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Yann Le Fur : « Restaurer la continuité écologique des milieux aquatiques pour protéger la ressource en eau… et les populations ! »

Cet article a été rédigé par Cyrus Farhangi

Crédits photos : Yann Le Fur

Yann Le Fur est élu à la commune de Gaillon et Vice-Président de la Communauté d’agglomération Seine-Eure, en charge du grand cycle de l’eau. Il propose ici un tour d’horizon des mesures de gestion de l’eau adoptées par la collectivité, et le lien avec la préservation de la biodiversité

Bonjour M. Le Fur et merci d’avoir accepté l’invitation d’aquagir. Je vous laisse introduire librement un élément saillant de votre politique de gestion de l’eau.

Il est tout d’abord important de noter que nous avons historiquement fait le choix d’une Direction du grand cycle de l’eau. Sur la seule question de l’eau potable, nous avions un schéma directeur et une politique de renouvellement des canalisations depuis longtemps. Mais si nous séparions les problèmes en silos, nous risquions d’avoir, dans les différents domaines de la gestion de l’eau, des plans d’action qui se télescopent, qui ne sont pas cohérents entre eux, et qui n’intègrent que partiellement la question de la préservation de la ressource et de la biodiversité.

Nous menons ainsi une politique avec des investissements conséquents (renouvellement des forages, rénovation et extension des réseaux d’assainissement, gestion intégrée des eaux de pluie pour la réduction des risques de ruissellement…), avec les budgets annexes pour l’eau et l’assainissement et des financements alloués sur le budget général de la collectivité, et pour fil conducteur la complémentarité entre biodiversité et eau potable.

Pouvons-nous revenir sur l’historique de votre politique ?

Des inondations en 1999 et 2001 ont éveillé la conscience sur la nécessité de revoir notre gestion des ouvrages et de l’Eure, avec la création d’une équipe dédiée au suivi et à l’entretien de la rivière. En 2008, à l’occasion des élections municipales, la question du champ captant des Hauts Prés a été soulevée, ainsi que celui du modèle agricole environnant. Ce champ captant alimente en eau potable plus de 40 000 personnes de l’Agglomération. À la suite d’une concertation avec l’Agence de l’eau, nous avons acheté 100 hectares du périmètre de protection rapprochée du champ captant, pour y pratiquer une agriculture biologique.

A partir de 2012, nous avons élaboré le premier plan de gestion de l’Eure, avec pour objectif d’intervenir également dans le domaine privé, sur les berges, ce qui implique une mobilisation des particuliers. Plus généralement, à mesure que l’équipe dédiée à la gestion de l’Eure se structurait et montait en puissance, nous identifiions de nombreuses opportunités d’aménagement pour favoriser la continuité écologique de l’Eure (bras de contournement, disparition de barrages, nouveaux ouvrages, solutions fondées sur la nature…). Cette continuité écologique est aujourd’hui quasiment rétablie, ce qui est un atout en termes de résilience climatique mais aussi d’attrait touristique : il est par exemple désormais possible de descendre une grande partie de l’Eure en canoé !

Des aménagements comme les Hauts Prés reflètent une des particularités de notre Communauté d’agglomération : ils s’inscrivent dans une politique d’acquisition de patrimoine naturel (200 hectares au total près de nos captages), et un travail avec les 60 communes de l’agglomération pour maitriser les risques d’inondation et de ruissellement, travail auquel l’agglomération fournit un soutien important.

Vous évoquiez les « solutions fondées sur la nature », pouvez-vous donner des exemples de projets menés ?

La Communauté d’agglomération a notamment restauré la zone humide des Pâtures, afin de lutter contre le risque d’inondation mais aussi pour offrir un refuge à la biodiversité. Plusieurs aménagements ont été réalisés : la création de mares, un bras de contournement, le creusement d’un chenal pour améliorer les fonctionnalités de la zone humide, la mise en place de terrasses inondables, la restauration d’une prairie humide et de boisements alluviaux avec exploitation d’une peupleraie, la plantation d’espèces végétales adaptées au contexte local, et la création d’un parcours pédagogique…

Les mares sont également un élément important des paysages des communes de l’agglomération. Nous avons mis en place des plans de gestion pour l’entretien de ces mares afin de protéger la biodiversité, et fournir des services hydrauliques (ex. réception et exutoire des eaux pluviales). Ce virage politique est d’une grande importance car pendant longtemps nous avions plutôt tendance à boucher des mares. Nous avons aujourd’hui 70 mares publiques sur l’ensemble du territoire, et plus de 120 bassins pour gérer les eaux pluviales.

Quels freins avez-vous dû surmonter pour mener votre politique ?

Les élus avaient parfois tendance à sous-estimer les risques d’inondation. Mais des épisodes en Vendée et dans d’autres territoires ont fait comprendre aux élus qu’ils avaient une certaine responsabilité après avoir été alertés. Il est indéniable que les événements climatiques extrêmes ont fait progresser la prise de conscience et favorisé de nouvelles décisions en matière d’aménagement et d’urbanisme. L’investissement dans la prévention des risques est aujourd’hui jugé plus judicieux, car permettant de réduire le coût matériel et humain des événements extrêmes.

Aujourd’hui l’ensemble des dossiers présentés en conseil communautaire sont validés à l’unanimité au sein de l’agglomération car de plus en plus d’élus ont compris l’importance de protéger la ressource, gérer les risques d’inondation, réduire les fuites du réseau, etc.

Les subventions de l’Agence de l’Eau et du Conseil Départemental ont été déterminants dans la mise en œuvre de notre politique. Mais nous sommes quelque peu inquiets aujourd’hui car nous avons peu d’information sur le devenir du 12ème programme d’intervention 2025-2030. Nous avons dans une certaine mesure anticipé les choses, notamment avec la mise en place de la taxe GEMAPI (11€/habitant/an) qui est entièrement dédiée à un budget annexe pour la gestion des rivières et des zones humides. Mais pour d’autres collectivités et confrères qui se lancent dans ce type de démarche, ce manque de visibilité sur le 12ème programme peut ralentir les velléités.

Pouvez-vous évoquer vos relations avec le monde agricole ?

Les forages de Cailly-sur-Eure avaient été identifiés comme devant faire l’objet d’un accompagnement particulier au regard des teneurs en nitrates mesurées dans les prélèvements. A partir des années 2010, nous avons travaillé avec tous les acteurs concernés, dont les agriculteurs. Les premières réunions étaient compliquées car les agriculteurs sont déjà sujets à de nombreuses contraintes et il n’est pas facile pour eux de changer de pratiques. Ils ont cependant joué le jeu, quelques-uns  se sont même mués en leaders dans le domaine.

Dans le cadre de notre politique d’acquisition de terrains près de nos captages, nous signons des conventions et des baux ruraux et environnementaux avec les agriculteurs pour gérer l’ensemble de ces parcelles. De même, que ce soit pour la restauration de la zone humide des Hauts Prés, la replantation de haies ou le Projet Alimentaire Territorial, nous échangeons régulièrement avec le monde agricole.

Cela fait 10 ans que nous poursuivons ce type de travail et que nous avons appris à se connaitre et se comprendre mutuellement. Un élu est d’ailleurs un ancien agriculteur, ce qui nous aide beaucoup.

Quelle est votre politique en matière de sobriété ?

Nous menons une tarification progressive de l’eau depuis 2009, avec 3 paliers, et nous avons observé des réductions de consommation assez rapidement, chez les particuliers et surtout chez les industriels, qui ont lancé des diagnostics de fuite et des audits d’efficience hydrique dès qu’ils ont vu les factures grimper.

Les résultats sont au rendez-vous, et c’est évidemment une bonne chose… or notre modèle économique s’en retrouve affecté car nous vendons moins de volumes ! Il va falloir revoir notre modèle, surtout si nous commençons à autoriser les entreprises et les particuliers à utiliser l’eau de pluie, par exemple pour les toilettes.

Nous avons à ce sujet interrogé sur aquagir Régis Taisne, chef du Département Cycle de l’eau à la FNCCR, qui a avancé des propositions pour répondre à la problématique que vous évoquez. Où en êtes-vous sur la réutilisation des eaux usées ?

Depuis 2011, nous réutilisons des eaux usées de la station d’épuration Ecoparc pour alimenter une station de lavage de voitures. Aujourd’hui au regard des risques croissants de périodes sèches, nous allons approfondir la réflexion sur d’autres dispositifs de réutilisation.

A ce propos, quelles sont vos perspectives pour les 5-10 ans à venir ?

Nous avons une multiplicité de projets de restauration de digues et d’aménagement de zones d’expansion de crue, de nouveaux forages, d’augmentation de capacité de stations d’épuration, et d’interconnexions entre forages, notamment pour connecter la vallée de l’Eure et la vallée de la Seine.

Outre ces projets relativement classiques, nous nous posons la question de la nature en ville et de la désimperméabilisation. Nous réalisons actuellement notre schéma de gestion des eaux pluviales, qui devrait nous permettre d’aller vers plus de désimperméabilisation. Nous allons par exemple envisager de réaliser des parkings drainants ; il faut cependant d’abord définir les acteurs et les services qui vont en assurer et financer l’entretien.

Sur ce sujet nous avons recueilli le retour d’expérience de Michaël Malfroy-Camine, Responsable du département Prospective Réseaux de l’Eurométropole de Strasbourg. Je vous laisse poursuivre, M. Le Fur, sur vos perspectives des années à venir.

Avec le monde agricole, nous allons approfondir la question des haies, pas seulement pour les planter mais également pour trouver des débouchés (ex. chaufferies urbaines à la biomasse). Nous faisons également une étude de recyclage agricole des boues d’épuration, éventuellement à destination d’unités de méthanisation.

Nous souhaitons améliorer l’autonomie énergétique des stations d’épuration, par une meilleure efficience des équipements mais également, pourquoi pas, l’installation de parcs solaires photovoltaïques.

Enfin nous allons bien sûr poursuivre le travail de restauration de la continuité écologique des milieux. Il y a encore beaucoup de choses à faire pour que l’agglomération Seine-Eure reste un « territoire à haute qualité de vie ». Si nous voulons attirer des populations il faudra également intégrer plus de nature dans nos villes et villages, avec des zones comme les Pâtures où il ferait bon se promener, et qui rendraient d’autres services écosystémiques comme le contrôle des crues.

Cet article vous est proposé par aquagir

aquagir est un collectif d’acteurs œuvrant dans l’accompagnement de bout-en-bout des projets de gestion des eaux dans les territoires avec une vision globale, collective et écosystémique des enjeux et des solutions.  aquagir regroupe l’ANEB, la Banque des Territoires, le BRGM, le Cercle Français de l’eau, les pôles de compétitivité de la filière eau Aqua-Valley et Aquanova et l’UIE (Union des Industries et Entreprises de l’Eau)

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