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Yannick Poyat : Arbre en ville « il faut cesser les politiques du chiffre, quitte à replanter moins mais mieux »

Cet article a été rédigé par Cyrus Farhangi

Crédits photos : Yannick Poyat

Yannick Poyat est agronome spécialisé dans l’étude des sols urbains. Il a travaillé dans le bureau d’études Sol Paysage où il a réalisé une thèse CIFRE sur la question de l’intégration de la question du sol en aménagement urbain. Il a créé la société Planisol en 2019 réalisant des études territoriales et des études de reconstitution de sols. En 2023, il s’associe avec Cédric Coquelin pour créer la startup TeraSol qui développe une solution de revalorisation des matériaux d’excavation.

Bonjour Monsieur Poyat et merci d’avoir accepté notre invitation à témoigner. Les collectivités se tournent de plus en plus vers l’arbre en ville. Outre l’esthétique et le cadre de vie, elles nourrissent de fortes attentes en matière d’adaptation aux risques liés à la chaleur et à l’eau face au changement climatique.

L’arbre en ville est en effet un sujet qui est monté rapidement, à tel point qu’il y a des pénuries de pépiniéristes face aux demandes ! La renaturation fait parfois l’objet de débats passionnés. Il y a désormais une volonté politique assez forte pour regagner du terrain sur les surfaces imperméabilisées, ce qu’on peut évidemment saluer. Or Il apparait nécessaire de remettre certaines choses en perspective : la plantation ne doit pas devenir un acte politique ou un slogan.

Certains projets sont réalisés pour des raisons d’image ou pour faire du chiffre en nombre d’arbres plantés, mais présentent peu d’intérêt agronomique. Dans une stratégie de végétalisation, mieux vaut planter moins mais mieux. Le risque de planter à tout va, en recherchant des résultats immédiats, est de ne pas pouvoir assurer les frais d’entretien et d’arrosage, de voir dépérir les arbres peu résilients face aux événements climatiques extrêmes, et ainsi de gâcher de l’argent public.

Typiquement, je remets en question la volonté de planter de gros arbres qui ont déjà 20, 30 voire 40 ans. Certains architectes-paysagistes y sont favorables, et mettent en avant des retours d’expérience concluants. Or aujourd’hui les conditions de plantation sont beaucoup plus compliquées que dans les années 1990-2000. Les épisodes de chaleur, les sécheresses et les tempêtes de plus en plus fréquentes et intenses nuisent à la capacité des racines à sortir de leur motte et coloniser le sol.

Je me fie pour ma part aux résultats de 35 ans d’expérience de Claire Atger, spécialiste du système racinaire, selon qui il faut cesser de planter des arbres qui ont été transplantés à de nombreuses reprises en pépinières. Certains disent même qu’il faut arrêter de planter des arbres en motte, car ils ne résisteraient pas aux phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes. Mme Atger rappelle qu’au-delà d’un diamètre de racine d’environ 2cm, le fait de la sectionner désorganise complètement l’architecture racinaire, ce qui réduit d’autant plus la capacité des arbres à pouvoir reprendre.

L’eau est également un écueil important à considérer dans un projet de replantation…

Pour certaines villes le principal problème est effectivement la gestion de l’arrosage. Depuis peu, des sociétés comme Urbasense installent des capteurs d’humidité du sol pour optimiser l’arrosage et limiter la mortalité des arbres lors d’épisodes de chaleur extrême. Or une fois que l’on observe que les arbres sont en stress hydrique, comment faire pour arroser 2000 arbres en même temps ? Etant donné qu’un jardinier peut arroser environ 40 arbres par jour, les services espaces verts ne sont pas suffisamment dotés pour assurer un arrosage d’une telle ampleur dans le peu de temps imparti !

La gestion de l’arrosage des 3 premières années est cruciale. Certains pensent que plus l’arbre est gros, plus il aura de réserves et pourra survivre en ville. Or c’est tout l’inverse : plus l’arbre est gros plus il est en stress ; après avoir été transplanté à de nombreuses reprises, il lui faut plus d’énergie pour fabriquer ses tissus. Tandis qu’un petit arbre aura des besoins moindres. De surcroit, un petit arbre aux racines nues rattrape en 5 ans la taille des gros arbres, car il s’habitue beaucoup plus vite aux conditions locales. Mais politiquement un petit arbre fin de 1 mètre de haut sera moins attrayant à court terme, alors qu’un gros arbre fournira tout de suite plus d’esthétique et d’ombrage.

Il faut, à mon sens, cesser d’acheter de gros et vieux arbres en pépinière. On se rend compte de pertes importantes : dans la plupart des plantations en milieu urbain, la quasi-totalité des gros arbres plantés il y a 3-4 ans sont en train de dépérir, avec plusieurs milliers d’euros de dépenses publiques perdues par arbre.

Il faut être très prudent car la croissance d’un arbre est lente, et nous n’avons pas un nombre illimité d’essais pour planter des espèces adaptées au changement climatique.

A l’inverse, on continue de voir des chantiers d’abattage d’arbres…

Les abattages cristallisent beaucoup de tensions. J’essaie d’être pragmatique, parfois cela peut avoir du sens, comme dans le cas de platanes qui vont à l’évidence subir toute leur vie. On se demande alors quel est l’intérêt : ces arbres sont en souffrance et ne rendent pas les services écosystémiques que l’on souhaiterait (ex. îlots de fraicheur, infiltration et rétention de l’eau, réduction des eaux de ruissellement, épuration de l’air, évapotranspiration, ombrage, séquestration de CO2, réservoir de biodiversité…). Dans de tels cas, il serait préférable pour la commune d’investir pour tout refaire, mais mieux, en créant de bonnes conditions d’exploration racinaire dans le sol.

Mais dans la grande majorité des cas, je comprends tout à fait les oppositions aux demandes d’abattage. Ce qui m’apparait d’autant plus contestable est la promesse de « compensation ». On serait idéalement tous favorables à la replantation massive d’arbres. La végétalisation est une solution prioritaire pour maximiser la résilience urbaine, mais cela ne justifie pas d’abattre 3 arbres majeurs pour en replanter 10. Il faudrait attendre des dizaines d’années pour que ces 10 arbres fournissent le même niveau de « service » que les arbres abattus.

Où en sont les connaissances agronomiques en matière de désimperméabilisation et de régénération de sols urbains ?

La place disponible est un facteur pouvant freiner la végétalisation des villes. Tout le monde parle de « planter dans la pleine terre ». Le terme n’est pas vraiment défini, mais dans les esprits c’est une plantation dans 1 mètre de sol. C’est le cas de nombreuses surfaces végétalisées aujourd’hui, sauf que la place va finir par manquer, ce qui pose la question de regagner du terrain sur le béton, en reconvertissant les surfaces imperméabilisées en surfaces plantées.

Sur les zones de pleine terre nous faisons déjà face à un certain nombre de contraintes comme la compaction du sol, un entretien insuffisant… Dans certains cas les entreprises de travaux n’ont pas suivi le cahier des charges et laissent une épaisseur de terre végétale très insuffisante. Mais alors imaginez les contraintes pour des sols déjà imperméabilisés !

L’expertise agronomique en matière de désimperméabilisation est tout juste émergente. Pour accélérer le processus de régénération d’un sol urbain, il est important de comprendre que les sols urbains sont généralement excavés sur 1 mètre. Dans l’exemple d’un parking, on a 12-15cm d’enrobés, en-dessous un coffre composé de cailloux, graviers et sable pour assurer une portance, et en-dessous « l’encaissant » où ce qu’on retrouvera relève de la loterie ! C’est très variable et inconnu, les personnes à l’origine du chantier ne sont généralement plus joignables, les archives sont difficiles à trouver, donc c’est quasiment un travail d’archéologue !

La vision conventionnelle consisterait à ne pas se poser de question : on décape tout sur 1 mètre, et on remplit de terre végétale. Or la terre végétale est une ressource finie. Dans la quasi-totalité des cas c’est de la terre agricole décapée, stockée, et revendue. Il conviendrait plutôt de comprendre comment régénérer les sols en n’important quasiment rien.

Avec le canton de Genève nous expérimentons des solutions techniques pour désimperméabiliser des parkings et régénérer les sols en important uniquement de la matière organique, et en accélérant les processus de pédogénèse.

Nous avons aussi des retours d’expérience d’autres acteurs sur lesquels nous appuyer. Par exemple le projet Siterre est parvenu à identifier des substituts possibles à la terre végétale parmi les matériaux issus de l’activité et de la déconstruction des villes. Le projet est parvenu à reconstituer des modèles de sols à partir de matériaux minéraux et organiques (ex. déchets verts, béton concassé, balayages de rues…). Les acteurs ont remarqué que du point de vue de développement arboré, il n’y avait aucune différence avec de la terre végétale. Donc avec des déchets qui aujourd’hui ne sont pas du tout considérés, on parvient à reconstituer des sols qui fonctionnent bien.

Comment savoir si les essences d’arbres plantées aujourd’hui seront adaptées au climat de 2050-2060 ?

C’est LA grande question des 5-10 dernières années, et probablement des prochaines. Il faut que les essences soient adaptées au climat incertain de 2050-2060 mais aussi aux climats transitoires d’ici là. De nombreuses réflexions sont en cours chez les spécialistes et dans les services municipaux. La question est complexe. Par exemple en Suisse on observe encore des hivers parfois rudes. On se dirigerait donc davantage vers des essences provenant des Balkans, adaptées à la chaleur et au froid, plutôt qu’aux essences méditerranéennes particulièrement résistantes au stress hydrique.

Outre l’adaptation au changement climatique, il faut également se pencher sur l’adaptation des sites de plantation. Aujourd’hui la plupart des villes se basent sur des catalogues de pépiniéristes qui connaissent bien leur travail, mais dont les préconisations sur les conditions de sols peuvent être imprécises. La capacité d’adaptation des arbres est assez importante, mais il faut bien connaitre les essences dont l’adaptation aux sols urbains est limitée, notamment en raison de l’eau disponible et du calcaire.

Quelles dernières suggestions feriez-vous aux collectivités territoriales souhaitant mener des démarches de replantation d’arbres ?

J’insiste sur la nécessité de mener une vraie réflexion sur ce que j’ai appelé « l’encaissant », ce qu’il y a autour de la fosse, qui va conditionner la pérennité des arbres. Remplir une fosse de terre végétale ne me semble guère indiqué. Plus tôt on prend en considération l’encaissant, plus tôt on anticipe le bon développement des arbres.

On pourrait même imaginer penser la fosse de plantation en fonction de ce qu’il y a autour, afin  d’anticiper l’adaptation de l’arbre à ce qu’il découvrira une fois que ses racines sortiront de leur fosse, au bout d’environ 5 ans. Les arbres d’alignement font typiquement face à de mauvaises conditions, plantés le long des routes, dans des fosses unitaires, entourées de réseaux… Ils font ainsi l’objet de remplacements très fréquents.

Il faut donc repenser le volume d’exploration racinaire en ville, et ne pas juste le restreindre aux zones de pleine terre. Même un trottoir doit pouvoir être pensé pour accueillir des racines.

Banque des territoires - Groupe Caisse des dépôts

Cet article vous est proposé par la Banque des Territoires

Créée en 2018, la Banque des Territoires est un des cinq métiers de la Caisse des Dépôts. Elle rassemble dans une même structure les expertises internes à destination des territoires. Porte d’entrée client unique, elle propose des solutions sur mesure de conseil et de financement en prêts et en investissement pour répondre aux besoins des collectivités locales, des organismes de logement social, des entreprises publiques locales et des professions juridiques.

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