est une première en Europe. En quoi se distingue-t-il d’un contrat classique et quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Yannick Van Es : Contrairement aux contrats classiques de gestion de l’eau, qui se concentrent principalement sur la distribution et le traitement des eaux, notre contrat inclue de nouvelles obligations pour le concessionnaire, qui ne doit pas seulement fournir un service de qualité, mais aussi démontrer sa capacité à réduire les prélèvements d’eau. Nous avons pour cela mis en place des objectifs stricts d’économie d’eau, avec des pénalités en cas de non-respect. Il y a donc un inversement du modèle économique traditionnel : au-delà du seuil sur lequel Veolia s’est engagé, plus le concessionnaire vendra d’eau, plus cela leur coûtera cher. Notre inspiration est venue de plusieurs sources. Nous nous sommes penchés sur des modèles existants dans d’autres secteurs, notamment dans l’énergie, où des contrats « à impact » sont de plus en plus courants. Ces contrats lient les performances du prestataire à des objectifs environnementaux précis, avec des incitations à innover et à optimiser les processus.
Une telle innovation demande de la préparation. Avez-vous mené des études de faisabilité et/ou d’impact au préalable ?
Yannick Van Es : Nadeo, notre assistant à maitrise d’ouvrage, nous a accompagnés pendant plus de deux ans pour valider la viabilité de nos objectifs, identifier les gisements de réduction possible, et évaluer les impacts potentiels sur les usagers et sur l’environnement. Les études préalables ont révélé que les principales sources d’économies d’eau se trouvaient dans l’amélioration de la rapidité des réparations des fuites sur le réseau et dans l’évolution de certains comportements de consommation. Nous avons donc ciblé nos efforts sur ces axes prioritaires. Cela inclut le déploiement à grande échelle du télérelévé avec alerte fuite, coach conso et distribution de kits hydroéconomes- qui peuvent économiser plus de 2 millions de mètres cubes d’eau par an – et l’installation de 5 000 sondes pour détecter les fuites sur le réseau en temps réel. Par ailleurs, la MEL a décidé de maintenir une part importante de ses investissements pour renouveler 1% du réseau tous les ans, en ciblant les canalisations les plus à risques de fuites.
Le contrat vise à réduire les prélèvements d’eau de 10 % sur 10 ans, et concerne 66 des 95 communes de la Métropole. Lors de la sélection du prestataire, comment la Métropole s’est-elle assurée de faire le « bon choix » et de choisir la « bonne formule » ?
Alain Bézirard : La sélection du prestataire a été un processus particulièrement rigoureux, car nous savions que le succès de ce contrat dépendrait en grande partie de notre capacité à choisir le bon partenaire. Les critères de sélection ne se sont pas limités aux aspects financiers, bien que ceux-ci soient évidemment importants. Nous avons évalué les candidats sur leur capacité à innover, à proposer des solutions concrètes pour réduire la consommation d’eau, et à travailler en partenariat avec la Métropole et les autres acteurs locaux. Veolia a a su se distinguer sur chacun de ces aspects. Nous avons également mis en place un comité de suivi pour superviser l’exécution du contrat et s’assurer que les engagements pris seraient respectés. Ce comité, composé de représentants de la Métropole, de Veolia, et d’experts indépendants, a pour mission de garantir la transparence du processus et de corriger les éventuels écarts par rapport aux objectifs fixés. C’est cette combinaison de rigueur, d’innovation, et de collaboration qui nous a permis de faire le « bon choix » et d’opter pour la « bonne formule ».
La sobriété est l’affaire de tous. Comment impliquez-vous l’ensemble des consommateurs dans vos efforts de réduction de la consommation d’eau ?
Alain Bézirard: Notre approche consiste à mobiliser chaque acteur, en fournissant les outils et l’accompagnement nécessaires. Pour les grands consommateurs, tels que les hôpitaux, les bailleurs sociaux, les collectivités, nous avons instauré des conventions qui les engagent à réduire leur consommation de 15% en échange d’un accompagnement technique. Ces conventions sont assorties de clauses de suivi qui permettent de mesurer les progrès réalisés et d’ajuster les actions en fonction des résultats obtenus. Le concessionnaire doit en contractualiser 120 par an. Ces partenariats peuvent aussi permettre d’accompagner les entreprises afin de les aider à réduire leur consommation tout en maintenant leur compétitivité. De manière complémentaire, l’Agence de l’eau peut accompagner sur les plans techniques et financiers les mises en œuvre des solutions d’économies sur les process. Elles subventionnent certaines actions : installations des capteurs sur le réseau, kits hydroéconomes pour les usagers.
Pour les citoyens, nous avons lancé des campagnes de communication pour les informer des enjeux liés à la gestion de l’eau et les inciter à adopter des comportements plus économes. Nous avons également développé des guides pour réduire sa consommation d’eau à domicile et allons distribuer gratuitement un kit d’économie d’eau à chaque usager du territoire. Les enfants sont aussi un public clé. Nous avons donc mis en place des programmes éducatifs dans les écoles pour les sensibiliser dès le plus jeune âge.
Quels sont les principaux défis que vous avez rencontrés lors de la mise en place de ce contrat ?
Yannick Van Es : Lors de la mise en œuvre de ce contrat, nous avons dû trouver un nouvel équilibre technique tout en développant un modèle économique adapté aux nouvelles exigences. Cela a pris du temps et a exigé une réorganisation des équipes et des processus au sein du service public de l’eau. La production et la distribution d’eau reposent sur un maillage complexe. Le défi principal est de garantir la qualité et la quantité de l’eau, surtout lorsqu’elle provient de diverses sources nécessitant des mélanges pour respecter en permanence les nombreuses normes de qualité et que ces ressources sont fragilisées par les effets du changement climatique.
Nous avons dû également anticiper l’impact économique de la baisse des ventes d’eau. Cela impose de ne plus raisonner uniquement en termes de prix de l’eau mais aussi en termes de facture d’eau pour un service dont la qualité est reconnue par les usagers.
Quelles sont les principales leçons apprises que vous retirez de votre collaboration avec Veolia ?
Alain Bézirard : L’une des principales leçons de cette collaboration est l’importance de la transparence. Il est essentiel que chaque partie soit pleinement consciente des enjeux et des défis, et que les décisions soient prises en commun, en tenant compte des contraintes de chacun. Cela permet de créer un climat de confiance et de s’assurer que tout le monde travaille dans la même direction.
Une autre leçon est la nécessité d’être flexible. Les projets de cette envergure sont souvent confrontés à des imprévus, qu’il s’agisse de problèmes techniques, de conditions climatiques changeantes, ou de contraintes budgétaires. Il est donc crucial de pouvoir ajuster les stratégies en fonction de ces imprévus, tout en gardant le cap sur les objectifs globaux. Veolia a su faire preuve de cette flexibilité, ce qui a grandement contribué au bon déroulement du projet.
Enfin, cette collaboration a mis en lumière l’importance de l’innovation. Pour atteindre nos objectifs, il nous a fallu explorer de nouvelles approches, tester de nouvelles technologies, et parfois prendre des risques. En cela, Veolia a été un véritable atout. Grâce à cet esprit d’innovation, nous avons réussi à mettre en place des solutions qui sont non seulement efficaces, mais aussi adaptées aux spécificités de notre territoire.
Enfin, quels conseils donneriez-vous à d’autres collectivités qui souhaitent mettre en place des initiatives similaires ?
Alain Bézirard : Tout d’abord de prendre le temps de bien se préparer en se faisant épauler par un assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) indépendant. Les études en amont sont essentielles pour définir des objectifs réalistes et élaborer un plan d’action répondant aux enjeux de son territoire. La communication est également un élément clé de la réussite. Il ne suffit pas de mettre en place des solutions techniques ; il faut aussi mobiliser l’ensemble des acteurs du territoire, qu’il s’agisse des entreprises, des grands consommateurs, ou des citoyens. Leur adhésion au projet passe par des campagnes de sensibilisation régulières, des outils pratiques pour aider chacun à réduire sa consommation d’eau, et des initiatives spécifiques pour les plus gros consommateurs. L’adhésion de la population est essentielle pour garantir l’efficacité des mesures prises.
Enfin, je conseillerais de rester ouvert à l’innovation. Les technologies évoluent rapidement, et il est important de se tenir informé des dernières avancées pour pouvoir les intégrer dans sa stratégie de gestion de l’eau. Cela peut passer par des partenariats avec des chercheurs, des start-ups, ou d’autres collectivités qui partagent les mêmes enjeux. En résumé, une approche intégrée, collaborative, et tournée vers l’innovation est la clé pour réussir à mettre en place des initiatives de sobriété hydrique efficaces et durables.
Les chiffres clés du projet
- Objectif final : 65 millions de m³ d’économies entre 2024 et 2033
- Investissements à réaliser : 60 millions d’euros
- Durée du contrat : 10 ans
Les principales dates du projet
- Lancement de l’étude pour le montage du contrat de performance : début 2020
- Lancement de la phase de candidatures : octobre 2021
- Signature du contrat : mai 2023
- Démarrage du contrat : janvier 2024
- Premiers résultats : déploiements des actions en cours