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Régis Banquet : « Eviter les conflits d’usage de l’eau par la concertation locale »

Cet article a été rédigé par Cyrus Farhangi

Crédits photos : Régis Banquet

Régis Banquet est Maire d’Alzonne dans l’Aude, Président de Carcassonne Agglo et Vice-président d’Intercommunalités de France, en charge du grand cycle de l’eau.

Pouvez-vous présenter vos différentes fonctions ?

Je suis Maire d’Alzonne dans l’Aude, Président de Carcassonne Agglo et Vice-président d’Intercommunalités de France, en charge du grand cycle de l’eau. C’est pour moi une responsabilité énorme car l’eau est, dans mon esprit, l’enjeu majeur des 20-30 prochaines années. Sans eau, ni l’homme ni aucune espèce ne pourra survivre sur Terre. L’eau devient de plus en plus rare. Il faut apprivoiser et protéger ce bien commun.

Comment avez-vous vécu la sécheresse de l’été 2022 ?

Je suis du Sud et cela fait plusieurs années que nous nous préparons. Au-delà des problèmes qu’a causés l’été 2022, cette période a permis de faire prendre conscience à tout le monde de l’importance de l’eau et du changement climatique. Chacun s’est bien rendu compte cet été des incendies, des communes non-approvisionnées en eau… Le changement climatique fait que nous ne connaitrons plus 4 saisons, mais 2 saisons : une où nous aurons peu de précipitations, et une autre où nous en aurons beaucoup en peu de temps, des précipitations brutales qui vont engendrer des catastrophes sur certains territoires. C’est ce changement-là qu’il faut anticiper pour amener à nos populations une eau potable de qualité, et les protéger contre les inondations.

Malheureusement on ne se pose plus la question autour de la Méditerranée pour savoir si ces événements extrêmes vont se reproduire. Ils vont se reproduire ! La question est plutôt où et quand ? La Méditerranée est une région du monde qui se réchauffe particulièrement vite. L’eau s’évapore, l’atmosphère retient davantage d’eau au-dessus de nos têtes et un jour l’eau tombe brutalement. Il tombe parfois en quelques heures ce qui tomberait normalement en quelques mois.

Au niveau des équipements et infrastructures, comment peut-on s’adapter à ce cycle de l’eau qui est parti pour changer sans cesse, au moins pendant les quelques prochaines décennies ?

Sur mon territoire, l’ensemble des élus et acteurs de l’eau ont anticipé depuis 30-40 ans que quoi qu’il arrive, l’eau deviendra de plus en plus rare. Donc nous avons construit des retenues qui emmagasinent beaucoup d’eau l’hiver, de manière à fournir suffisamment d’eau l’été pour alimenter nos populations, ainsi que l’étiage des rivières pour protéger la biodiversité. Jusqu’à aujourd’hui, ces stockages nous suffisaient amplement.

Ces stockages ne sont cependant pas tous destinés aux usages domestiques. Ils sont utilisés aussi par l’agriculture. La demande d’eau potable et d’eau agricole ne fait qu’augmenter tous les ans, donc depuis quelques années nous anticipons ces augmentations pour avoir des réseaux de qualité qui limitent les fuites. Sur mon territoire, l’entretien insuffisant des canalisations depuis des dizaines d’années entraine la perte d’un litre d’eau sur 5 litres que nous distribuons. Il faut que l’on travaille sur le renouvellement des réseaux : c’est un travail à mener au niveau des territoires pour conduire les chantiers, et au niveau national pour les financer. Certaines collectivités ont des rendements de 90%, d’autres de 60%.

Au rythme actuel, la France ne renouvelle ses réseaux qu’à un rythme moyen d’une fois tous les 120 ans. C’est insuffisant, il faudrait les renouveler une fois tous les 50-60 ans. Or les collectivités n’ont pas toujours les moyens de le faire. Pour cela, il faudrait une enveloppe nationale d’environ 2-3 milliards d’euros supplémentaires pour que nous puissions réaliser le renouvellement nécessaire et économiser l’eau.

Un autre défi se pose au niveau de l’agriculture. Il faut imaginer l’agriculture de demain, qui devra inéluctablement avoir des cultures moins consommatrices d’eau. J’espère que cela aboutira à travers les recherches menées par INRAé. Aujourd’hui cela fait 3-4 ans que nous arrosons le blé l’été, alors que cela n’avait jamais été le cas ! Nous manquons désormais de pluie à des périodes stratégiques. Cette consommation supplémentaire de l’agriculture doit nous interpeller : il faudra soit optimiser la consommation des plantes, soit modifier certaines cultures comme le maïs, qui est très consommateur. Peut-être déplacer ces cultures dans des territoires mieux pourvus en eau.

Vous soulevez là un sujet sensible…

Il y a des territoires fortement en tension aujourd’hui. Il y a la tension sur l’eau, mais aussi la tension entre agriculteurs et les associations écologistes qui veulent protéger ce bien commun. Pour que chacun puisse continuer sereinement à évoluer (agriculteurs, industriels, citoyens), les acteurs doivent dialoguer et se concerter.

C’est pourquoi j’ai récemment organisé sur mon territoire des Assises de l’Eau, pour échanger de manière constructive dans cette période où le manque n’est pas encore trop flagrant, et avoir une réflexion commune sur l’utilisation et le partage de l’eau. Cela ne pourra se faire que dans l’équilibre et le consensus. Si nous ne sommes pas capables de dialoguer les uns avec les autres, et adopter ensemble une démarche économe en eau, alors nous aurons des conflits entre ceux qui veulent que rien ne change et ceux qui veulent trop vite renverser la table. Cela mènera à des comportements extrêmes et des catastrophes humaines.

On parle déjà en France de « guerres de l’eau »…

La guerre est un mot très fort et je pense que ceux qui l’emploient ne l’ont jamais réellement vécue. Et je ne veux pas vivre cette « guerre ». C’est pour cela que j’essaie de mettre autour de la table, dans le calme, toutes les professions et collectifs de citoyens. Il faut que chacun puisse comprendre l’autre, et faire des efforts pour améliorer ses usages de l’eau. L’excès ne mène à rien. Ecouter l’autre est un premier pas pour le comprendre et parvenir à un compromis. Ce compromis est indispensable, sinon on ne pourra pas survivre aux conflits autours de l’eau. Il y aurait des dégâts, d’un côté comme de l’autre. Je ne veux pas que mon territoire en arrive là.

Je me bats sur mon territoire et j’essaie de faire passer le message au niveau national. J’ai partagé ce sentiment lors d’une table ronde au Congrès d’Intercommunalités des France, avec le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Il est sur les mêmes dispositions que les miennes, et souhaite faire en sorte que les utilisateurs de l’eau puissent se parler, confronter leurs points de vue, et arriver à un compromis pour partager cette ressource, qui deviendra de toute façon de plus en plus rare.

Le dialogue permettra peut-être aux acteurs de voir davantage le grand cycle de l’eau dans son ensemble ? Et sortir d’une vision silotée et détachée : la station de pompage, les usagers chacun de leur côté, la station d’épuration… Que chacun prenne conscience du cycle global de l’eau : d’où ça vient, où ça part…

Je vais vous citer un exemple : aujourd’hui vous tournez le robinet, l’eau coule. Personne ne se pose la question de ce qui se passe avant et ce qui se passe après. Ma grand-mère habitait à la campagne et la source était à 200m de la maison. Il y a 60 ans nous n’avions pas d’eau courante. Chaque matin ma grand-mère allait remplir deux sceaux d’eau à la source et revenait à la maison : je peux vous garantir que l’eau était ainsi perçue comme précieuse ! A consommer avec attention et modération. Aujourd’hui, le Président de la République parle de « fin de l’abondance ». Cela vaut pour l’énergie comme pour l’eau. Il faut entrer dans des comportements de sobriété, et d’écologie au sens noble du terme, pas au sens du dogmatisme politique.

Je fais confiance à la nature humaine mais aussi à la science. Nous avons à ce niveau-là des perspectives intéressantes : aujourd’hui l’eau qui sort des stations d’épuration peut être réutilisée. C’est selon moi un scandale d’utiliser de l’eau potable par exemple pour éteindre les incendies. On pourrait pour cela utiliser de l’eau brute. Cela vaut également pour laver la voirie, pour arroser les espaces verts… Il faut distinguer deux types de consommation : l’eau brute pour le type d’usage que je viens d’évoquer, et l’eau potable pour les usages domestiques.

Le numérique aura également un rôle important à jouer. Par exemple, nous allons installer avec la Chambre d’Agriculture, chez les agriculteurs, des capteurs dans la terre afin de mesurer le stress hydrique des plantes, de manière à envoyer l’irrigation au moment où il faut, à la goutte près. L’Intelligence Artificielle peut nous aider à être plus économe sur l’eau, ainsi que sur l’énergie. C’est le genre de stratégie que nous sommes en train d’intégrer dans notre Plan Climat-Air-Energie Territorial (PCAET), que j’ai d’ailleurs rebaptisé PCAEET : Plan Climat-Air-Energie-Eau Territorial.

Imaginez-vous à l’avenir que la gestion de l’eau sera davantage décentralisée ?

Cela soulève plusieurs questions. Au niveau de la gouvernance politique, il faut préserver les instances sur les grands bassins (comme c’est déjà le cas à travers les Agences de l’Eau), à laquelle associer une gouvernance sur les bassins de vie au plus près de nos concitoyens. Je plaide ainsi pour que les intercommunalités constituent ces organes.

Au niveau des comportements, on ne peut pas décréter depuis Paris l’évolution des mentalités. Ce n’est pas en établissant une loi que cela va fonctionner. Il faut embarquer la population dans une démarche vertueuse, en associant les citoyens aux décisions et à la gouvernance, au niveau communal ou intercommunal.

L’évolution des comportements passera également par la communication, et par l’école. Il faut diffuser des connaissances théoriques et pratiques sur l’écologie, une éducation à la citoyenneté qui intègre les enjeux de l’eau, de l’énergie et de la biodiversité. C’est un travail de très long terme à engager, indispensable à notre survie.

Quel est votre retour d’expérience sur les trames vertes et bleues ?

ndlr : politique publique initiée en 2007 et introduite dans le code de l’environnement en 2009 afin de réduire la fragmentation des habitats naturels et semi-naturels et de mieux prendre en compte la biodiversité dans l’aménagement du territoire

Nous débutons dans ma commune une révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU). J’ai souhaité que soit réalisé, avant ce travail, un atlas de la biodiversité de ma commune. Nous avons recensé les plantes, les chauves-souris etc. Plusieurs dizaines de citoyens y ont participé, et ont découvert des richesses et des trésors qui leur étaient totalement inconnues. Cela instaure de la fierté et incite davantage à préserver ces richesses.

Des outils nous permettent aujourd’hui de mieux associer les citoyens. Si j’inscris dans le PLU des trames vertes et bleues, des restaurations de zones humides etc. les personnes autour de la table seront contentes, mais si les citoyens n’y sont pas associés, ils ne comprendront pas les aménagements qui seront réalisés, voire s’y opposeront. Il faut faire preuve de pédagogie et éviter les décisions décrétées uniquement par les experts. Je suis conscient que c’est difficile et qu’on n’y parviendra pas en une seule mandature.

Concernant la protection des populations contre les inondations, quelle est votre démarche de prévention de ces risques ?

Quand on n’a pas connu d’inondation ou d’événement de ce type-là, on ne peut pas comprendre. Notre Département a malheureusement payé un lourd tribut. En 1999 nous avons eu 26 morts, en 2018 nous avons eu 14 morts. Nous avons eu des centaines de milliers d’euros de dégâts, certains villages ont perdu 50-60 maisons, sans compter les bâtiments publics. Les maisons détruites par les inondations n’étaient pas toujours construites sur des zones identifiées comme inondables. La population est donc pleinement consciente du danger, et comprend qu’il faut totalement changer de paradigme sur l’urbanisation de nos communes, quelle que soit leur taille.

Il a fallu détruire et reconstruire des maisons. En France le fonds Barnier permet de racheter ces biens aux propriétaires et de leur donner les moyens de reconstruire ailleurs. Cela a été fait dans plusieurs communes de mon agglomération, sur environ 200 maisons. La population a bien compris qu’il fallait repenser la ville et les villages dans leur aménagement. On sait désormais que même des petits cours d’eau peuvent devenir dangereux, et que les maisons doivent en rester éloignées. C’est un premier niveau de protection.

Ensuite, on réalise chaque année des millions d’euros de travaux (financés par la taxe GEMAPI) sur les cours d’eau pour araser des digues, ou ailleurs mettre en place des ouvrages de protections etc. de façon à protéger au maximum nos populations contre les aléas. Il y a cependant des endroits vulnérables où l’on ne trouve pas de solution, et comme le risque zéro n’existe pas, il faut prévenir ces habitants, et prévoir dans les Plans Communaux de Sauvegarde (PCS) de les évacuer en priorité en cas d’orage fort. Nous avons mis à jour nos PCS assez rapidement pour tenir compte de l’accentuation des risques. Des élus jadis réfractaires à l’application de la taxe GEMAPI y sont désormais favorables depuis qu’ils observent l’aggravation des inondations. La taxe semble désormais bien acceptée.

Dans ce changement de paradigme d’urbanisation, quid du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) ? Comment le déclinez-vous à l’échelle de votre territoire ?

Nous allons valider notre Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) le mois prochain. Lorsque la loi ZAN est sortie, nous avons d’abord été vent debout contre l’idée de ne pas pouvoir continuer à développer nos communes. Il faut adapter ce ZAN à échelle territoriale. Il y a des territoires qui ont peu artificialisé, et la loi va les empêcher de se développer. Sur notre territoire, retomber à 50% de ce qui s’est fait par le passé est assez contraignant pour notre développement, même si l’on devrait pouvoir y arriver. Inversement, d’autres territoires qui ont beaucoup artificialisé par le passé se voient moins contraints par cette loi.

Il faut dialoguer à l’échelle des Régions, qui sont le bon espace, à mon sens, pour se concerter entre les Métropoles, les villes moyennes et les espaces ruraux. Il faut partager équitablement cette artificialisation. Philosophiquement, le ZAN est une bonne chose, cela va permettre de préserver les espaces naturels, et de faire prendre conscience aux élus qu’il y a d’autres façons de faire. On peut très bien faire un parking ou des travaux de voirie, mais avec des matériaux autres que le bitume, qui permettent à l’eau de s’infiltrer lorsqu’il pleut. Dans le dialogue avec d’autres élus, je constate une prise de conscience sur le fait que le tout-bitume et le tout-béton, c’est fini.

Concernant l’habitat, cette prise de conscience doit permettre de réinvestir les centre-bourgs et les centres-villes. On a des dizaines de locaux à l’abandon, vacants, qu’on peut réhabiliter pour les mettre à disposition de nouvelles populations. C’est un véritable changement de vision à opérer au sein de la société. La réussite sociale consistait à avoir une grande villa en périphérie. Cette demande existe encore, mais on voit les choses changer petit à petit. Je vois des jeunes s’installer en cœur de bourg et cœur de ville. J’espère que ce changement va s’amplifier. Il faut bien un jour arrêter la consommation d’espace agricole si l’on veut continuer à manger.

Un dernier mot à destination de vos confrères ?

J’ai l’habitude d’être assez direct et de dire ce que je pense. Sur les 20-30 dernières années, le but du jeu pour les élus était d’augmenter la démographie de leur commune. C’était ainsi qu’on jugeait et qu’on évaluait la prospérité et le dynamisme d’une commune. Aujourd’hui il faut mettre davantage l’accent sur la qualité de vie, la qualité de l’eau, la qualité de l’air, la qualité des installations mises à disposition des citoyens. Cette qualité est subjective et difficile à quantifier. Mais c’est davantage là-dessus qu’il faut insister, plutôt que sur la quantité. Je suis convaincu que le « verdissement » de nos politiques doit être le fil conducteur (et chacun sait que je ne suis pas un élu encarté chez EELV).

Banque des territoires - Groupe Caisse des dépôts

Cet article vous est proposé par la Banque des Territoires

Créée en 2018, la Banque des Territoires est un des cinq métiers de la Caisse des Dépôts. Elle rassemble dans une même structure les expertises internes à destination des territoires. Porte d’entrée client unique, elle propose des solutions sur mesure de conseil et de financement en prêts et en investissement pour répondre aux besoins des collectivités locales, des organismes de logement social, des entreprises publiques locales et des professions juridiques.

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