Entre maîtrises d’ouvrage morcelées, responsabilités peu claires, digues orphelines et espaces délaissés par leurs propriétaires, la mise en place de la compétence « Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations », plus souvent dite « compétence GEMAPI », s’inscrit dans une dynamique d’optimisation de l’action publique. Introduite par les lois MAPTAM et NOTRe de 2014 et 2015, la GEMAPI est désormais une compétence, exclusive et obligatoire des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP).
En confiant au même échelon territorial – celui de l’intercommunalité – l’urbanisme, la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, le législateur a souhaité replacer la gestion des cours d’eau au sein de l’aménagement du territoire. Malgré une mise en œuvre parfois difficile et complexe, la GEMAPI est l’opportunité pour les territoires de répondre aux objectifs ambitieux des directives cadre européennes sur l’eau et sur les inondations en matière de gestion intégrée et équilibrée de la ressource en eau par bassin-versant.
Qu’est-ce que la compétence GEMAPI : définition de la Gestion des milieux aquatiques « GEMA » et prévention des inondations « PI » ?
La prévention des inondations pouvant être directement impactée par la gestion amont des milieux aquatiques, la GEMAPI réunit en une seule compétence les missions 1°, 2°, 5°, 8° du grand cycle de l’eau telles qu’appréhendées par l’article L211-7 du code de l’environnement.
Le volet « PI » de la GEMAPI est plus particulièrement constitué par les actions obligatoires d’aménagement de bassins-versants (1°), et bien sûr, de défense contre les inondations et contre la mer (5°). Le volet, « GEMA », quant à lui, comprend la protection et la restauration des écosystèmes aquatiques et des zones humides (8°) ainsi que l’entretien et l’aménagement des cours d’eau, canaux, lacs et plans d’eau (2°). Ces missions existaient déjà avant la création de la compétence GEMAPI en 2014. Cependant, leur exercice incombait, à titre facultatif, à divers échelons de collectivités territoriales, sans qu’aucune d’entre elle n’en soit spécifiquement responsable. Depuis 2020, ces missions dites « GEMAPI » sont obligatoires pour les EPCI à fiscalité propre. Les autres missions du grand cycle de l’eau, dites « hors-GEMAPI » (3°, 4°, 6°, 7°, 9°, 10°, 11°, 12°), restent quant à elles facultatives et partagées. Ainsi, une intercommunalité peut s’en saisir en complément si elle le juge nécessaire au regard de son contexte local.
Les missions GEMAPI concernent autant les études de faisabilité en vue de travaux, que l’exécution des travaux eux-mêmes, les actions d’information ou de communication, la construction de digues ou d’aménagements hydrauliques ainsi que la gestion de ces ouvrages. Cependant, il est important de noter que si les EPCI ont une obligation de résultat pour la gestion des milieux aquatiques, leur responsabilité se limite à une obligation de moyens en ce qui concerne la gestion du risque inondation.
Régie, transfert, délégation – Comment organiser la GEMAPI ?
La GEMAPI constitue juridiquement une seule et même compétence. Cependant, sa mise en œuvre reste flexible puisque celle-ci est « sécable », aussi bien sur le plan géographique que sur le contenu des missions. Les milieux aquatiques ne respectant aucune frontière administrative, les intercommunalités afin de respecter les logiques hydrographiques de leur bassin-versant, combinent fréquemment plusieurs modes de pilotage. Très fréquemment, elles choisissent de transférer au moins une partie de leur compétence au profit d’un ou plusieurs syndicats mixtes (EPTB ou EPAGE). Elles sont dans ce cas entièrement dessaisie de leurs responsabilités. Leur pouvoir de décision ne s’exerce alors plus qu’au travers des instances décisionnelles du syndicat. Ce mode gestion permet de conserver l’organisation d’une gouvernance éprouvée antérieure aux lois NOTRe et MAPTAM.
Certains élus peuvent privilégier la délégation lorsqu’ils souhaitent tester une organisation sur un temps et pour des objectifs donnés. Dans ce cas, la collectivité conserve ses responsabilités liées à la compétence (notamment en matière de sécurité des ouvrages). Le syndicat mixte quant à lui se positionne comme prestataire de service. Seront fixés au travers d’une convention, les objectifs à atteindre, les modalités financières ainsi que la durée de l’exercice.
Une autre option est la gouvernance en régie directe qui peut, elle aussi, être temporaire. Elle permet de s’assurer de la bonne articulation entre « GEMA », « PI » et politiques d’aménagement du territoire avant transfert ou délégation. Elle constitue également une voie largement empruntée dans les situations de blocage sur les choix de gouvernance à l’échelle du bassin versant, ou dans les territoires orphelins qui n’ont pas encore pris en main la compétence et pour lesquels la réflexion sur la gouvernance sera plus longue.
LE DIAGNOSTIC, UNE ÉTAPE PRÉALABLE ESSENTIELLEEn amont de toute décision, il est conseillé aux l’EPCI-FP de conduire un état des lieux rigoureux et de définir une stratégie en matière de GEMAPI. Il sera essentiel d’identifier :
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Quelles sont les responsabilités de chacun ?
Qu’ils soient publics ou privés, les propriétaires continuent de bénéficier du droit d’usage et de pêche. En contrepartie, ils demeurent responsables de l’entretien des cours d’eau dont ils sont riverains, de la préservation des milieux aquatiques dont ils sont propriétaires et des ouvrages qui leur appartiennent.
Il existe deux types de syndicats mixtes à compétence GEMAPI : les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) et les établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (EPAGE). En cas de transfert ou de délégation de compétence, les premiers porteront la coordination de l’action GEMAPI à l’échelle des bassins versants et les seconds se verront confier l’action opérationnelle (ou maîtrise d’œuvre) à l’échelle des sous bassins-versants.
A noter que le transfert de la compétence n’entraine pas celui du pouvoir de police du maire1. Ce dernier est tenu d’intervenir (urgence ou intérêt général) en cas d’atteinte à l’environnement (pollution) et à la sécurité des personnes (catastrophe naturelle, rupture de digue…), parfois même en place et lieux de propriétaires défaillants. La GEMAPI n’annule pas non plus les possibilités d’intervention des collectivités autres que les EPCI dans le domaine de l’eau. Les autres échelons restent impliqués sur la base juridique de leurs compétences résiduelles : l’aménagement durable des territoires pour les régions, l’appui au développement des territoires ruraux et gestion des espaces naturels sensibles pour les départements, le contrôle de la légalité (réglementation et sécurité des ouvrages hydrauliques), la planification (notamment en matière de préventions des risques) et de police de l’eau pour l’Etat.
1Article L2212-1 et suivants du CGCT
Quelles sources de financement en 2023 pour les EPCI et les syndicats mixtes?
Pour exercer cette compétence, il est indispensable de doter le maître d’ouvrage des moyens techniques (personnel qualifié, outillage adapté) et financiers suffisants. La phase de diagnostic sera une nouvelle fois essentielle, cette fois-ci pour estimer un budget pertinent au regard des objectifs d’intervention fixés et des programmes d’action. Trois types de financements sont possibles dans le domaine de la GEMAPI : les financements en propre, les subventions et les prêts bancaires.
Côté financements en propre, les EPCI mobiliseront le budget intercommunal assis sur les impôts, et les syndicats mixtes, les cotisations des adhérents et les revenus issus des prestations de services auprès des collectivités non-membres. La loi MAPTAM prévoit également la possibilité de mettre une taxe dédiée, répartie sur les taxes locales, appelée la taxe GEMAPI. Son instauration est à la discrétion de la collectivité compétente, mais ne pourra en aucun cas dépasser le seuil de 40 euros par habitant.
Côté subventions, de nombreux acteurs peuvent apporter leurs concours aux maîtres d’ouvrages. Les agences de l’eau sont des partenaires privilégiés sur les deux volets GEMA et PI, leur subvention pouvant couvrir jusqu’à 70% des coûts. Les Régions et Départements peuvent également apporter une aide financière sur des projets correspondants à leur politique d’intervention. Les collectivités compétentes pourront également mobiliser le « Fonds Barnier » et les subventions européennes (FEDER, DEADER, CPER, CPIER) dans le cadre de projets d’investissements sur le volet « PI » (zone d’expansion de crue, travaux de digue et surverse…).
Enfin, les prêts bancaires, tels que l’Aqua Prêt , permettent de financer des opérations de toute taille aussi bien sur le volet « PI » que « GEMA », à condition qu’ils soient adaptés au financement des travaux, et qu’ils permettent de lisser leurs effets dans le temps.
La mise en place de la gouvernance de la compétence GEMAPI demande généralement plusieurs années et est encore en cours sur une grande partie du territoire. Difficile à appréhender par sa complexité et le grand nombre d’acteurs impliqués, il subsiste encore aujourd’hui un besoin de clarification des responsabilités. Aussi, son articulation avec les autres compétences intercommunales (eau, assainissement, pluviale, voirie, etc.) arrive souvent dans un second temps. Le risque est alors de limiter la GEMAPI à un sujet technique et de négliger l’objectif initial de transversalité. Enfin, la question des moyens reste un sujet épineux, qu’ils s’agissent de moyens financier et techniques – notamment sur le volet « PI » particulièrement complexe et coûteux – que réglementaire pour le volet « GEMA » encore confronté au manque d’outils et de sanctions envers les propriétaires.