« Une connaissance fine de leur patrimoine aide les collectivités à faire les bons arbitrages pour améliorer le taux de rendement de leur réseau de distribution d’eau potable », indique Sophie Portela, cheffe de projet services publics eau et assainissement au sein de l’Office français de la biodiversité (OFB), qui insiste pour que la question de la seule performance soit dépassée.

D’année en année, le taux de rendement du réseau de distribution d’eau potable ne varie guère et s’établit à 81% en 2022. « Depuis 2015, première année à partir de laquelle on peut vraiment comparer (1), l’indicateur de rendement de la distribution d’eau potable est aux alentours de 80% ; ce qui signifie qu’en moyenne 20% de la production d’eau potable est perdue à cause de fuites», contextualise Sophie Portela.
Une stagnation inquiétante alors qu’une gestion efficiente, sobre et concertée de la ressource eau est impérative. Comment la récente amélioration peut-elle être approfondie ?
Une démarche structurée pour connaitre son réseau
Si l’indicateur de rendement évoqué plus haut propose une approche nationale, une analyse plus fine est possible permettant de mettre en valeur des disparités géographiques par département. « Au-dessus de 80%, on peut considérer que le rendement est très satisfaisant. Tel est le cas pour les services situés à l’ouest du territoire nationale, en Île-de-France, dans l’extrême nord et dans certains départements du sud et de l’Est de la France, précise Sophie Portela. En revanche, le rendement est très insatisfaisant lorsque l’indicateur se situe en dessous de 50% et cela implique donc pour les collectivités concernés des investissements souvent très lourds. » A ce jour, 170 collectivités (liste non exhaustive) sont identifiées avec des taux de fuites supérieurs à 50 % dans le cadre du plan eau.

Avant même de penser travaux à réaliser et donc budget, les collectivités ont une fondation à bâtir : la connaissance de leur patrimoine des réseaux, qui englobe « le périmètre de responsabilité bien sûr mais aussi l’âge, les matériaux, les dimensions, la vétusté des différents ouvrages concernés, liste Sophie Portela. Ou encore le fait de disposer d’un suivi des interventions sur ceux-ci afin par exemple d’être en mesure d’identifier les points noirs. » Première difficulté : avec un linéaire du réseau eau potable sur l’ensemble du territoire national à 910 000 kilomètres « pour beaucoup de collectivités, le recueil de toutes ces données se fait sur une grande linéarité », ce qui ne facilite pas l’appropriation de toutes les caractéristiques du réseau et des ouvrages dont chaque collectivité a la charge. Et, passée l’étape du recueil de données, il faut les centraliser, les mettre à jour et les exploiter : « cela suppose un système d’information doté de fonctionnalités de géolocalisation, disponible, partagé et mis à jour. »
Connaissance, moyens et volontés disparates : les collectivités face aux arbitrages
Sans surprise « la connaissance du patrimoine en matière de réseau d’eau potable, qui doit faire l’objet d’une démarche structurée, est très diverse selon les collectivités.» Ainsi, « les intercommunalités ont parfois, à la suite du transfert des compétences opéré par la loi NOTRe, récupéré des périmètres techniques dont elles n’ont pas la connaissance. » Les communes ont, pour leur part, une autre difficulté : la question des moyens. Que ce soit « pour des raisons budgétaires, par manque d’effectifs suffisants et dotés de compétences techniques ou de moyens technologiques, leur capacité d’action est souvent entravée » déplore Sophie Portela . Cela se matérialise par des difficultés pour réaliser les diagnostics et études requises pour identifier les fuites. Ou pour bâtir un programme pluriannuel d’investissements. Par manque de moyens financiers certes mais aussi par manque d’informations : « les arbitrages doivent se faire en fonction des volumes d’eau et des pertes liés à chaque tronçon de réseau pour obtenir le meilleur retour sur investissements et une amélioration sensible du taux de rendement , ce qui n’est possible que si l’on dispose d’une connaissance fine de son patrimoine. »
Pour les collectivités qui, depuis plusieurs années, n’ont pas pu -ou n’ont pas voulu- se doter d’une politique d’investissement, « le risque est alors que la vétusté du réseau entraine des frais bien plus coûteux à la suite d’une avarie, toujours plus dommageable sur un réseau vieillissant que sur un réseau entretenu. »
Penser eau et pas seulement eau potable
- Première action pour limiter les fuites d’eau : améliorer les indicateurs de connaissance et de gestion patrimoniale (ICGP). « Pour l’eau potable en 2022, l’ ICGP est à 103 points sur 120 en moyenne nationale. On peut donc parler d’une bonne connaissance en la matière. Les collectivités en deçà de ce seuil doivent travailler cette fondation essentielle pour une gestion pertinente du réseau. Plus généralement, on peut encore progresser en améliorant la connaissance des branchements, en se dotant d’outils de modélisation hydrauliques, pointe Sophie Portela. C’est sur l’ICGP relatif à l’assainissement collectif que les plus gros des efforts reste à faire car il n’est qu’à 67 points sur 120 points.» Et en particulier en Guadeloupe, dans les Hauts-de-France et en Île-de-France où les valeurs sont inférieures à 50 points en 2022.
- Penser « maintenance curative ET préventive ».
- Penser « réhabilitation des réseaux ». Le taux moyen annuel de renouvellement des réseaux – 5900 kilomètres de réseaux renouvelés par an sur 910000 est très faible (données de 2022). Revers optimiste de la médaille : le potentiel d’amélioration de ce taux de 0,6% est conséquent avec à la clé une probable amélioration de l’indicateur de rendement.
- S’appuyer sur « les partages d’expérience de collectivités exemplaires » qui se sont emparés du sujet il y a plusieurs années. On peut certes souhaiter que ce partage croisse encore. Mais il existe d’ores et déjà un grand nombre de diffuseurs de connaissances en matière d’une gestion durable, notamment la FNCCR, la fédération nationale des collectivités dévolue au services publics locaux en réseau, l’association Amorce, qui est une réseau d’information, de partage d’expériences et d’accompagnement des collectivités et acteurs locaux, l’association Astee des professionnels de l’eau, qui diffuse des guides et des chartes sur la gestion patrimoniale des réseaux et IDEAL connaissance, qui a pour vocation d’animer l’échange de savoir-faire entre les collectivités». Et, pour des partages d’informations et de bonnes pratiques spécifiques à la ressource eau, Aquagir, qui avec ses différentes rubriques dont les “Retours d’expérience“, “Je maitrise les compétences“ ou encore sa place de marché, adresse les différentes besoins des collectivités en faveur d’une gestion durable et sobre de l’eau.
- Dans leur prise de décisions, les collectivités doivent dépasser la seule performance du réseau pour penser sobriété. Elles peuvent pour cela s’appuyer sur « la prise de conscience des usagers quant à la dimension précieuse de l’eau à la suite de la sécheresse 2022 qui a aussi donné lieu à l’adoption du plan Eau qui comprend 53 mesures concrètes. Les collectivités doivent s’en saisir afin qu’une pression moindre s’exerce sur la ressource eau d’un point quantitatif et qualitatif» insiste Sophie Portela.

Carte consommation d’eau potable par an et par habitant – Rapport SISPEA, chiffres 2020 : https://www.services.eaufrance.fr/cms//uploads/Consommation_EP_Dep_2020_A5_d187ed59de.png
- Et dans cette recherche d’une moindre pression exercée sur la ressource eau, « il convient d’avoir en tête que si la part d’utilisation d’eau potable représente 15% sur l’ensemble des volumes prélevés, le secteur de l’énergie représente 56 % des prélèvements! »
(1) C’est en vertu de la loi NOTRe que les collectivités – à ce jour 13601- gérant directement le service de l’eau et/ou de l’assainissement, doivent publier leurs données sur le portail de l’Observatoire national des services d’eau et d’assainissement (Sispea) avant le 15 octobre de chaque année.
À savoir L’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement de l’OFB publie chaque année un rapport de portée nationale, intitulé “Panorama de l’organisation des services d’eau potable et d’assainissement et de leurs performances”. Ce rapport comporte des indicateurs sur la tarification, la gestion financière, la qualité de l’eau potable, la gestion patrimoniale des services publics d’eau potable et d’assainissement, établis à partir des données renseignées par les collectivités dans la base SISPEA (Système d’information des services publics d’eau et d’assainissement) : cf. le rapport 2024 issu de données 2022. |