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Erosion, submersion, salinisation… : le littoral français en sursis

Cet article a été rédigé par Mylène Ries

Crédits photos : "Dune fragile, unique protection des immeubles" : Panneau affiché au pied de ces bâtiments juste à l'arrière de cette dune ! - Crédits photo : Banque des Territoires

Vendredi 6 Juin, les habitants de la commune de Treffiagat (Finistère) ont pu entendre les pelleteuses commencer leur funeste travail : la démolition préventive et volontaire de deux maisons menacées par les submersions marines liées au réchauffement climatique.

Ces maisons ont été rachetées à leurs propriétaires par les autorités au prix du marché[1] dans le but d’arrêter la lutte vaine contre les éléments et rendre cet espace à la nature. Car pendant plus de dix ans, différents travaux ont été financés pour plus d’un million d’euros[2] (enrochements, apport de sable, pose de pieux) … mais sans résultat, le trait de côte continuant de reculer inexorablement. Il fallait donc se rendre à l’évidence : il était inutile de lutter contre la mer et habiter dans ces lieux était devenu impossible.

La collectivité a donc décidé de racheter et démolir sept maisons devenues bien trop exposées. Entamant ainsi un repli stratégique pour assurer une protection plus efficace des autres habitations. Trois nouvelles digues, en recul par rapport à la côte, seront construites et des solutions fondées sur la nature seront déployées.

Ces habitants de Treffiagat ne sont pas les premiers déplacés climatiques français. D’autres avant eux (à Soulac-sur-Mer ou à Miquelon) ont déjà eu à prendre ces décisions difficiles. Car les littoraux français, lieux de vie dynamiques et attractifs concentrant population et activités économiques croissantes, sont en première ligne face aux effets du changement climatique. Montée du niveau de la mer, érosion, recul du trait de côte, submersions marines et salinisation vont imposer aux élus locaux des décisions difficiles, mais cruciales pour l’avenir.

Focus sur les risques majeurs du littoral français face à la mer qui avance.

Comprendre les risques côtiers : des phénomènes multiformes

Recul du trait de côte, submersions marines, érosion ? Que cachent donc ces termes ? Avant de parler des risques côtiers, il est nécessaire de les définir précisément.

Submersion marine :

La submersion marine est l’inondation temporaire ou permanente de zones côtières par la mer. Les submersions temporaires sont les conséquences de tempêtes ou de fortes houles tandis que la submersion permanente est la conséquence de l’augmentation du niveau de la mer.

Recul du trait de côte :

Le trait de côte désigne la limite entre la terre et la mer. Son recul signifie donc que cette limite se déplace vers l’intérieur des terres à cause de phénomènes comme l’érosion, mais également à cause de la montée du niveau de la mer ou de certaines activités humaines (extraction de sable par exemple).

Erosion côtière

L’érosion côtière est le retrait progressif du rivage dû à une usure mécanique (action des vagues, du vent, des courants…). C’est donc le processus physique par lequel le littoral est usé, détruit ou modifié, tandis que le recul du trait de côte en est la conséquence.

La distinction importe car l’érosion peut être locale et partielle sans entraîner un recul visible du trait de côte. A l’inverse, le recul du trait de côte résulte souvent de l’érosion cumulée mais également d’autres phénomènes comme les submersions marines. A Treffiagat c’est l’érosion de la dune (notamment lors des épisodes de tempêtes hivernales) qui a eu pour conséquence de faire reculer le trait de côte de 30 mètres en 30 ans, mettant ces maisons en risque certain de submersion marine à l’avenir.

Un phénomène aggravé par le changement climatique

Le changement climatique engendre une élévation du niveau moyen de la mer suite à la fonte des glaces (plus d’eau dans l’océan) mais également suite à l’augmentation de la température de l’eau (dilatation de l’eau).

Cette augmentation se portait au niveau mondial en moyenne à 3.6 mm/an sur la période 2006-2015[3]. Elle se perpétuera pendant plusieurs siècles et pourrait s’accélérer fortement dans les prochaines décennies avec la fonte, potentiellement massive, de l’Antarctique. Les villes côtières doivent donc se préparer à une montée du niveau marin comprise pour 2100 entre 0,44 (scénario intermédiaire) et 1,10 mètres (scénario pessimiste)… et jusqu’à plus de 5 mètres en 2300[4].

Or cette élévation du niveau marin aura de nombreuses conséquences :

  • Submersions notamment dans les zones basses (estuaires, anciens marais, polder…) et inondations par interactions entre niveau marin et débit des fleuves
  • Erosion du littoral
  • Incursions salines qui rendront potentiellement certaines nappes phréatiques inexploitables et certains sols agricoles stériles

De plus, même si le niveau marin absolu reste stable, son élévation relative augmente lorsque le sol s’enfonce progressivement (phénomène de subsidence). Cela peut provenir de causes naturelles (compaction des sédiments) mais également être lié aux activités humaines (urbanisation massive, pompage excessif des eaux souterraines…).

La subsidence augmente d’autant plus les risques de submersion. L’exemple le plus connu est la ville de Jakarta qui s’enfonce rapidement et qui est condamnée à moyen terme (l’Indonésie a d’ailleurs acté le transfert de sa capitale). La France n’est pas épargnée, bien au contraire[5].

Des impacts multiples sur les écosystèmes et la biodiversité

Premièrement, cette élévation du niveau marin ne sera pas sans conséquence sur la biodiversité : les submersions permanentes ou l’érosion et la salinisation des terres vont amener à l’altération significative voire à la perte de certains écosystèmes côtiers sensibles et essentiels.

Cette perte de biodiversité s’accompagnera d’une perte de services écosystémiques pour la population : à la fois la perte de protection contre les risques (ex : cordons dunaires), mais également certains services de filtration de l’eau (ex : marais) et bien sûr la perte de services dits matériels (ex : baisse de la population de certains poissons ou crustacés suite à l’impact sur des zones de nidification ou d’alimentation).

Des impacts économiques déjà visibles

En plus de la perte inestimable de ces écosystèmes, l’augmentation du niveau marin a déjà des impacts économiques visibles. Sur les trente dernières années, le coût des submersions pour les assureurs a représenté 1,2 milliards d’euros[6]. Et on s’attend à l’avenir à une augmentation des dommages sur les infrastructures (ports, digues, logements… mais aussi routes ou infrastructures énergétiques).

Au-delà des dommages matériels, les impacts économiques peuvent être aussi liés à la perte de revenus touristiques (disparition de plages, endommagement d’infrastructures, restriction d’accès à certains lieux …), aux coûts croissants de la protection du littoral ou à la déstabilisation de certains secteurs d’activités (réduction de la productivité agricole, impact sur le fonctionnement des activités portuaires : pêche, fret, industries).

Des impacts socio-économiques à venir

Mais l’impact le plus critique sera certainement la question sociale. Avec l’augmentation des catastrophes, la question de l’assurabilité des logements côtiers (mais également des villes en tant que telles) se pose. Sans assurance et sujettes à des dommages répétés, des zones entières pourraient voir la valeur de l’immobilier chuter alors que le littoral concentre 8 millions de français avec des prix au m2 élevés. Jusqu’à 50 000 logements sont menacés à l’horizon 2100 par le recul du trait de côte pour une valeur allant jusqu’à 8 milliards d’euros [7]. Parfois ce sont toutes les économies d’une vie qui sont investies dans un bien proche des côtes. Cela pourra mener à un profond sentiment d’injustice : qui sera indemnisé comme à Treffiagat, qui ne le sera pas ?

Des immeubles menacés par l’érosion du cordon dunaire, plage des Mouettes, Saint Hilaire de Riez – Crédits photo : Banque des Territoires

Les choix difficiles des élus entre anticipation, adaptation et relocalisation

Les élus et les collectivités vont devoir se pencher sur des questions épineuses et élaborer des stratégies locales de gestion du recul du trait de côte. Quelles solutions s’offrent alors à eux ?

Premièrement, il faut souligner que l’adaptation au changement climatique ne doit pas se faire sans atténuation des émissions de gaz à effet de serre… car passées certaines limites, toute adaptation est utopique. Dit autrement, penser un plan d’adaptation sans plan d’atténuation rend ce premier automatiquement caduc.

Ensuite, la prise de conscience et l’implication des populations et des décideurs publics ou privés est impérative pour gérer de manière effective ces risques. Penser le territoire de demain implique donc de mettre en place un processus collaboratif de définition et de gestion d’un portefeuille d’actions d’adaptation, basé sur une modélisation des aléas et de la vulnérabilité des personnes / infrastructures / milieux naturels à ces aléas.

Plusieurs stratégies co-existent :

  • Eviter :  ne plus construire dans les zones à risque : prérequis indispensable à toute action
  • Protéger : bloquer l’eau (digues, enrochements…) : efficace à court terme mais souvent coûteux et inefficace à long terme
  • S’adapter par l’aménagement : vivre avec l’eau sans la bloquer (surélévation des bâtiments, zones tampons en sous-sol…) : faisabilité dépendante du contexte et efficacité décroissante avec l’élévation du niveau marin
  • Atténuer par la nature : utiliser les écosystèmes comme protection naturelle : bénéfices immédiats pour la biodiversité mais conflit d’espace avec les activités humaines
  • Relocaliser : repli stratégique dans les terres : très efficace à long terme mais quid de la perception des acteurs ? Et quel modèle économique associé ?

S’adapter vite et bien !

Les stratégies sont nombreuses ; elles peuvent néanmoins prendre du temps à être mises en place de manière effective. Cependant, à mesure que le niveau marin augmente, le nombre des options activables et leur efficacité se réduisent. Il est donc nécessaire de s’adapter vite, l’augmentation du niveau marin s’accélérant exponentiellement avec le temps, et bien, car toutes les adaptations ne se valent pas.

Certaines peuvent même aggraver les problèmes à long terme : c’est ce qu’on appelle la mal-adaptation. Par exemple ériger des digues et encourager l’urbanisation derrière ces protections temporaires sans stratégie d’adaptation globale crée un faux sentiment de sécurité… et obère l’adaptation de long terme. C’est donc une mal-adaptation. De même qu’une stratégie d’adaptation sans volet d’atténuation.

 

Ainsi s’adapter, ce n’est pas seulement réagir à court terme, c’est anticiper intelligemment sur le long terme. Cela exige une vision stratégique et transversale pour laquelle les élus jouent un rôle clé.

 

Sources

[1] Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique : Des Bretons chassés de chez eux par la submersion marine | Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique

[2] Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique : Des Bretons chassés de chez eux par la submersion marine | Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique

[3] CEREMA Changement climatique : Adapter les territoires littoraux – Cerema

[4] Réseaux Marégraphiques Français Hausse du niveau de la mer : rapport spécial du GIEC sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique | Réseaux marégraphiques français

[5] BRGM La toute première cartographie européenne de la subsidence côtière | BRGM – Rapport d’activité 2024

[6]France Assureurs  https://www.franceassureurs.fr/wp-content/uploads/2022/09/vf_france-assureurs_impact-du-changement-climatique-2050.pdf

[7] CEREMA Changement climatique : Adapter les territoires littoraux – Cerema

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Pour aller plus loin sur l'érosion du littoral et la gestion du trait de côte

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