Irène Felix est Présidente de la Communauté d’agglomération de Bourges et vice-présidente du comité de bassin Loire-Bretagne.
Quelles sont les spécificités de votre territoire en matière de gestion de l’eau ?
L’agglomération de Bourges se situe dans une zone dite de « répartition des eaux », dans laquelle la rareté de l’eau n’a pas attendu le dérèglement climatique pour se manifester. Il faut ainsi d’ores et déjà se préoccuper de la façon dont nous allons répartir l’eau entre les milieux naturels, l’eau potable, les usages agricoles, industriels et touristiques. Non seulement l’eau est rare, mais les masses d’eau ont été fragilisées par l’activité agricole, d’une part avec des teneurs en nitrates parfois élevées, d’autre part à travers l’activité industrielle, avec des résidus qui polluent à bas bruit des masses d’eau superficielles.
Cela nous impose la plus grande vigilance dans la protection des masses d’eau, car nous n’avons pas de plan B. Notre territoire importe de l’eau de la nappe alluviale de la Loire, à 50km d’ici, par canalisations. Nous dépendons donc de masses d’eau lointaines, pour nous permettre de diluer notre eau trop chargée en nitrates. Enfin, il n’y a pas de grand fleuve qui passe à Bourges, et notre tissu de petites rivières n’est pas dans un bon état tel que défini dans la Directive Cadre Européenne. Nous avons un enjeu de ramener ces eaux dans un bon état, pour que la vie s’y développe dans de bonnes conditions. Il y a un travail par les syndicats de rivière pour restaurer la qualité des milieux, qui engage aussi formellement les pratiques agricoles sur la partie amont des cours d’eau.
A ce sujet, vous avez récemment signé un nouveau contrat Grenelle avec l’Agence de l’Eau.
En effet nous avons récemment signé le 4e contrat territorial pour le captage d’eau du Porche, à la sortie de Bourges. Ce captage avait déjà été repéré comme fragile, avec une teneur excessive en nitrate, même en diluant avec de l’eau non-polluée. Notre objectif est de passer en-dessous du seuil de 50mg/l, ce qui nous permettrait de rester autonome, même en cas de rupture d’approvisionnement de l’eau de la Loire. Les contrats précédents ont permis de sortir de la zone de danger alors que la nappe tangentait les 90 mg/l. Pour autant, 3 points de prélèvement sur 4 sont encore autour de 50-60mg de nitrates par litre : le 4e contrat doit être l’effort définitif pour amener durablement l’ensemble de nos prises d’eau en-dessous de 50mg.
Ce contrat me semble novateur car au lieu de nous intéresser essentiellement aux techniques de fertilisation, nous engageons les agriculteurs dans un changement de système.
Nous adoptons une approche globale pour tendre vers des systèmes de cultures moins gourmands en fertilisants et en pesticides. Nous incitons aussi les agriculteurs à travailler le maillage de haies et d’arbres. Nous avons également embauché un ingénieur agronome dans les services de l’agglomération, ce qui a contribué à renforcer notre expertise, redonner de la confiance aux partenaires et aux élus et rehausser la qualité du dialogue avec nos partenaires du monde agricole.
Les contrats territoriaux précédents avaient engagé les services qui travaillent auprès des agriculteurs (Chambres d’Agriculture, coopératives de négoce…) en tant que prestataires de l’agglomération et de l’Agence de l’Eau. Dans le nouveau contrat ils sont désormais partenaires, ce qui constitue un virage majeur : ils partagent les objectifs du contrat, et prennent ainsi eux-mêmes en charge certaines actions.
Enfin, nous travaillons sur le cadre juridique qui nous garantira la pérennité de ces pratiques. Nous nous inscrivons dans des engagements de long terme avec les propriétaires fonciers et les agriculteurs. Un certain nombre d’entre eux aussi souhaite qu’après eux leur bien soit préservé. De cette manière, au gré des mesures de soutien financier, nous souhaitons éviter que des phases de progrès soient suivies de phases de recul : l’agglomération s’engage sur de la maitrise foncière et sur des obligations réelles environnementales.
Vous avez également à faire face à des problématiques de pollutions industrielles.
Nous avons un autre captage d’eau, au sein même de Bourges, qui était par le passé en bordure d’une zone industrielle. Cette zone n’accueille plus d’industrie aujourd’hui, mais elle présente une pollution résiduelle, qui a d’abord conduit l’agglomération à renoncer à exploiter la nappe superficielle. Pour autant, la pollution menaçant de s’infiltrer dans les nappes inférieures, nous avons rechemisé le puits pour réduire ce risque. Puis l’hydrogéologue agréé par l’Agence Régionale de Santé a préconisé de renoncer à ce captage car la mise en place d’un périmètre de protection n’était pas possible.
Nous avons poursuivi la prospection pour trouver une alternative, et avons fini par trouver un point de captage dans la vallée de l’Yèvre, proche de la masse d’eau exploitée actuellement, mais en amont. La teneur en nitrates était tout à fait acceptable, et ne présente pas d’autre difficulté. Nous allons donc mettre en place les périmètres de protection et les canalisations pour le raccordement au réseau de la communauté d’agglomération.
Vous avez également engagé des actions de gestion des eaux pluviales.
La première préoccupation est la rareté de l’eau. Le captage du Porche présente un problème de qualité comme évoqué précédemment, mais aussi un problème de niveau de l’eau, qui baisse lentement depuis 20 ans. Nous risquons donc d’être dans quelques décennies dans une situation délicate car ce captage alimente 30% de l’agglomération. Le grand enjeu concerne donc la pérennité des masses d’eaux : celles des rivières et celles des nappes. Il faut que l’eau qui tombe chez nous s’infiltre dans les sols, réalimente les nappes d’accompagnement des rivières en leur permettant de continuer de couler en été, recharge les nappes souterraines, et nous permette sur le long terme de garder nos capacités de captage d’eau.
Travailler sur l’infiltration de l’eau dans les sols revient à travailler sur les techniques agricoles, mais aussi sur les eaux pluviales urbaines, sur lesquelles nous avons plus directement la main. Nous nous attachons ainsi à recréer des zones d’infiltration par la désimperméabilisation des sols et la végétalisation. Nous veillons aussi à ce que les eaux qui ruissellent soient débarrassées de toute la charge polluante avant d’arriver dans les canaux et les rivières, notamment par des systèmes de décanteurs hydrodynamiques qui captent des polluants (mégots de cigarettes, gravier, sable etc.). Ce n’est pas un processus d’épuration complet, mais cela permet d’avoir un premier nettoyage. Nous agissons également au niveau des Zones d’Activité Economique, en recréant des espaces d’infiltration des eaux pluviales, notamment au moment de la reprise de ZAC vieillissantes. Nous allons enfin travaillé avec les habitants (communication, sensibilisation, mise à disposition de cuves d’eaux pluviales) pour installer des systèmes de récupération d’eau de pluie.
Le dernier sujet que nous souhaitions aborder avec vous concerne le programme territorial de gestion de l’eau mené par le Département du Cher. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Ce n’est pas l’agglomération de Bourges qui est cheffe de file, mais le Conseil Départemental, dans le cadre du Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau du Cher (SAGE). Nous sommes dans la première phase de diagnostic : la tension sur les ressources va s’accentuer avec l’évolution du climat, qui chez nous va se traduire par des augmentations de température, donc par une plus forte sollicitation de l’eau des sols, donc par des sécheresses plus précoces et se terminant plus tardivement. Se pose ainsi la question de la répartition des usages entre les villes, l’industrie et l’agriculture. Avant cela, nous devons travailler sur la réduction de ces usages. Cela concerne la performance des processus industriels : nous avons déjà quelques beaux exemples de réutilisation des eaux usées dans nos industries agro-alimentaires.
La réduction des usages concerne aussi l’entretien des réseaux d’eau : notre agglomération a toujours gardé sa distribution d’eau en régie, et nous avons une performance du réseau au-dessus de la moyenne nationale, avec un taux de fuite assez faible. Nous venons cependant d’intégrer une commune qui avait délégué l’entretien de son réseau. Le taux de fuite y est élevé. Autour de nous, des communes rurales ont également des taux de fuites importants.
Enfin, le secteur agricole doit être interrogé : 5% seulement des terres agricoles de notre territoire sont irriguées (cultures d’été comme le maïs et le tournesol, pommiers), donc 95% de notre agriculture ne l’est pas. L’essentiel du territoire est en cultures sèches. Nous avons aussi des secteurs d’élevage, avec des prairies qui jouent un rôle très important dans le maintien des paysages et de la biodiversité, et qui permettent l’infiltration de l’eau dans le sol. Il y a sans doute des réorientations agricoles qui mériteraient d’être conduites et qui invitent à repenser les usages de l’eau mais aussi les services que l’agriculture peut apporter aux masses d’eau par l’agroécologie.
L’Agence de l’eau Loire-Bretagne a choisi, dans son schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux, d’imposer des études hydrologie-milieu-usages-climat pour aider à la décision sur les usages de l’eau à l’échelle d’un territoire. Ces études prennent en compte les évolutions climatiques et doivent ainsi permettre de regarder devant nous pour éviter des erreurs dans les arbitrages et dans les investissements qui pourraient avoir lieu.
Pour conclure, votre témoignage semble indiquer une prise de conscience globale des acteurs ?
Il y a en effet une accélération à ce niveau. Pour l’illustrer, j’ai fait campagne en 2020 en faisant de l’eau un thème majeur, et c’était considéré comme très original ! Aujourd’hui, cela parait incontournable. Je pense avoir réussi à partager l’importance de ces enjeux avec mes collègues.