La pluie est d’abord le maillon essentiel de l’équilibre écologique de notre planète, peut-être le plus central et le plus mobile, car elle transporte l’eau sur la terre. Comme la lumière et le carbone, l’eau joue un rôle crucial dans la dynamique du vivant, et aucune forme de vie connue ne peut survivre sans hydrogène. La pluie participe activement aux échanges de chaleur entre la surface de la terre et l’atmosphère, joue un rôle fondamental dans le fonctionnement du système climatique et biologique. Voilà pourquoi les hydrologues, ceux qui étudient le cycle de l’eau, accordent une attention particulière à la pluie dans toutes ses dimensions, depuis son origine jusqu’à sa destination.
Que nous apprend la géohydrologie ?
Pendant longtemps, les scientifiques ont cru que l’eau fut apportée sur Terre après sa formation, par des comètes et des astéroïdes. Cette hypothèse vient d’être remise en cause par un laboratoire français de cosmochimie, une science méconnue qui étudie les origines et l’évolution des molécules chimiques dans l’Univers. L’eau fait partie de la Terre depuis toujours. Nous savons désormais que la Terre contenait déjà de l’eau au moment de sa formation. On estime que 2 à 11 fois la quantité totale de l’eau des océans se trouve à l’intérieur de la Terre sous forme gazeuse, sous le manteau. Le noyau externe pourrait constituer un immense réservoir d’eau gazeuse, les flux terrestres et les précipitations ne représenteraient en comparaison qu’une infime portion de l’eau présente sur Terre.
Autre bonne nouvelle : depuis l’aube des temps géologiques, grâce à l’immense gravité de la Terre, l’eau n’a pratiquement pas quitté la planète. On estime que l’équivalent d’un mètre sur les 3km de profondeur des océans se serait échappé du système depuis la naissance de la Terre, il y a près de 4 milliards d’années. Cette perte, qu’on appelle l’évasion ou l’échappement hydrodynamique est négligeable à l’échelle du vivant. Aux yeux de l’humanité donc, l’eau est en circulation constante dans un circuit fermé. 79 % des précipitations tombent sur les océans, les 21 % restants tombent sur la terre puis viennent alimenter les nappes phréatiques, soit par infiltration, soit par ruissellement.
Pourtant, même si l’eau est en circuit fermé, et qu’elle ne disparait pas, ses enjeux sont multiples. L’humanité dépend grandement de l’eau, par :
- sa répartition spatio-temporelle d’abord (où et quand elle se situe)
- sa qualité (sous quelle forme physique et au contact de quels polluants)
- et sa disponibilité (par quel système technique elle est mobilisée à un instant t).
Les pluies jouent un rôle déterminant au carrefour de ces trois enjeux. Voilà pour ce qu’on en comprend. Mais la pluie, c’est aussi celle qu’on vit : la météo, qui n’en est pas moins une science millénaire. Depuis l’antiquité, c’est la science des nuages.
Que nous apprend la météorologie ?
Pour les météorologues, la pluie est la forme la plus commune de précipitations. En France, elle tombe de façon inégale sur le territoire. De forme liquide (pluie, averse, crachin, bruine, pluie verglaçante ou giboulée) ou solide (neige, neige en grains, neige roulée, grésil, grêle, cristaux de glace), la pluie peut aussi s’évaporer avant de toucher terre. Comme la virga qui n’atteint jamais le sol. Tout comme la rosée, la brume ou le givre, l’eau de pluie est originellement pure. Mais elle peut se charger de polluants et de fortes acidités.
La pluviométrie, en tant que mesure des volumes et des qualités de précipitations, est essentielle pour gérer les ressources en eau : estimer les besoins d’irrigation en agriculture, mieux comprendre le débit des cours d’eau, évaluer la recharge des nappes souterraines…
L’unité théorique est la même partout : 1 millimètre de pluie représente 1 litre d’eau par mètre carré.
De cette façon, nous savons qu’en France métropolitaine, la pluie représente :
- 503 milliards de m³ d’eau tombée sur le territoire, soit 6 fois plus que le volume total du lac Léman, soit 0,01% du volume de la mer Méditerranée.
- Une évaporation de 314 milliards de m³ (soit 60% du total des précipitations) ;
- L’arrivée de 11 milliards de m³ en provenance des pays voisins par ruissellement (Cours d’eau et nappes souterraines)
- Le volume annuel des eaux renouvelables est donc de 200 milliards de m³ et inégalement réparties.
On constate que chaque année est différente, la variabilité est importante. Les régions les plus sèches ne sont pas toujours les régions qui ont les plus faibles volumes de précipitations. L’évaporation et la topographie expliquent en partie ce paradoxe. Et c’est ici que nous pouvons convoquer la géographie.
Que nous apprend la géographie ?
La première des dimensions de la géographie de la pluie tient sans doute à la notion de bassin hydrographique, un bassin versant de grande taille, c’est à dire une zone géographique de collecte de presque toutes les eaux disponibles par un cours d’eau majeur et ses affluents. A noter que nous explorerons les enjeux politiques et juridiques associés aux précipitations dans un prochain article consacré à la géopolitique de la pluie.
Souvenons-nous du grand cycle de l’eau. En fonction des reliefs et de la matière qui compose les sols, qu’une région donnée soit dominée par des roches dures ou tendres, que l’inclinaison du terrain soit forte ou faible et orientée de telle manière que les eaux de ruissellement qui proviennent de la pluie et de la fonte des neiges, les affluents et les écoulements souterrains rejoignent le cours d’eau principal du territoire. Voilà ce qu’on appelle un bassin versant. Point intéressant : les limites d’un bassin sont constituées par une ligne de partage des eaux. Cela signifie grossièrement qu’il existe une ligne de crête séparant deux bassins versants.
En France, le partage des eaux entre l’Atlantique et la Méditerranée est remarquable, car on a l’impression de constater un marquage de végétation selon le versant. Les bassins hydrographiques forment des ensembles cohérents sur le plan écologique et la connaissance d’un bassin versant est fondamentale dans toute étude hydrologique, de risque naturel et de vulnérabilité de la ressource en eau. En 2022, la France comprend 11 bassins hydrographiques : six en France métropolitaine et cinq outre-mer.
Modélisation du voyage d’une goutte de pluie
Si vous aimez la géographie et la virtualisation des territoires, nous vous conseillons d’explorer le site Global River Runner. Sam Learner a développé une visualisation simulant le chemin qu’une goutte de pluie emprunterait en tombant à n’importe quel endroit de la Terre, en supposant qu’elle s’écoule dans un ruisseau, et un fleuve jusqu’à la mer.
Lorsque vous arrivez sur le site, vous tomberez sur une carte du monde, sur laquelle vous pouvez zoomer ou dézoomer. Il suffit de cliquer sur un point de votre choix, en imaginant qu’une goutte d’eau tombe à cet endroit. Le moteur se met alors en marche, et vous pouvez suivre le trajet de votre goutte en survolant les cours d’eau. Global River Runner vous suggère 22 trajets de gouttes de pluie, que les créateurs du site jugent particulièrement intéressants. Parmi eux, on retrouve le nord de Madagascar, la descente du Kilimandjaro, le Mont Everest, ou le Mont Blanc à la mer Adriatique.
Vers d’autres regards sur la pluie
Nous venons de survoler quelques manières immédiates de regarder la pluie, par le prisme de la science et de la technique. Objet physique, matériel, géographique, terrain d’étude… La pluie est un phénomène mesurable qui peut être quantifié, contrôlé, maitrisé. Et les tentatives multiples d’ensemencement des nuages qui visent à provoquer artificiellement la pluie annoncent de nouveaux risques technologiques avec les techniques assez terrifiantes qu’on appelle la géo-ingénierie. Parviendra-t-on à contrôler la pluie ? La science tente de le faire. Mais la science ouvre également la porte à ce qui lui échappe.
Dans un prochain article, nous verrons que d’autres horizons, plus ouverts et non moins importants, tissés de l’étoffe des rêves et de la perception humaine, de la croyance et de l’inexpliqué s’appliquent à la pluie et aux pluies. Car c’est un fait universel, on danse pour elle, on chante pour elle, on prie pour elle. L’humanité vénère la pluie ou la craint, l’attend ou la contemple.