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L’eau bleue et l’eau verte : quelles différences et quelle gestion ?

Cet article a été rédigé par Pierre Gilbert

Lorsqu’on parle d’eau douce et de gestion de l’eau, on pense spontanément aux eaux de pluie, rivières, lacs, aquifères… bref, à l’eau « claire », que les activités humaines consomment directement. C’est l’eau bleue. On pense moins au cycle de l’eau qui passe par le végétal, pourtant essentiel et dont dépend l’eau bleue. Il est généralement le grand oublié des politiques publiques.

 

Définition de l’eau verte

La distinction eau bleue/eau verte est proposée par l’hydrologue suédoise Malin Falkenmark en 1995. Cette définition a depuis été adoptée par la communauté scientifique comme la communauté internationale.

L’eau « bleue » est celle qui transite rapidement dans les cours d’eau, les lacs, les nappes phréatiques… vers la mer. Elle représente environ 40% de la masse totale des précipitations, souvent appelées « précipitations efficaces ». Par opposition à des précipitations non-efficaces ? Cette sémantique démontre de l’intérêt pour ce qu’on voit directement, au détriment de ce qui se révèle pourtant le plus important : les 60% du reste des précipitations, qui alimentent « l’eau verte ».

L’eau « verte » est cette eau qui est stockée dans le sol et la biomasse. Elle peut être évaporée par les sols, ou absorbée puis évapotranspirée par les plantes. En termes de flux d’eau douce, c’est l’eau la plus importante. On sait de fait que les plantes gèrent elles-mêmes le cycle de l’eau.

 

Des cycles imbriqués et indissociables

Les interactions entre eau bleue et eau verte sont constantes, pour la simple et bonne raison qu’à l’échelle mondiale, 60% des précipitations sont le fruit de l’évapotranspiration des végétaux. Un chiffre qui grimpe encore à mesure que l’on s’éloigne du littoral.

En effet, l’évaporation qui a lieu à la surface de la mer est moindre que celle produite par les plantes. En termes de surface, quand bien même l’océan recouvre 70% de notre planète et que les zones désertiques (arides ou glaciales) occupent 40% des terres émergées, les plantes ont des surfaces de contact à l’air démultipliées par leurs formes. Un arbre occupe par exemple 1m2 au sol, mais ses feuilles peuvent couvrir plusieurs dizaines, voir centaines de m2. De ces pluies, environ 40% vont donc alimenter les lacs, rivières, etc. que l’on utilise directement. Lorsqu’on diminue le couvert végétal, on diminue la puissance de l’évapotranspiration, donc de la pluie, donc de l’approvisionnement en eau bleue. C’est un premier lien entre eau verte et eau bleue.

D’un côté, l’eau bleue utilisée par l’industrie et les ménages est en grande partie remise dans le circuit même de cette eau après traitement. En revanche, l’eau bleue utilisée en agriculture pour l’irrigation par exemple est transformée en eau verte. C’est l’exemple principal du lien eau bleue et eau verte, cette fois-ci.

Flux d’eau verte et écoulements d’eau bleue . Crédits photo : Abdelkader Hamdane, 2021

 

Plus de végétaux, plus d’eau bleue à disposition !

Deuxième lien qui montre l’importance de l’eau verte pour avoir de l’eau bleue à disposition, et pas des moindres :  le rechargement des aquifères. L’eau qui recharge les aquifères, considérée comme eau bleue et pompée pour nos activités, passe en grande majorité par les racines des plantes. Les racines pivots (celles qui s’enfoncent verticalement) des grands arbres suintent une eau entièrement filtrée directement dans les nappes phréatiques.

On sait par ailleurs désormais que les plantes fixent l’humidité de l’air en la faisant condenser sur ses feuilles, et ruisseler de manière invisible jusque dans le sol. C’est ce phénomène qui explique la rosée en été, alors qu’il ne pleut pas, comme le fait que les forêts restent bien vertes même en période de sécheresse. Une surface de 1 m2 de feuilles va par ce procédé faire circuler des milliers de m3 d’air par heure, et faire condenser l’équivalent par jour de 2 à 4 mm d’eau, soit l’équivalent d’un gros orage tous les 10 jours. Un apport plus que significatif !

Les racines végétales, la microfaune (verres de terre et minuscules insectes) et le mycélium structurent le sol pour permettre constamment une infiltration maximale de l’eau. Plus que cela, le mycélium régule la pression osmotique des plantes avec lesquelles il est connecté. Lorsque la plante absorbe trop d’eau, cette eau lui est retirée et poussée dans le sol, et inversement quand la plante est trop sèche. Cette eau va donc circuler, par capillarité et gravité, jusqu’aux aquifères qui alimentent ensuite sources et cours d’eau.

Dit autrement, l’eau bleue naît de la richesse de l’activité végétale permise par l’eau verte. Plus on a de forêts, d’arbres et de champs couverts de végétaux sur son bassin versant, plus les cours d’eau sont dynamiques, et le risque de sécheresse moindre. Évidemment, c’est une tendance qui ne résiste pas forcément aux anomalies météo de longue durée.

 

L’eau verte : une limite planétaire dépassée

Conduits par le chercheur suédois Johan Rockström, du Stockholm Resilience Center, des chercheurs internationaux ont établi 9 grands processus impliqués dans le fonctionnement du « système Terre » : le climat, la biodiversité, les forêts, l’eau douce, l’acidification des océans, les cycles de l’azote et du phosphate, les pollutions chimiques, les aérosols émis dans l’atmosphère, la couche d’ozone. Ce sont les 9 grandes « limites planétaires ».

Franchir chaque limite augmente le risque de déstabiliser l’environnement planétaire de manière irréversible, avec des impacts majeurs pour les êtres vivants. Aujourd’hui, six limites planétaires sont dépassées, et dans celle qui concerne le cycle de l’eau, c’est le cas de l’eau verte.  La limite est une zone d’augmentation forte des risques.

Ce dépassement est lié à la vitesse de la déforestation, que les scientifiques estiment capable de faire basculer de nombreux écosystèmes dans l’aridité. Moins d’arbres, c’est moins d’humidité fixée, moins d’évapotranspiration et moins de pluies locales. En effets les arbres émettent dans l’air des microparticules capables de faire condenser l’eau des nuages en pluie.

Dans un article de Nature[1] parue en avril 2022, les auteurs soulignent que si la dernière évaluation de la consommation d’eau douce n’était pas alarmante, c’est en raison de l’indicateur qui n’était pas pertinent. En effet, seule l’eau dite « bleue » était prise en compte, autrement dit les lacs, les rivières et les nappes souterraines. L’évaluation des ressources en eau oubliait ainsi de prendre en compte l’eau verte, et en la prenant en compte, le résultat est tout autre. En effet, la multiplication de boucles de rétroaction entraînant la disparition des forêts et l’assèchement des sols fait dire aux chercheurs que la limite est franchie.

La forêt amazonienne est peut-être l’exemple le plus emblématique : l’assèchement continu est le fruit de la déforestation colossale des dernières années, encouragée notamment par le précédent gouvernement brésilien. Elle pourrait conduire à une transition abrupte et persistante de la forêt tropicale vers une savane. Conséquence, la forêt amazonienne semble désormais être une source nette de carbone.

Dans d’autres endroits du monde, les sols deviennent bien plus humides qu’avant, en raison de la modification du cycle de l’eau par le changement climatique, ce qui est également compté comme perturbation de l’eau verte.

 

L’urgence d’intégrer l’eau verte dans les plans eaux

En conclusion, une politique de l’eau territoriale cohérente ne peut faire l’économie d’intégrer l’eau verte d’une manière ou d’une autre, car elle sous-tend la biodiversité locale autant que la productivité végétale et de nombreux autres services écosystémiques. Les flux relatifs à cette dernière peuvent être quantifiés par certains modèles de bilan hydrique, par exemple le modèle Biljou, développé notamment par l’INRAE[2] .

[1] https://www.nature.com/

[2] https://www.reseau-aforce.fr/

 

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