Florence Lavissière est responsable du programme « Ecosystèmes » du Comité français de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Créé en 1992, le Comité français de l’UICN regroupe, au sein d’un partenariat original, 2 ministères, 7 organismes publics, 5 collectivités locales, 57 organisations non gouvernementales et plus de 250 experts rassemblés au sein de commissions thématiques et de groupes de travail. Par cette composition mixte, le Comité français de l’UICN est une plateforme unique de dialogue, d’expertise et d’action sur les enjeux de la biodiversité. Auprès des territoires, l’UICN assure le partage de connaissances entre les acteurs des filières professionnelles, les collectivités locales, les ONG, et la société civile.
Bonjour Madame Lavissière. Quelle est la définition des « solutions fondées sur la nature » (SfN) ? Et quel est leur intérêt pour les territoires dans la gestion durable des cycles de l’eau ?
La définition que propose l’UICN a été reprise en mars 2022 par l’ONU : « les Solutions Fondées sur la Nature sont des actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité ».
Ces actions sont de trois types :
- la préservation d’écosystèmes fonctionnels en bon état écologique ;
- l’amélioration de la gestion des écosystèmes pour une utilisation durable par les activités humaines ;
- la restauration d’écosystèmes dégradés ou la création d’écosystèmes.
Les SfN peuvent représenter une alternative économiquement viable pour répondre aux problématiques liées à l’eau. Nous nous intéressons notamment à 2 types ouvrages : ceux permettant de protéger les côtes contre les risques de submersion marine et d’érosion côtière, et ceux permettant de réduire les risques liés aux perturbations du grand cycle de l’eau (inondations, sécheresses, coulées de boue).
La réduction des risques naturels est primordiale pour la sécurité des populations humaines et le maintien des activités socio-économiques. En France 17 millions d’habitants en métropole et 9 millions d’emplois sont dès aujourd’hui concernés par le risque d’inondation par débordement des cours d’eau.
A long terme, les SfN sont souvent moins coûteuses que la construction et l’entretien des infrastructures « grises », comme les digues en béton. En outre elles sont flexibles, adaptables aux situations rencontrées et aux territoires concernés. Elles apportent enfin de nombreux co-bénéfices aux sociétés humaines : biodiversité, éco-tourisme, paysages, bien-être des populations, et sont également bénéfiques à l’activité économique via la conception, l’aménagement, l’entretien et la gestion des écosystèmes concernés.
Quels outils sont à disposition des territoires souhaitant se lancer dans l’aventure ?
L’UICN a développé en 2020 un standard, avec 8 critères et 28 indicateurs, qui permettent d’identifier les projets relevant des SfN, d’établir un langage commun, et d’évaluer la pertinence et la qualité des projets SfN envisagés. Le terme de « Solutions fondées sur la Nature » est devenu très vendeur mais appelle à la vigilance et à des questionnements préalables pour éviter que le concept ne soit dévoyé, par exemple : y a-t-il une consultation participative ? A quels défis sociétaux répond-on ? Le projet est-il favorable à la biodiversité ? Est-il économiquement viable ? Est-il conçu de manière adaptative ?
Pouvez-vous donner quelques exemples de chantiers / d’ouvrages typiques ?
Les exemples les plus courants que l’on peut citer, sans être exhaustif, seraient la restauration de zones humides pour réguler les inondations ; la végétalisation de bassin versant pour ralentir le ruissellement ; la désimperméabilisation des sols pour favoriser la gestion des eaux de pluie à la source et lutter contre les ilots de chaleur urbains ; les plantations sur les berges pour limiter la vitesse des courants des cours d’eau ; l’aménagement de zones d’expansion de crues ; ou encore le reméandrement d’un cours d’eau pour ralentir son flux et limiter les risques d’inondation et de débordement.
Les différentes solutions peuvent être mises en place séparément, ou alors simultanément dans une vision d’ensemble pour répondre à différents défis climatiques et sociétaux. Nous avons publié un guide à ce sujet, avec des exemples concrets de chantiers menés dans une vingtaine de territoires.
Où en est-on dans la sensibilisation des collectivités et le déploiement de ces solutions ?
Notre rôle est d’informer le plus grand nombre à travers nos publications et interventions dans les territoires. Il reste encore des efforts importants à réaliser pour favoriser l’appropriation de ce concept, beaucoup de collectivités sont encore peu au fait, voire demeurent réticentes car on sort ici des cadres habituels d’infrastructures en béton, et les SfN peuvent apparaitre comme un pari risqué. De plus, elles produisent généralement leur efficacité sur le temps long : les écosystèmes ne sont pas juste un bouton on / off !
Inversement, certains territoires se donnent des objectifs ambitieux, comme la Région Nouvelle Aquitaine qui affiche les SfN comme axe de sa stratégie biodiversité. Le Département des Bouches-du-Rhône a un Vice-Président également Délégué aux Solutions fondées sur la Nature, et met en place des actions spécifiques dans le cadre de sa stratégie départementale.
Une fois que les collectivités sont volontaires pour s’engager dans une démarche de SfN, les principaux freins sont la disponibilité et la maitrise du foncier, ainsi que les démarches administratives et financières parfois complexes à effectuer. Pour débloquer ces freins, il est nécessaire :
- d’engager dès le départ une démarche participative de concertation, et de prévoir le coût de cette concertation dans le budget du projet ;
- de s’assurer du soutien institutionnel des élus et autres acteurs du territoire ;
- de réaliser le suivi des bénéfices apportés par les SfN mises en place (cela étant à prévoir dès la conception du projet notamment en termes de moyens financiers) et leur valorisation auprès des acteurs, et d’adapter éventuellement les actions aux modifications de l’environnement ou du contexte socio-économique afin de garantir leur pérennité.
Le déploiement des SfN doit aujourd’hui s’accélérer fortement et être appuyé par la mise en œuvre de politiques volontaristes et opérationnelles, permettant d’obtenir des résultats concrets au niveau des territoires et des sites.
Pourriez-vous citer d’autres collectivités particulièrement engagées dans ce type de démarche ?
Je pense à l’Eurométropole de Strasbourg, qui a été primée plusieurs fois au concours de capitale française de biodiversité. Une SfN mise en place sur ce territoire est la déviation de la Souffel, avec la restauration de la fonctionnalité écologique du cours d’eau, la plantation d’arbres en bordure du site et l’aménagement d’une zone d’expansion des crues.
En 2012, la Métropole du Grand Nancy a vécu des inondations importantes et les élus ont décidé de remettre à ciel ouvert le cours d’eau du Grémillon. Cette opération s’est accompagnée d’une renaturation des abords de la rivière et de l’aménagement des bassins de rétention pour le stockage des eaux pluviales. Parmi les co-bénéfices, les riverains peuvent redécouvrir le cours d’eau, et la reconnexion des milieux aquatiques a permis le retour d’espèces aquatiques locales qui peuvent à nouveau circuler librement.
La Communauté d’agglomération Seine-Eure a requalifié la zone humide des Pâtures, afin de lutter contre le risque récurrent d’inondation. Plusieurs aménagements ont été réalisés : la création de mares, un bras de contournement, le creusement d’un chenal pour améliorer les fonctionnalités de la zone humide, la mise en place de terrasses inondables, la restauration d’une prairie humide et de boisements alluviaux avec exploitation d’une peupleraie, et enfin la plantation d’espèces végétales adaptées au contexte local.
Nous avons également des exemples de partenariats entre des collectivités et des entreprises pour mettre en place des SfN. Par exemple, la Ville de Beynes a entrepris la renaturation de La Mauldre en partenariat avec Storengy France, dont un site de stockage au bord de la rivière faisait face au risque de débordement de ce cours d’eau. Les objectifs du projet sont de restaurer la qualité écologique de la rivière (notamment par l’aménagement d’une ripisylve [1]), prévenir le risque d’inondation, et favoriser l’accès des habitants à la rivière.
Dernier exemple en Guyane, la Communauté d’Agglomération du Centre Littoral (CACL) a déployé des solutions de génie végétal sur les canaux situés dans des zones urbaines de la CACL, dans le but d’augmenter les vitesses d’écoulement pour réduire les risques d’inondation et de submersion marine.
Enfin, nous avons préalablement évoqué sur aquagir la gestion intégrée des eaux de pluie, avec le regard d’Elodie Brelot du Graie. Auriez-vous des exemples de collectivités ayant particulièrement avancé en la matière ?
Je citerais, comme Mme Brelot, le cas de la Métropole du Grand Lyon, qui mène une politique de gestion des eaux pluviales et de ruissellement intégrée dans les outils réglementaires comme le PLU, le règlement d’assainissement, et le SAGE. La collectivité a installé de nombreux ouvrages de captation des eaux de pluie à la source, dans le cadre d’une stratégie de « ville perméable ». Elle a réaménagé des espaces avec des plantations d’arbres en supprimant les barrières à l’écoulement de l’eau, en créant une zone de stockage de l’eau, ou encore en diversifiant les strates et la palette végétales ; ceci par la création ou la restauration de noues en bord de routes, l’utilisation de revêtements poreux dans les cours, la plantation d’« arbres de pluie » en pleine terre, et la mise en place de jardins de pluie en creux.
Au total la Métropole compte 600 bassins de rétention et d’infiltration, 28km de noues, 8km² de revêtement poreux, et plus de 2000 puits d’infiltration qui contribuent à réduire le ruissellement.
Dès lors que l’on parvient à intégrer ce type d’actions basées sur le fonctionnement des écosystèmes dans les documents de planification (PLU, SAGE), cela aide clairement à leur déploiement.
[1] Ripisyle : formations végétales qui se développent sur les bords des cours d’eau ou des plans d’eau situés dans la zone frontière entre l’eau et la terre