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Marc-André Selosse : Les Secrets des Champignons et de l’Écologie des Sols

Cet article a été rédigé par Maxime Blondeau

Marc-André Selosse
Crédits photos : Marc-André Selosse

Découvrez l’interview de Marc-André Selosse, éminent mycologue et professeur au Muséum d’histoire naturelle. Spécialiste des champignons et de leur écologie, il explore les symbioses entre champignons et racines des plantes, cruciales pour la survie de 90 % des plantes sur Terre. Marc-André Selosse partage également son parcours, son intérêt pour l’eau et le sol, et son livre « L’Origine du Monde ». Il aborde l’importance souvent sous-estimée des sols et des champignons, les liens entre environnement et santé, et la gestion durable des sols. Son ouvrage « Nature et préjugés » remet en question nos idées préconçues sur le monde vivant.

Bonjour Marc-André. Vous êtes un éminent biologiste, professeur au Muséum d’histoire naturelle, pouvez-vous nous parler de votre spécialité ou de votre sujet d’étude principale ?

Je suis d’abord mycologue. Je m’intéresse aux champignons et à leur écologie. Ce qui m’intéresse le plus, ce sont ceux qui s’associent aux racines des plantes et vivent en bonne entente avec elles. Dans le monde entier, les plantes fournissent aux champignons une partie de leur sucre et, en échange, ceux-ci vont puiser pour elle de l’eau et des sels minéraux dans le sol. Ces champignons vont, en quelque sorte, faire les courses pour la plante, et ont en plus un effet protecteur sur leurs racines. Ces associations s’appellent des mycorhizes et elles sont nécessaires à neuf plantes sur dix sur la planète.

Qui s’assemble avec qui dans les sols ? Comment ? J’étudie tout ça avec mon équipe à Paris mais aussi avec deux autres équipes, basées à Gdansk en Pologne et à Kunming en Chine.

 

Comment est-ce que l’eau est entrée dans votre vie ?

Depuis mon enfance, je suis fasciné par les champignons. Je passais mes week-ends à les nommer et à les identifier. En tant que chercheur, je me suis intéressé à leur mode de vie. Cette exploration m’a progressivement amené à considérer le sol dans son ensemble, et c’est là que j’ai rencontré… l’eau. Bien sûr, l’eau était présente dans les organismes que j’étudiais, ainsi que dans les plantes, mais je n’avais jamais vraiment approfondi cette question. C’est lorsque j’ai commencé à vouloir raconter le sol, d’abord à mes étudiants, puis plus récemment dans mon livre « L’Origine du Monde : une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent » aux éditions Actes Sud, que j’ai réalisé à quel point le sol et la vie qu’il abrite sont cruciaux pour comprendre le comportement de l’eau, tant en termes de quantité que de qualité, dans notre environnement. J’ai pris conscience du rôle essentiel des sols et de la vie qui s’y développe.

 

Pensez-vous que l’importance des sols et des champignons est aujourd’hui sous-estimée ?

Oui. Mais c’est valable pour toutes les dimensions du vivant. Notre connexion à la nature se développe plus facilement lorsque nous avons la possibilité de l’expérimenter. Or, dans notre pays, la plupart des gens habitent en moyenne à 16 kilomètres de la nature sauvage la plus proche, étant donné que nous vivons principalement en milieu urbain. Cette distance a augmenté de plus de 600 mètres au cours des vingt dernières années à l’échelle mondiale, ce qui signifie que nous sommes de moins en moins en contact avec la nature. En conséquence, notre imagination et notre curiosité se tournent plus facilement vers d’autres sujets, creusant ainsi le fossé qui nous sépare du reste du monde vivant. Je considère que j’ai été extrêmement chanceux d’avoir eu cette proximité privilégiée avec la nature dès l’enfance, d’autant plus que mes parents n’avaient pas du tout des métiers naturalistes. Tant pour moi-même que pour mon frère, qui est ornithologue, le contact avec la nature a suscité en nous des interrogations profondes et des intérêts durables. C’est un aspect essentiel pour l’éducation de la prochaine génération, un point souvent négligé au sein de l’enseignement.

Je préside aujourd’hui la fédération Biogée, qui rassemble le Muséum d’Histoire Naturelle, des Académies et des sociétés scientifiques, dans le but de promouvoir l’enseignement des sciences du vivant. Nous pensons que, de nos jours, les gens prennent des décisions néfastes pour leur santé et pour l’environnement principalement parce qu’ils n’ont pas de connexion, je dirais presque affective, avec ces sujets. Cela ne fait pas partie de leur vision du monde, et par conséquent, ils ne comprennent pas le fonctionnement des choses et décident d’une façon nuisible à eux-mêmes.

C’est particulièrement le cas pour les sols, les champignons et la vie microbienne. L’environnement et la santé sont étroitement liés, ce sont deux aspects d’une même réalité. Cette idée, que l’environnement et la santé sont indissociables, n’est pas banale du tout ; de fait, la plupart des médecins n’ont pas été formés à l’écologie ou aux sciences de l’environnement – alors que notre santé y puise sa force ou sa fin.

 

Partagez vous l’idée selon laquelle l’environnement n’est pas seulement ce qui nous entoure, mais qu’il nous traverse également ?

Oui, j’ai traité des microbiotes dans mon livre « Jamais seuls » publié en 2017, qui était spécifiquement consacré aux microbes qui façonnent les plantes, les animaux et les civilisations. Je suis pleinement convaincu de l’importance de ce lien.

En réalité, nous sommes liés à des écosystèmes externes que l’on peut observer, par exemple, en examinant attentivement notre réfrigérateur où différents éléments interagissent. Ces écosystèmes apportent notre nourriture, avec laquelle nous entretenons un lien intime, mais aussi des emballages, le réfrigérateur lui-même et son énergie. La contemplation du contenu de notre réfrigérateur nous permet de prendre conscience que nous sommes virtuellement présents dans ces écosystèmes naturels externes, où nos choix de consommateurs décident comment ils sont exploités et ce qu’on y fait. Mais, il y a aussi ces écosystèmes internes, nos microbiotes, tels que ceux de la peau et ceux de l’intestin, entre autres.

Tous ces écosystèmes nous sont si étroitement liés que leur altération a des conséquences dommageables sur notre santé. Par exemple, l’utilisation de pesticides ou d’engrais phosphatés contaminés par du cadmium dans les champs contamine les aliments que nous consommons, de résidus de pesticides ou de cadmium. La moitié des Français présentent un surdosage de cadmium. On consomme 1,4 fois la dose maximale recommandée par l’OMS de ce métal lourd, néfaste pour les reins, le foie et cancérigène. Cela explique en grande partie l’augmentation de 3 à 4 % par an des cancers du pancréas ! De même, pour notre microbiote, il est désormais établi que certaines maladies métaboliques telles que le diabète et l’obésité, des affections du système immunitaire comme l’asthme ou les allergies, voire même des troubles neurologiques tels qu’Alzheimer, Parkinson ou les troubles autistiques, sont en partie liés à sa perte de diversité. Elle résulte d’une hygiène excessive et de la consommation d’additifs alimentaires : édulcorants, émulsifiants ou conservateurs.

On peut prévenir cela en prenant soin de son microbiote intestinal, en consommant des fibres végétales (5 fruits ou légumes par jour), en évitant à son microbiote cutané des gels douche bourrés d’additifs, et utilisé trop fréquemment.

Il existe des moyens positifs d’agir pour moduler ces écosystèmes internes et externes de manière plus favorable à notre santé. Cette perspective apporte une lueur d’espoir implicite. Malheureusement, cette bonne nouvelle n’est jamais claire pour ceux qui méconnaissent le vivant. On pourrait résumer cela par les mots d’un anthropologue canadien, Jérôme Barkow, qui affirme que « la biologie n’est une fatalité que si on l’ignore ». Au rebours, si l’on prend conscience de tout cela, la biologie devient un outil. Mais, pour l’instant, elle reste une fatalité.

 

Pourquoi les acteurs du territoire devraient ils prêter une plus grand attention au monde microbien en général ? Quel intérêt ?

Lorsque l’on ignore le vivant, il est difficile de comprendre pourquoi il est important de le prendre en considération et de le gérer. En ce qui concerne les microbes, ils sont intrinsèquement liés à notre santé. Aujourd’hui, les excès, que l’on désigne souvent par le terme de « théorie hygiéniste », impliquent une élimination excessive des microbes. Certes, on élimine les microbes indésirables, mais on élimine également certains microbes qui sont vitaux pour notre santé. On estime que cet excès d’hygiène explique en partie l’émergence des maladies de la modernité que j’ai mentionnées précédemment. Le métabolisme, le système immunitaire et le système nerveux sont touchés par ces maladies de la modernité qui affecteront un Européen sur quatre en 2025 ! C’est une véritable épidémie. Donc, il existe des objectifs de santé, mais aussi des objectifs d’aménagement.

Les microbes peuvent nous aider à nettoyer. Pour les sols pollués par des eaux contaminées, les solutions reposent sur des interventions microbiennes. Par exemple, en cas de pollution par des hydrocarbures ou des polluants organiques, l’utilisation de champignons peut permettre de gérer la situation ; des bactéries aident à résorber les marées noires mieux que les agents dispersants qui éparpillent la toxicité du pétrole ! Ils peuvent également être un instrument de gestion agricole pour demain : j’évoquais précédemment mes recherches sur les champignons associés aux racines, qui aident les plantes à se nourrir et à se défendre dans le sol. Actuellement, nous utilisons souvent des grandes quantités d’azote et de phosphate pour nourrir les cultures, qui finissent dans les eaux continentales et dans des proliférations d’algues sur le littoral. Les restes de ces algues rencontrent des difficultés à se décomposer, car il y a rapidement une insuffisance d’oxygène pour cela. Que ce soit les marées brunes des Caraïbes ou les marées vertes de Bretagne, ces proliférations entraînent des émanations de H2S, un gaz toxique pour l’homme, en raison des microbes présents dans ces milieux.

Il est clair que baser la fertilité des sols sur les champignons des mycorhizes et des apports de matière organiques, plutôt que sur des excès d’azote et de phosphate minéraux qui finissent par polluer les écosystèmes, est un outil. Mais nous ne nous en sommes pas encore saisis.

Il y a des startups qui émergent pour aider à favoriser ces bons gestes en renforçant les champignons. Cependant, aujourd’hui, ces champignons sont contrecarrés à la fois par les apports d’engrais qui court-circuitent leur action, la plante n’en ayant plus besoin, et par le labour qui détruit physiquement leurs filaments souterrains. Nous ne gérons pas du tout ces champignons, nous ne les considérons pas comme une ressource pour les plantes ; au contraire, nous sommes contraints de nous substituer entièrement aux fonctions qu’ils remplissaient. Il y a donc des outils cruciaux pour l’agriculture et la santé. Le monde microbien, lorsqu’on le comprend, peut devenir un véritable atout.

 

Pourquoi est-ce que les sols, l’endroit même où se joue la majeure partie des relations microbiennes, de l’eau et du vivant, sont aussi mal intégrés à nos représentations, et donc aux politiques publiques ?

Nous nous confrontons à un impensé. Peut-être parce que les sols ne sont pas transparents ou peut-être que culturellement, la question des sols n’a pas beaucoup d’attrait, car nous y déposons nos déchets et nos morts, je ne sais pas. Mais le fait est que nous ne voulons pas les considérer.

Cependant, comprendre le fonctionnement des sols revêt une importance capitale.

Prenons le cas de l’eau, justement, des sols très vivants, c’est-à-dire des sols non labourés et peu exposés aux pesticides. Dans ces sols, on observe une activité variée : des animaux de toutes tailles, des amibes, ces grosses cellules se déplaçant dans le sol pour se nourrir de bactéries, les mouvements des bactéries elles-mêmes… Cette activité crée des pores : les plus grands permettent à l’eau de pénétrer, tandis que les petits la retiennent par capillarité.

Toute cette vie finit par mourir : or, les cadavres microbiens jouent un rôle crucial. En association avec les débris des végétaux non décomposés, ils forment la matière organique des sols. Elle retient l’eau par elle-même et en stabilisant les pores du sol, car elle agrège les particules et empêche leur effondrement. En ajoutant seulement 1 % de matière organique au volume total d’un sol agricole, on stocke en moyenne 10 mm d’eau de pluie. C’est une réserve assez significative, équivalant à environ 3 ou 4 jours de végétation, ce qui permet d’attendre la prochaine pluie un peu plus longtemps.

Malheureusement, aujourd’hui, la matière organique des sols est en danger. Nous labourons et les bactéries du sol, mieux aérées, respirent plus vite et détruisent la matière organique plus vite. Nous n’apportons plus d’engrais sous forme de matières organiques mais plutôt sous forme d’engrais minéraux. Enfin, bien sûr nous récoltons les cultures, ce qui est normal : mais cela fait moins de restes au sol. Les sols français ont ainsi perdu la moitié de leur matière organique depuis les années 50.

On le voit ici, le sol est un outil essentiel pour l’eau. Cependant, faute de comprendre son fonctionnement, nous le contraignons à produire davantage à travers des pratiques telles que le labour et les engrais minéraux, qui défavorisent ses fonctions propres et leur durabilité. Ces pratiques sont très néfastes : le labour multiplie l’érosion par un facteur de 10. En fait, nos sols sont en train de disparaître sous nos yeux

 

Pour conclure, Marc-André, peut être pourriez vous nous parler de votre livre, « Nature et préjugés », qui vient de sortir en mars 2024. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Oui, en fait, on en a un peu parlé, parce que le sous-titre, c’est « Convier l’humanité dans l’histoire naturelle ». C’est un livre dans la ligne de pensée de Philippe Descola ou de Bruno Latour, qui nous disent qu’il n’y a pas de distinction entre nature et société. Dans ce livre, je m’efforce de remettre en question les idées préconçues que nous avons sur le monde vivant et sur la nature, afin de les reconstruire de manière plus en accord avec les avancées scientifiques, en y incorporant mieux l’humanité. Je vise à mieux comprendre notre lien à la nature et au monde, pour agir de manière plus éclairée.

L’ambition de ce livre est d’expliquer le fonctionnement réel, pour éviter les clichés selon lesquels, par exemple, la nature est bien faite, l’homme est le seul à produire des déchets, la coopération est une loi naturelle, ou bien un peu de compétition est une bonne chose. Tout cela est bien trop simpliste et cette simplification nous nuit souvent, comme le montrent les catastrophes sanitaires et environnementales que nous vivons actuellement.

On dit souvent que le lien avec la nature est rompu. En réalité il existe toujours, mais il restera source de nuisance tant qu’il ne sera pas géré et pris comme outil.

 

Merci beaucoup Marc-André. Un grand merci pour cet échange.

Cet article vous est proposé par aquagir

aquagir est un collectif d’acteurs œuvrant dans l’accompagnement de bout-en-bout des projets de gestion des eaux dans les territoires avec une vision globale, collective et écosystémique des enjeux et des solutions.  aquagir regroupe l’ANEB, la Banque des Territoires, le BRGM, le Cercle Français de l’eau, les pôles de compétitivité de la filière eau Aqua-Valley et Aquanova et l’UIE (Union des Industries et Entreprises de l’Eau)

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