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La désalinisation de l’eau : espoir ou impasse ?

Cet article a été rédigé par Valentin Hammoudi, Maxime Blondeau

Crédits photos : Une usine de désalinisation par osmose inverse en périphérie de Barcelone en Catalogne. Crédits photo : James Grellier (Wikimedia Commons)

70% de la surface de notre monde est couverte d’eau. Mais 97% de cette eau est salée, impropre à la consommation humaine ou à l’agriculture, laissant seulement 3% d’eau douce. Derrière une apparente abondance se cache en fait une menace millénaire aux enjeux sanitaires, politiques et technologiques : la pénurie d’eau douce.

Chaque individu doit consommer 2 litres par jour pour maintenir une hydratation saine, mais l’eau douce est également indispensable à de nombreux secteurs cruciaux. En tête de liste, l’agriculture : près de 70% de l’eau douce utilisée dans le monde est destinée à l’irrigation des cultures. Cette exploitation intensive de l’eau dans le domaine agricole exerce une pression supplémentaire sur des ressources déjà limitées, notamment dans les régions arides et semi-arides. Ceci étant dit, l’agriculture n’est pas la seule à dépendre de cette précieuse ressource : les industries chimiques, énergétiques et de la construction, pour n’en citer que quelques-unes, en ont également des besoins importants. Sans oublier l’importance cruciale de l’eau pour la santé publique, car le bon fonctionnement des services de santé dépend largement de son accès fiable. Enfin, la consommation domestique a également sa part dans l’utilisation de l’eau douce.

Vers une pénurie d’eau douce ?

La croissance démographique, l’urbanisation rapide, les changements climatiques et la mauvaise gestion des ressources hydriques sont autant de facteurs qui rendent l’accès à l’eau de plus en plus problématique.

Consommation mondiale d’eau douce entre 1901 et 2014. Crédits photo : Our World In Data

Les chiffres sont alarmants : la demande en eau douce n’a cessé d’augmenter de manière constante depuis le début du 20ème siècle, se multipliant par près de six entre 1900 et 2000. Plus inquiétant encore, cette augmentation s’est accélérée depuis les années 50. D’ici 2050, la demande mondiale en eau pourrait surpasser l’offre disponible dans de nombreuses régions du monde. Cette perspective catastrophique est déjà une réalité pour certaines régions, et dans un avenir proche, le manque d’eau douce touchera probablement des régions autrefois épargnées par ce problème, même dans des zones tempérées comme la France, où le niveau des nappes phréatiques suscite régulièrement des inquiétudes.

Le miracle technique de la désalinisation

Face à cette crise imminente, une solution a émergé pour augmenter l’approvisionnement en eau douce : la désalinisation. Cette méthode consiste à éliminer le sel de l’eau de mer pour la rendre douce, transformant ainsi une ressource abondante mais autrement inexploitable en une source d’eau potable. La désalinisation offre la possibilité de diversifier les sources d’eau douce, réduisant ainsi la pression sur les ressources hydriques existantes. Autre avantage de taille à la désalinisation : elle peut fournir de l’eau potable dans les régions où l’eau douce est rare ou contaminée, ce qui améliore considérablement la qualité de vie des populations locales. En outre, la désalinisation peut contribuer à la sécurité alimentaire en permettant l’irrigation des terres agricoles avec de l’eau douce dessalée.

Sur le plan technologique, il n’existe pas moins d’une vingtaine de méthode de désalinisation, dont la désalinisation par congélation et l’électrodéionisation. Cependant, les deux techniques les plus courantes et les plus avancées sont la distillation thermique et l’osmose inverse. Pour faire simple, la distillation thermique consiste à chauffer de l’eau de mer, qui s’évapore alors que le sel reste, permettant ainsi la récupération d’eau douce à partir de la vapeur condensée. Si son principe est assez simple, cette technologie est depuis une dizaine d’années progressivement délaissée au profit de l’osmose inverse, moins chère et surtout plus efficace. Cette dernière utilise une membrane semi-perméable pour séparer l’eau du sel et d’autres solutés, produisant ainsi de l’eau douce de manière similaire à un filtre ou d’un tamis. Aujourd’hui, la quasi totalité des usines qui ouvrent dans le monde utilisent l’osmose inverse.

Un boom de la désalinisation depuis l’an 2000

Au cours des cinquante dernières années, la désalinisation a connu un essor considérable. En 2022, on ne recensait pas moins de 21 000 usines de dessalement réparties dans plus de 170 pays, soit le double du nombre enregistré en 2012. Cette croissance exponentielle témoigne de l’engouement croissant pour la désalinisation. De nombreux pays ont recours à cette technologie soit pour répondre à l’urgence croissante de la pénurie d’eau, soit par anticipation face à cette menace imminente. Au Moyen-Orient, où la population est en expansion et où les conditions arides font de l’eau douce une ressource précieuse, l’eau dessalinisée représente la majeure partie de la consommation dans des pays comme le Koweït (90%), Oman (86%), l’Arabie saoudite (70%) et les Émirats arabes unis (42%) dans une moindre mesure. Les projections laissent entendre que la désalinisation dans ces pays est loin d’avoir atteint son apogée, puisque les quantités d’eau dessalée devraient doubler d’ici 2030. Ce n’est donc pas surprenant de voir que des projets d’envergure comme NEOM, cette ville linéaire prévue au cœur du désert en Arabie Saoudite, et destinée à accueillir plus de 9 millions d’habitants d’ici 2045, reposent largement sur la désalinisation de l’eau.

Des usages sur tous les continents

Le Moyen-Orient n’est pas le seul à adopter la désalinisation comme solution à la pénurie d’eau. Actuellement, cette région ne compte que la moitié des usines de dessalement dans le monde. Singapour, par exemple, est devenu un leader mondial dans ce domaine, avec plusieurs usines de traitement d’eau de mer en activité. En Afrique, des pays comme le Maroc, l’Algérie, la Tunisie ou le Soudan ont également recours à l’eau désalinisée pour approvisionner leur population. Plus près de l’hexagone, l’Espagne, confrontée à des sécheresses estivales récurrentes, a investi dans des installations de dessalement pour garantir son approvisionnement en eau. Cette initiative est particulièrement notable à Barcelone, un important centre économique national mais aussi européen. Même Berlin, pourtant à plus de 200 kilomètres des côtes et dont le climat est loin d’être aussi chaud que dans le bassin méditerranéen, songe à la désalinisation. Face au manque d’eau potable, la capitale allemande envisage l’installation d’un pipeline qui acheminerait de l’eau prélevée de la mer Baltique et traitée par des usines de dessalement sur le littoral. En France, seules une vingtaine d’usines de dessalement étaient recensées en 2022. Si le procédé n’est pas encore couramment utilisé, cela ne signifie pas pour autant qu’il ne fait pas l’objet d’une attention particulière en termes de recherche et de développement technologique. Le secteur public joue un rôle majeur dans le développement de la technologie de désalinisation, mais les entreprises ne sont pas en reste et contribuent également de manière significative à cet effort.

Une facture environnementale salée pour la désalinisation

On flotte aisément dans la mer Morte grâce à la concentration élevée de sel (300 g/L). Crédits Photo : Toa Heftiba sur Unsplash

La désalinisation de l’eau de mer semble à première vue une solution prometteuse pour répondre aux besoins croissants en eau douce, mais elle présente néanmoins des inconvénients de taille. Son coût énergétique élevé est régulièrement pointé du doigt, surtout quand on sait que l’énergie utilisée est souvent fossile. C’est assurément une des limites de cette approche dans un contexte où la sobriété énergétique est cruciale pour faire face aux défis du changement climatique. De surcroit, quelque soit la méthode employée, la désalinisation produit des rejets d’eau fortement concentrés en sel, les saumures, qui sont généralement déversés dans l’océan. Or, à mesure que la concentration en sel augmente, l’eau devient plus dense. C’est ce qui fait qu’on flotte lorsqu’on se baigne dans la mer morte, connue pour sa concentration importante en sel (environ 300 grammes par litre d’eau, contre 35 en moyenne pour les mers et océans). Lorsque ces saumures sont déversées en mer, elles coulent et augmentent localement ainsi la concentration saline des fonds marins. Or ces derniers sont de véritables écosystèmes qui abritent souvent une biodiversité importante. Bien que la faune et la flore des fonds marins puissent tolérer la présence de sel, les concentrations excessives causées par les saumures leur sont toxiques, mettant ainsi en péril la biodiversité marine. D’autant que des produits nocifs utilisés pour minimiser les dépôts de sel dans les équipement des usines de désalement se retrouvent également dans les saumures, ce qui amplifie la détérioration des fonds marins. Si les saumures se diluent progressivement en mer ouvertes, ce n’est pas la cas pour les étendues d’eau fermées (ou presque) où elles se dispersent moins facilement. C’est ce qui se passe notamment dans le golf arabo-persique. L’industrie de la désalinisation très intense et la faible profondeur des fonds marins y accentuent l’accumulation des saumunes, exacerbant ainsi leur impact sur les écosystèmes marins locaux.

Un coût global significatif

Autre inconvénient de taille : l’eau dont le sel est retiré par désalinisation n’est pas pour autant potable. La plupart du temps, elle nécessite une reminéralisation, c’est-à-dire réintroduire les  minéreaux qui ont été enlevés en même temps que le sel (comme le magnésium ou le calcium), ce qui ajoute des coûts énergétiques et financiers, ainsi que des complications techniques supplémentaires au processus. Enfin, le coût de la desalination peut etre également un frein : il faut compter environ 0.4 euro le mètre cube à la sortie de l’usine pour l’osmose inversée, et 9 pour la distillation (bien que le coût global de cette dernière puisse être revu à la baisse grâce à réutilisation de vapeur provenant de turbines à cycle combiné). Si la désalinisation peut sembler très attrayante sur le papier, tous ces exemples soulignent qu’elle est loin d’être une solution parfaite pour traiter la problématique de l’eau douce sur Terre. Du moins, pour le moment.

Mais des innovations scientifiques en ligne de mire

Des avancées récentes dans le domaine de la désalinisation offrent des perspectives prometteuses pour l’avenir. De nouvelles approches sont développées pour rendre la désalinisation plus efficace, moins coûteuse et surtout moins énergivore. Par exemple, une invention du MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 2023 ouvre la voie à une désalinisation alimentée à l’énergie solaire qui pourrait être moins coûteuse à produire que l’eau du robinet. Cette invention n’est pas un cas unique ; d’autres ont aussi vu le jour au cours des dernières années : la désalinisation microbienne, les nanocanaux fluorés qui empechent le sel de passer, ou la désalinsation par technologie Cowa qui repose sur une résine qui, une fois activée par du CO2, absorbe le sel comme une éponge. Une autre piste récente de développement concerne l’utilisation des déchets de la désalinisation. Outre le sel, l’eau de mer contient une multitude de minéaux et de métaux utilisée en industrie, comme le molybdenum, le bore ou le lithium. Leur concentration dans l’eau de mer étant très faible, ils proviennent aujourd’hui généralement d’exploitations minières. Cependant, à l’instar du sel, leur concentration augmente drastiquement dans les saumures. L´idée serait alors d’inscrire la désalinisation dans une optique d’économie circulaire, en utilisant ses déchets comme source de minéraux et métaux. C’est notamment ce que développe le projet Européan Sea4Value.

Toute ses technologies laissent entrevoir à moyen terme une désalinisation efficace, économique et plus respectueuse de l’environnement. Cependant, la crise de l’eau douce étant un problème planétaire au même titre que celui du réchauffement climatique, il est important que les progrès technologiques de la désalinisation puissent profiter à tous, et non à un nombre réduit de pays ou d’entreprises.

En conclusion, la désalinisation représente une solution prometteuse pour répondre à la crise mondiale de l’eau douce. En convertissant l’eau de mer en eau douce, la désalinisation peut fournir une source d’eau potable fiable et durable pour les communautés du monde entier. Cependant, pour que la désalinisation soit véritablement efficace et durable, il est nécessaire de relever les défis techniques, économiques et environnementaux associés à cette approche.

Il est également crucial d’adopter une approche équilibrée et inclusive dans le développement de la désalinisation, en tenant compte des besoins et des perspectives de toutes les parties prenantes. En fin de compte, la désalinisation a le potentiel de transformer la façon dont nous gérons et utilisons l’eau, mais cela nécessitera un engagement collectif et une vision à long terme pour surmonter les obstacles et réaliser pleinement son potentiel.

Cet article vous est proposé par aquagir

aquagir est un collectif d’acteurs œuvrant dans l’accompagnement de bout-en-bout des projets de gestion des eaux dans les territoires avec une vision globale, collective et écosystémique des enjeux et des solutions.  aquagir regroupe l’ANEB, la Banque des Territoires, le BRGM, le Cercle Français de l’eau, les pôles de compétitivité de la filière eau Aqua-Valley et Aquanova et l’UIE (Union des Industries et Entreprises de l’Eau)

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