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Charlène Descollonges : « L’hydrologie régénérative s’inscrit pleinement dans les solutions fondées sur la nature »

Cet article a été rédigé par Maxime Blondeau

Charlene Descollonges hydrologie regenerative aquagir
Crédits photos : Charlene Descollonges

Charlène Descollonges est ingénieure hydrologue. Elle a piloté des études sur le partage de la ressource en eau, la gestion stratégique et la gouvernance de l’eau pour des collectivités locales. Elle est aujourd’hui consultante, accompagne des entreprises, des acteurs territoriaux et a co-fondé l’association Pour une Hydrologie Régénérative qui vise à restaurer le cycle de l’eau dans les territoires afin d’améliorer leur résilience. Elle est également conférencière et auteure.

 

Bonjour Charlène, vous êtes hydrologue et venez de signer un livre à succès : L’eau – Fake or Not chez Tana Editions. Pourquoi avez-vous choisi ce métier, comment l’eau est-elle entrée dans votre vie ?

L’eau me fascine depuis mon plus jeune âge. Mon frère était pêcheur à la mouche et en l’accompagnant au bord des cours d’eau, j’ai très vite constaté les dégâts dans les rivières (pollutions, pompage, barrage etc.). J’ai grandi à Dijon en Bourgogne, et nous partions souvent en vacances dans les montagnes du Jura, avec ses magnifiques cascades et rivières calcaires. J’ai appris à nager toute seule à l’âge de 5 ans, et comme d’autres enfants, je trouvais cela normal de dialoguer avec l’eau, les rivières, les arbres. J’ai toujours eu un lien fort avec l’élément eau. Jeune adulte, Bac scientifique en poche, j’ai renoncé aux études de médecine pour m’orienter vers les Sciences de la Terre où j’ai découvert les cours d’hydrologie qui m’ont passionnée. Je me suis spécialisée avec le Master Hydrologie à Montpellier, et j’ai poursuivi un an de plus mes études pour obtenir le diplôme d’ingénieur des Mines à Alès.

 

Qu’est-ce que vous trouvez fascinant dans le domaine de l’eau ?

Tellement de choses… Les sciences de l’eau sont encore largement mystérieuses. Il ne se passe pas un jour sans que l’on apprenne une nouvelle facette, une nouvelle façon de l’étudier. Mais ce qu’il y a de plus beau dans l’eau, je dirais, c’est son caractère vital. Sans eau, il n’y aurait pas de vie, ni terrestre, ni aquatique, ni animale, ni végétale. En fait, nos paysages sont façonnés, modelés, structurés et nourris par l’eau. On dépend tous d’elle et chaque pays, chaque région, chaque communauté a des manières différentes de la gérer.

 

Donc si je résume, l’eau est mystérieuse, l’eau est vitale. Mais on se la représente parfois comme un outil pour atteindre nos objectifs. L’eau comme outil. C’est une conception qui vous choque ?

En fait, le mot ressource même, me gêne. Derrière le mot ressource, il y a l’idée d’exploiter, de se servir de et de rejeter. C’est une conception linéaire liée à un rapport extractiviste qui n’a plus de sens aujourd’hui. Certains parlent de bien commun, mais on peut aussi interroger ce terme de bien puisque cela sous-entend une valeur et une transaction derrière.

Pour moi, les hydrosystèmes – rivières, lacs, zones humides – sont incroyablement vivants d’une certaine manière. Ils ont des dynamiques, ils bougent, changent de forme, leur état de santé peut se dégrader et comme nous, ils peuvent guérir. En fait, cela dépend de nous.

Un nouveau paradigme émerge autour des propriétés quantiques de l’eau. La recherche scientifique est encore très balbutiante sur ce sujet, mais je suis assez sensible à l’idée que l’eau porte une mémoire et une certaine énergie. Cette question est à la croisée des savoirs scientifiques et des savoirs ancestraux qui sont préservés au sein des peuples autochtones. Un programme de recherche interdisciplinaire est d’ailleurs en cours entre des scientifiques de l’eau et les Kogis de Colombie pour croiser ces deux grilles de lecture – scientifiques et sensibles – autour d’un même bassin hydrographique.

Une question me taraude : “Si la rivière avait un message à transmettre, quel serait-il ?” Je pense que l’on gagnerait à rassembler ces grilles de lecture, à la fois scientifique et sensible, pour se mettre à leur écoute, en intégrant aussi les autres qu’humains, sans tomber dans le piège de l’anthropomorphisme, avec le biais de nos interprétations. De nombreuses expérimentations émergent en France et c’est tant mieux, car elles portent l’espoir d’un nouveau statut pour mieux protéger et défendre les rivières.

 

Vous avez donné des conférences dans toute la France en 2023. Auprès de quels publics ?

Les publics que je rencontre sont très variés. Au départ, je pensais m’adresser plutôt aux acteurs publics et privés de l’eau et je suis finalement de plus en plus questionnée par certaines entreprises qui prennent conscience de la raréfaction de l’eau. Les dirigeants et collaborateurs cherchent à comprendre comment fonctionnent les cycles de l’eau, quelles sont les pressions, quelles sont les limites qu’on a dépassées, quelles sont les solutions à déployer et surtout, quelles sont les fausses bonnes idées. Donc, je m’adresse à un public très varié qui va du citoyen non averti aux gestionnaires d’actifs financiers, en passant par des dirigeants d’entreprises, des fonctionnaires d’Etat, des acteurs du milieu agricole et de l’agroalimentaire, mais aussi des énergéticiens qui se questionnent aussi sur l’avenir de l’eau et le modèle énergétique français.

 

Quels sont vos principaux messages lors de vos interventions ?

Premièrement, repartir sur une bonne représentation du cycle de l’eau pour avoir aussi une bonne représentation des problèmes, notamment des niveaux de pression que nos activités exercent sur l’eau verte, l’eau bleue, l’eau grise (le tout formant l’empreinte eau). On regarde en quoi le changement climatique va venir exacerber tous les maux occasionnés sur le grand cycle de l’eau.

Ensuite, côté solutions, je prône celles qui visent à régénérer massivement le cycle de l’eau, notamment par l’hydrologie régénérative qui s’inscrit pleinement dans les solutions fondées sur la nature.

Et enfin, j’essaie de susciter l’engagement citoyen, notamment dans la gouvernance de l’eau, tout en faisant alliance avec le vivant.

En résumé : Une bonne représentation du cycle de l’eau à la base. L’hydrologie régénérative pour soigner ce que l’on a dégradé. Et troisièmement, coopérer et s’engager avec l’ensemble du Vivant.

 

Alors justement, développons qu’est-ce que l’hydrologie régénérative. Vous êtes présidente et cofondatrice d’une association qui s’appelle Pour une hydrologie régénérative. Pourriez-vous nous exposer le principe de cette approche ?

J’ai créé l’association avec deux autres experts, Samuel Bonvoisin et Simon Ricard, tous deux experts de l’hydrologie régénérative qui la déploient depuis plusieurs années dans la Drôme et partout en France et dans le monde. L’idée de l’association est de faire caisse de résonance sur tout ce qu’ils faisaient parce qu’ils pratiquaient à l’échelle de parcelles locales.

L’hydrologie régénérative est une science émergente qui englobe plusieurs sciences comme l’hydrologie, l’hydrogéologie, la pédologie (formation et évolution des sols), l’agronomie, la météorologie, la climatologie etc.

Les deux grands principes sont de ralentir les eaux de pluie et de ruissellement pour les aider à mieux infiltrer et de densifier la végétation pour favoriser le recyclage de la pluie. On se base pour cela sur un triptyque : eau, sol, arbre.

D’abord, des aménagements d’hydraulique douce vont permettre à l’eau de s’infiltrer lentement d’amont en aval du bassin versant. L’idée est de recréer des paysages type bocagers pour répartir l’eau sur le paysage, créer des points humides, mais aussi réhydrater les points secs, et stimuler le tout avec un sol vivant qui sera plus à même d’absorber et d’infiltrer l’eau de pluie. Puis, on va chercher à travailler autour d’un paysage agroforestier puisque les arbres ont le pouvoir de stimuler le recyclage de l’eau de pluie.

Cette vision se base sur les travaux d’un agriculteur australien Percival Alfred Yeomans qui a mis en place la technique du keyline design dans les années 1950, pour concevoir des agrosystèmes résilients face aux sécheresses et inondations.

Je ne suis pas une experte agricole, mais j’ai vu le potentiel à déployer cette approche à l’échelle de la gestion d’un bassin versant, qui est l’unité de base en hydrologie. J’ai proposé de porter cette vision à un niveau plus systémique, voire plus politique aussi. On espère mener plusieurs expérimentations à partir de 2024 avec des collectivités pilotes dans la Drôme, l’Ardèche, l’Ain et en Haute Savoie. L’association va les suivre, les étudier et accompagner le déploiement de ces pratiques.

 

Selon vous, sur quel aspect du problème les collectivités locales, les élus, les acteurs territoriaux devraient-ils être plus lucides ? Qu’est-ce qu’on ne regarde pas assez en matière de gestion de l’eau ?

Il y a deux choses sur lesquelles j’apporte un nouveau regard, notamment auprès d’un public d’élus : l’importance des sols et des arbres dans le cycle de l’eau et la démocratie de l’eau.

D’abord, considérer les arbres non plus comme des capteurs de pluie qui consomment de l’eau, mais comme des générateurs car ils sont capables de transformer l’eau verte en eau bleue (aucune autre technologie ne peut le faire avec une telle importance et efficacité). Considérer également l’importance des sols dans l’équation. On a trop longtemps négligé le pouvoir des sols pour infiltrer, stocker, mais aussi recharger les nappes. L’artificialisation massive a contribué à limiter l’infiltration dans les sols et donc la recharge des aquifères. Je pense qu’il y a un sérieux manque de lucidité là-dessus.

Et le deuxième manque de lucidité, c’est la question démocratique et de la gouvernance de l’eau. On a vraiment besoin de la faire évoluer en intégrant davantage les citoyens, la question des intérêts de la rivière et des autres qu’humains qui en dépendent.

 

Je comprends. Mais voyez-vous aussi des tendances positives ? A-t-on des raisons d’avoir confiance ?

Je constate que les territoires en déficit quantitatif, comme la Drôme, qui sont au pied du mur, doivent faire le choix entre stocker l’eau dans les grandes réserves de substitution, ou tester d’autres techniques. Beaucoup se mettent à l’hydrologie régénérative. Certains veulent même aller jusqu’à l’inscrire dans des SAGE (schémas d’aménagement et de gestion des eaux) donc c’est plutôt très encourageant.

La difficulté que j’identifie est la capacité collective à cultiver le dialogue entre les acteurs des territoires (notamment entre agriculteurs et élus) souvent animés par des intérêts contradictoires. En fait, il est vraiment question de dialogue, de médiation et de coopération.

J’ai aussi bon espoir que l’on fasse avancer la question des droits des rivières et des fleuves en France. Il existe depuis quelques années plusieurs expérimentations menées à grande échelle, sur les fleuves Loire, Rhône, Garonne, bientôt la Seine, où des citoyens se réunissent pour déclarer les droits fondamentaux du fleuve.

On a aussi des initiatives citoyennes à l’échelle des rivières comme la Bièvre en Ile-de-France, le Chéran en Haute-Savoie, la Durance, Le Tavignanu en Corse etc. C’est très encourageant !

 

On approche de la fin de l’entretien. Un dernier message ?

L’échelon européen doit être renforcé en matière de gestion de l’eau. Rien n’a été fait depuis la directive-cadre sur l’eau de 2000, qui a permis de poser les objectifs que tous les États membres doivent atteindre en matière de bon état des masses d’eau superficielles et souterraines. Mais cet objectif réglementaire n’a jamais été atteint. Alors il faut aller plus loin, peut-être changer les règles de fonctionnement pour mieux intégrer les intérêts des rivières dans nos instances de gouvernance.

Un autre sujet qui mériterait d’être davantage porté à l’échelle européenne est celui de la gouvernance autour des flux d’eau verte. En réalité, un article récemment publié par Johan Rockström du Stockholm Resilience Center, a mis en évidence la nécessité d’intégrer les bassins atmosphériques dans la gouvernance de l’eau à l’échelle internationale. C’est-à-dire les bassins où se génèrent les pluies et où elles vont.

On sait que l’affectation des sols et des forêts a une influence sur le régime de précipitation dans les pays voisins. Et cette vision pose aussi une nouvelle base de discussion entre les pays. C’est pourquoi, on en a aussi besoin à l’échelle européenne, notamment avec le changement climatique qui pose de sérieux problèmes sur les régimes de précipitation.

 

Charlène, un grand grand merci.

Mais de rien, merci Maxime et à tous les lecteurs !

 

Banque des territoires - Groupe Caisse des dépôts

Cet article vous est proposé par Banque des Territoires

Créée en 2018, la Banque des Territoires est un des cinq métiers de la Caisse des Dépôts. Elle rassemble dans une même structure les expertises internes à destination des territoires. Porte d’entrée client unique, elle propose des solutions sur mesure de conseil et de financement en prêts et en investissement pour répondre aux besoins des collectivités locales, des organismes de logement social, des entreprises publiques locales et des professions juridiques.

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