Saint-Nazaire agglo (44) veut utiliser l’eau usée traitée pour les usages industriels
Saint-Nazaire agglo (10 communes, 130 000 habitants) est un territoire d’eau, avec la Loire, la côte et les vastes zones humides de la Brière. La collectivité gère en régie l’eau potable avec un prélèvement direct dans la nappe souterraine mais comble ses besoins par des interconnexions avec les territoires voisins.
L’agglomération distribue environ 17,8 millions m3 d’eau par an dont un tiers pour les abonnés domestiques, un tiers aux collectivités voisines et un tiers aux industries du territoire qui ont des besoins conséquents. En 2024, la consommation totale enregistre une baisse en raison des efforts faits par les industriels pour réduire leur consommation. Les 9 stations d’épuration (Step) sont également exploitées en régie.
Dix ans après une première étude de faisabilité, le projet de Réutilisation des Eaux Usées Traitées (REUT) issues des Step est relancé. Il intègre l’évolution de la réglementation européenne et française visant à favoriser le déploiement de la réutilisation des eaux usées traitées en sécurisant le cadre réglementaire et ouvrant le droit à l’expérimentation.




Entretien avec François Chéneau, Carole Benoit et Stéphane Malhaire

Ce projet est présenté :
- François Chéneau, vice-président en charge du petit cycle de l’eau (distribution, assainissement et eaux pluviales) à Saint-Nazaire agglo et maire de Donges ;
- Carole Benoit, responsable d’unité, service exploitation assainissement, direction du cycle de l’eau, en charge du dossier REUT à Saint-Nazaire agglo ;
- Stéphane Malhaire, directeur du cycle de l’eau à Saint-Nazaire agglo.
Parole de collectivité
Afin de vous permettre de mieux appréhender la mise en place des projets de gestion de l’eau sur votre territoire, aquagir part à la rencontre d’élus et de porteurs de projets qui sont passés à l’action
Comment la REUT s’est-elle imposée à l’agenda de votre collectivité ?
François Chéneau : Dès 2010, les élus de Saint-Nazaire agglo ont souhaité explorer l’utilisation de l’eau en sortie de la station de traitement des eaux usées de Montoir-de-Bretagne, mise en service en 2012. De 2010 à 2014, une étude de faisabilité sur la réutilisation des eaux usées traitées par deux industries (TotalEnergies et Yara) a mis en évidence de nombreux freins. Aujourd’hui, la REUT s’envisage en lien avec le projet ZIBaC (Zone Industrielle Bas Carbone) co-piloté par le Port Nantes Saint-Nazaire et Saint-Nazaire Agglo.
Son objectif est d’accompagner l’adaptation au changement climatique et l’implantation d’unités décarbonées, notamment de production de carburants (Take Kair et Lhyfe). Leurs besoins se situent entre 600 000 et 800 000 m³ d’eau par an. Nous ne pouvons plus consommer l’eau potable comme nous le faisions auparavant, surtout les industriels.
L’État pousse activement les grands consommateurs, comme TotalÉnergies, à réduire leurs prélèvements. Nous explorons donc des alternatives, telle la REUT, pour offrir une solution et soutenir la décarbonation de l’économie, sans puiser davantage dans notre ressource principale.
Quelles sont les sources d’inspiration que vous avez suivies pour vous faire une idée de ce projet ?
François Chéneau : Depuis 2005, le golf de Pornic utilise des eaux usées traitées. Pour les usages industriels, les expériences sont moins nombreuses. Nous avons observé des pays comme l’Espagne, l’Italie et Israël où la réutilisation est courante, souvent imposée par la contrainte hydrique. La raffinerie de Tarragone en est un exemple. Une expérience menée en Italie sur une petite production d’hydrogène par électrolyse de l’eau nous a inspirés et notre territoire pourrait être pilote. Nous nous appuyons aussi sur l’expérience de ports européens comme Anvers et Dunkerque qui appliquent la REUT à grande échelle pour l’industrie.
Est-ce qu’une étude de faisabilité et/ou d’impact a été réalisée sur ce projet ?
François Chéneau : Une première étude de faisabilité a été menée entre 2010 et 2014. Elle n’a malheureusement pas abouti à l’époque. Juridiquement, il était incertain de qualifier l’eau usée traitée (est-ce un déchet ou un produit de valeur ?). Techniquement, le traitement par osmose inverse, nécessaire pour les besoins industriels, rendait l’eau corrosive et instable. Le traitement était très coûteux en énergie (bilan carbone négatif) et en investissement (estimé à 12 millions d’euros).
En 2020, la collectivité a décidé de relancer la REUT avec une nouvelle étude d’opportunité, considérant tous les usages possibles (agricole, services techniques, golf, plan d’eau…) pour les 9 stations de traitement des eaux usées de l’agglomération. En 2024, l’étude dans le cadre du projet ZIBaC vise à définir la place de la REUT dans les besoins industriels et à établir les scénarios techniques d’ici juin 2026. Si ces projets aboutissent à l’horizon 2030-2032, nous serons pionniers en France.
Concernant les compétences, quels sont les principaux sujets à maîtriser avant de se lancer dans ce projet ?
François Chéneau : Le cadre réglementaire français est peu défini et reste à construire. Nous anticipons des jurisprudences pour le compléter, ce qui génère de l’incertitude et une certaine frilosité. La gouvernance est un enjeu majeur : qui finance ? qui porte la responsabilité ? comment organiser le partage de l’eau ?
Stéphane Malhaire : Depuis la sécheresse de 2022, la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM) a évolué dans la prise en compte des rejets des eaux usées traitées, comme apport concourant au soutien d’étiage des cours d’eau pendant l’été, considérant une très bonne qualité en sortie de station. Or, la REUT pourrait réduire ces rejets vers le milieu naturel et perturber cet équilibre. Les projets de REUT sont donc particulièrement encouragés sur le littoral et dans l’estuaire, avec trois Step prioritaires (Donges, Montoir-de-Bretagne et Ecossièrnes). Ceux-ci peuvent aussi avoir un effet positif sur le territoire comme alimenter ou maintenir le débit de fuite du plan d’eau du Bois-Joalland à Saint-Nazaire. Les six stations situées en zone Brière ne sont pas priorisées à ce stade en raison des faibles débits rejetés et/ou du rôle de soutien au milieu naturel en été. Trois d’entre elles présentent toutefois un potentiel notamment pour les besoins des services municipaux (cimetière, serres municipales…).
Lors de la phase de diagnostic et de planification, comment la collectivité a-t-elle assuré le bon dimensionnement du projet et l’adhésion des citoyens ?
François Chéneau : La Step de Donges est en cours de rénovation (2025-2026). Elle a été repensée avec une réserve foncière pour raccorder une unité de traitement supplémentaire pour TotalÉnergies ou proposer différents niveaux de traitement de l’eau, comme un traitement minimal au niveau de la station d’épuration. L’industriel pourra ensuite effectuer un traitement spécifique sur son site pour répondre à ses propres exigences de qualité d’eau. La station de traitement des eaux usées de Donges produit environ 450 000 m³ d’eau traitée par an. Bien que cela ne couvre pas l’intégralité des besoins de TotalÉnergies (environ 3 millions de m³ par an), ce projet, couplé éventuellement à d’autres stations, peut devenir significatif.
Carole Benoit : L’acceptabilité sociale de la REUT est un obstacle non négligeable. Le public perçoit souvent cette eau de manière très négative. La réglementation française, encore floue, présente nos projets comme des expérimentations, et nos agents se sentent comme des « cobayes ». Les conditions climatiques influencent aussi cette adhésion : une sécheresse stimule la compréhension, mais des pluies prolongées font oublier la pertinence du sujet. Le partage de cette ressource, même traitée, peut générer des tensions. Nous devons aussi communiquer avec une transparence absolue sur la qualité et les contrôles réalisés pour rassurer.
Comment la collectivité a-t-elle financé ce projet et quelles sont les aides sollicitées/obtenues ?
François Chéneau : Le modèle économique est incertain. Pour des applicatifs industriels, le coût de la REUT est plus élevé que l’eau potable, sachant que le tarif de l’eau vendue aux industriels a été aligné au 1er janvier 2025 sur celui des particuliers (1,41 € HT/m³) afin d’inciter à la sobriété. La REUT doit rester attractive, c’est essentiel. Les investissements sont lourds et les projets devront être cofinancés, la collectivité ne peut pas porter seule cet investissement.
Quels sont les autres acteurs qui ont accompagné Saint-Nazaire agglo dans la préparation et la réalisation de ce projet ?
François Chéneau : L’Agence de l’Eau Loire-Bretagne est un partenaire sur le petit cycle de l’eau via un accord de programmation signé en 2022, pour une durée de 3 ans, en cours de renouvellement. Le Cerema a participé à l’étude d’opportunité en 2020 dans le cadre d’un partenariat de R&D avec l’Agglomération, l’Agence de l’Eau et la Banque des Territoires.
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Le projet en détails
Dates clés
2010
2010 - 2020
2010 - 2024
2026
Chiffres clés
9 000 000
5 000 000
101 890
Résultats
L’agglomération gère en régie les compétences eau et assainissement, ce qui est facilitant.
À retenir
La REUT permet de préserver la ressource en eau, valoriser l'eau usée traitée en lui donnant une valeur et une fonctionnalité, transformer le modèle économique local et être un levier pour la décarbonation et la transition écologique des industries implantées sur le territoire
La perception négative de la REUT et les variations climatiques rendent la communication complexe
Le coût élevé des infrastructures pour le traitement et de l’acheminement de l’eau usée traitée ; des attentes différentes quant au niveau de qualité des eaux usées traitées
Ressources
Ouest-France : Dans l’agglomération nazairienne, l’utilisation des eaux usées est aussi un enjeu pour la sobriété
La Carene a mis en place un plan stratégique pour favoriser la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) qui sortent des stations d’épuration. Elles peuvent parfois remplacer l’eau potable, notamment dans certaines activités industrielles très gourmandes.
Les partenaires de ce projet

Agence de l'eau Loire-Bretagne

Banque des Territoires
Cerema
En savoir plus sur Saint-Nazaire Agglo
habitants
communes membres
Données de contact
- Saint-Nazaire Agglo, 4 avenue Commandant l'Herminier, 44 605 Saint-Nazaire Cedex
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